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APPENDICE

AU

MÉMOIRE PRÉCÉDENT,

PAR M. J. GIRARDIN,

(Lu dans la séance du 18 novembre 1817 ).

En même temps que nous, M. Daurier, maître de poste Nancy, se livrait à des expériences semblables à celles qui viennent d'être rapportées dans le mémoire précédent, et il vient d'en publier tout récemment les résultats. Ces résultats sont tout-à-fait défavorables à l'emploi du sel, et les conclusions finales de l'agronome de Nancy sont que le sel est complètement inutile comme engrais '.

Mais on cherche en vain, dans le mémoire de M. Daurier, des renseignements sur le rendement en poids des diverses récoltes sur lesquelles il a expérimenté l'action du sel. Cette lacune est fort regrettable, car les indications de la balance sont toujours préférables aux approximations. M. Daurier

1 Expériences sur le sel ordinaire employé pour l'amendement des terres; par M. J.-B.-A. Bon Daurier, membre de la Société d'agriculture de Nancy. Broch in-4o de 7 pages. — Nancy, 1846, imprimerie de Bard.

s'est borné à apprécier à l'œil l'aspect des récoltes. « Il m'a semblé, dit-il, que la tige des grains d'orge du carré no 6 était un peu plus verte à la levée, mais, le 10 juin, je n'ai pu découvrir la moindre différence entre les divers lots. »>

La question est trop grave pour qu'on puisse se contenter de pareilles observations, et personne n'acceptera, assurément, comme une vérité démontrée, la complète inutilité du sel comme engrais dans les différents sols qui ont été soumis à l'expérience.

M. Daurier, d'ailleurs, a employé le sel à des doses exhorbitantes, de 1,200 à 6,000 kil. à l'hectare. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait obtenu de fâcheux résultats. L'expérience avait prononcé depuis longtemps à cet égard. Nous devons encore faire observer que la sécheresse de l'année 1846, défavorable en beaucoup d'autres lieux aux engrais de diverse nature, n'a pas dû exercer une influence moins fâcheuse sur le sel répandu précisément à l'époque où les chaleurs commençaient à acquérir de l'intensité. Les récentes expériences de M. Becquerel démontrent combien l'état d'humidité ou de sécheresse du sol, l'état hygroscopique de l'air ont d'influence sur le mode d'action du sel'. Il ressort, en effet, de toutes les observations, que, sous l'influence de la sécheresse, le sel marin, de même que toutes les autres matières salines minérales, ne donne que des résultats insignifiants ou même produit des effets fâcheux, s'il est employé à des doses un peu considérables. L'eau et le sel en petites proportions, voilà les éléments qu'il faut employer pour faire produire à la terre des fourrages ou d'autres récoltes de qualité supérieure, surtout dans les lieux naturellement

1 Mémoire sur les quantités de sel contenues dans les plantes des terrains salifères et non salifères, et sur l'état de la végétation dans les premiers terrains, sous l'influence de l'eau; par M. Becquerel, membre de l'Académie des sciences, etc. Broch in-8" de 16 pages. Paris, 1847, typographie de Firmin Didot frères.

secs. Les personnes qui nient l'influence salutaire du sel sur la végétation, dans des conditions déterminées, se préoccupent peut-être trop de l'idée généralement reçue chez les anciens, que, pour rendre une terre stérile, il fallait y semer du sel. Cette assertion est vraie dans les contrées où il ne pleut que rarement, et où le sol, par conséquent, est presque toujours dans un grand état de sécheresse, tandis qu'elle ne l'est pas dans les pays généralement humides.

Les expériences de M. Kulhmann concordent tout-à-fait avec celles de M. Becquerel. Ainsi, en 1846, année remarquable par la sécheresse, sur une récolte de 5,823 kil. de foin, le regain ayant totalement manqué, le sel marin n'est intervenu, en moyenne, que pour 347 kil., tandis qu'en 1845, la même quantité de sel marin (200 kil. par hectare) a augmenté la récolte de foin de 725 kil., celle du regain de 434 kil., soit, pour la récolte totale de l'année, 1,159 kil. M. Kulhmann conclut, de tous ces essais, que le sel marin peut être d'une grande utilité pour activer la fertilité des terrains humides, et qu'il est inutile et peut même nuire à la végétation dans les terrains secs et élevés; d'où il suit que, dans tel pays, l'agriculture tirera un excellent parti du sel marin, alors que, dans tel autre, elle n'y trouvera aucun auxiliaire utile '.

