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ce qu'on appelle ta sottise, laisse à qui le veut le droit de t'insulter; que disje? souffre de grand cœur le dernier des outrages tout cela n'est rien pour toi, si tu es homme de bien, si tu connais la vraie gloire. Dès que tu voudras, formés ensemble par ce noble apprentissage, nous prendrons en main le gouvernement, ou quelque autre des choses humaines; et tu verras combien nous vaudrons mieux qu'aujourd'hui. Car c'est une honte, quand nous ne sommes rien, que cette confiance et cette vanité sans cesse notre opinion change sur les grands intérêts de la vie, et chacun de nos systèmes accroît notre ignorance. Ah! que notre ame incertaine prenne au moins pour guide cette histoire de l'avenir, qui nous apprend que, dans l'un et l'autre monde, la justice et les vertus sont nos meilleures compagnes.

Marchons avec elles, et répétons à tous les hommes: Suivez-nous!

GORGIAS.

LE POËTE.

Cette pierre qu'Euripide nomme magnétique, et le peuple héracléenne, a non seulement le pouvoir d'attirer les anneaux de fer, mais celui de communiquer sa force aux anneaux mêmes, qui peuvent, comme elle, en attirer d'autres ; et souvent on voit une longue chaîne composée d'anneaux suspendus, à qui l'aimant seul donne. la vertu qui les soutient. C'est ainsi que la muse élève les poëtes jusqu'à l'enthousiasme; les poëtes à leur tour le font descendre jusqu'à nous, et il se forme une chaîne d'inspirations,

Ainsi, les chantres épiques ne doivent pas à l'art, mais à une flamme céleste, à un dieu, les belles créations de leur génie. Ainsi, les maîtres de la lyre, tels que ces Corybantes toujours hors d'eux-mêmes quand ils célèbrent leurs danses religieuses, ne chantent pas de sang-froid leurs odes sublimes; il faut que l'harmonie, que le rhythme les soulève, il faut qu'une divinité les possède je crois voir des bacchantes qui, cédant à une sainte manie, vont puiser le lait et le miel dans les fleuves; le charme cesse avec leur délire.

Les poëtes lyriques ne nous trompent pas lorsqu'ils nous disent tout ce que l'imagination leur fait voir, lorsqu'ils décrivent ces jardins des Muses, ces fontaines de miel, ces riches vallons où ils recueillent leurs vers, comme les abeilles, en voltigeant sur les fleurs. Oui, le poëte est chose lé

gère, volage, sacrée; il ne chantera jamais sans un transport divin, sans une douce fureur. Loin de lui la froide raison; dès qu'il veut lui obéir, il n'at plus de vers, il n'a plus d'oracles.

Une preuve que ce n'est pas l'art qui les guide, c'est que tous les genres ne conviennent pas également à leur génie, et qu'une invincible destinée ne les fait grands poëtes que dans les sujets où leur Muse les entraîne. L'un chante avec honneur des dithyrambes, l'autre des hymnes, celui-ci des vers pour la danse, celui-là des vers épiques, d'autres enfin des iambes, et chacun d'eux n'a qu'une gloire, parceque ce n'est pas l'art, mais une force divine qui l'inspire. S'ils devaient à l'art un succès, l'art saurait bien leur en procurer d'autres. Un dieu seul, le dieu qui subjugue leur esprit, les prend pour ses ministres, ses oracles, ses

prophètes; il veut, en leur ôtant le sens, nous apprendre qu'ils ne sont pas les auteurs de tant de merveilles. mais qu'il nous les adresse lui-même et se fait entendre par leur voix.

Tynnichus de Chalcis n'avait pas un seul poëme qu'on daignât retenir; et il a fait ce Pæan que tout le monde chante, le plus beau peut-être des hymnes sacrés, et, comme il le dit lui-même, l'heureux ouvrage des Muses. Exemple mémorable où il nous est prouvé d'en haut, pour qu'on n'en doute plus, que ces magnifiques poëmes n'ont rien d'humain ni de mortel, que tout y est surnaturel et céleste, et que ces hommes ne sont que les interprètes d'un dieu qui les maîtrise. C'est dans cette vue que la divinité, sur la lyre du plus faible des poëtes, a fait retentir les plus beaux chants qu'elle ait inspirés.

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