L'action du sel sur les plantes varie encore suivant l'époque à laquelle il est répandu. Les expériences de M. Becquerel établissent qu'il nuit en général à la germination, et que, suivant les proportions employées, il altère ou détruit les embryons, tandis que, versé en solution sur les jeunes plantes sorties de terre, même à forte dose, il ne produit que des effets avantageux. Si donc l'on veut employer le

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Expériences concernant la théorie des engrais ; 3o mémoire. – Résultats de 1845 et 1846 ; par M. F. Kuhlmann. que et de physique, 3a série, t. XX, p. 265.

Annales de chi

sel comme engrais dans les terres destinées à la culture des céréales, il ne faut pas le répandre à l'époque des semailles, mais l'employer vers le mois de mars, quand la terre est encore fortement humide, et avant que la végétation ne se développe avec force. En opérant à cette époque, on évite aussi que les pluies n'entraînent le sel au loin ou dans les parties inférieures du sol, où elles ne pourraient plus servir à activer la végétation au printemps. Quant aux prairies, si elles sont humides, il faut répandre le sel au moment où la végétation se développe. Si les prés sont secs, il est nécessaire d'attendre la saison des pluies pour faire cette opé¬ ration.

Dans les terrains à fond imperméable, il y aurait danger à les saler souvent, car la quantité de sel semé en premier lieu, restant en grande partie dans le sol, peut suffire pendant longtemps, si toutefois elle ne nuit pas aux germinations ultérieures. Si le fond, au contraire, est perméable, il est indispensable de recommencer le salage à chaque cul

ture.

Le sel restant plus ou moins de temps dans le sol, suivant qu'il est à fond imperméable ou à fond perméable, et toutes les plantes ne s'accommodant pas au même degré du régime salé, comme la vesce en est un exemple, il sera nécessaire, dans le système d'assolement que l'on adoptera, ainsi que M. Becquerel le fait observer avec juste raison, d'éviter d'y introduire des plantes légumineuses ou autres qui auraient à souffrir du sel'.

Il est des sols, en très petit nombre il est vrai, dans lesquels le sel ne produit aucun résultat sensible, employé en proportions convenables, comme cela ressort évidemment

De l'action du sel sur la végétution, et de son emploi en agriculture; par M. Becquerel. Comptes-rendus de l'institut, t. XXV, 1847. 18 octobre 1847, p. 513.

des observations de Davy, de Puvis, de Mathieu de Dombasle et autres, sans qu'on sache à quoi rapporter cette nullité d'action. Peut-être, comme le pensait sir H. Davy, en est-il du sel comme du plâtre, qui n'agit que sur les sols qui ne le contiennent pas déjà naturellement. Une explication plus satisfaisante de cette anomalie nous est donnée par M. Boussingault. Un chimiste ingénieux du commencement de ce siècle, Clouet, a constaté que si, dans du sable humecté avec une dissolution de sel marin, on introduit de la craie en poudre, et qu'on abandonne le mélange au contact de l'air, on voit apparaître des efflorescences de sesquicarbonate de soude. D'où il suit que le sel marin, par les effets réunis de la capillarité et de l'acide carbonique de l'air, éprouve, au contact du carbonate de chaux, une décomposition partielle dont le résultat est du carbonate de soude, sel qui, comme le carbonate de potasse, favorise activement le développement des plantes. On voit, par conséquent, qu'en donnant du sel marin à un sol suffisamment calcaire, on l'amende réellement avec du carbonate de soude. On comprend aussi maintenant comment le même sel, introduit dans une terre privée de carbonate de chaux, peut ne produire aucun effet appréciable sur les cultures'.

Ne serait-ce pas là encore une des causes de non succès de Davy, de Puvis, de Mathieu de Dombasle, de M. Daurier, lui surtout qui n'a opéré que dans des terres dépouillées de calcaire ou en contenant à peine?

Une conséquence directe de l'explication de M. Boussingault, c'est qu'il serait utile, sinon indispensable, au moins pour les terrains non calcaires, d'associer le sel marin à la chaux ou à la marne avant de le répandre. Le mieux, dans ce cas, serait de mélanger une partie de sel avec deux parties de chaux ou de craie, d'humecter le mélange, de le

Boussingault.

Économie rurale, t. II, p. 245.

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