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aux bouchers forins. Un seul exemple suffira pour le dé

montrer.

Un boucher de Déville, de Saint-Aignan, de Boisguillaume ou autre lieu, vient au marché de Rouen sans un sol dans sa poche; il achète six moutons du poids moyen de 45 kil., et pesant ensemble 270 kil.; leur valeur peut être de 270 fr. Le propriétaire les donnerait à ce prix, mais il en exige 306 fr, parce qu'il sait que l'usage l'oblige à y joindre le récépissé de sa consignation qui est de 36 fr. Le marché étant conclu, le boucher de Déville se fait rembourser à la barrière de sortie 36 fr. en argent, puisque ses six moutons ne doivent aucun droit d'octroi. Il rentre chez lui avec six moutons et 36 fr. en argent. Il en était sorti, quelques heures auparavant, sans le sol et sans y laisser la moindre marchandise.

Sur un marché libre, les risques du vendeur n'auraient pesé que sur 270 fr., mais à Rouen, ils sont de 306 fr., c'est-à-dire de 33 1/3 pour 100 en plus, et cela par l'effet du mode actuel de la perception du droit d'octroi.

Il en est de même pour les porcs.

Ces quelques exemples sont assez significatifs. Cependant ils ne pouvent donner qu'une idée bien imparfaite de la gêne et du préjudice qu'ils occasionnent à l'agriculture dans le courant d'une année.

Permettez-moi donc, Messieurs, d'établir devant vous quelques chiffres qui, sans être d'une rigoureuse exactitude, approcheront cependant de la vérité.

Dans le courant de l'année, il se vend au marché de Rouen, tant pour l'approvisionnement de la boucherie de la ville que pour celle des communes voisines, telles qu'Elbeuf, Saint-Etienne, Sotteville, Grand et Petit Quevilly, Grand et Petit-Couronne, Saint-Aignan, Boisguillaume, Déville, etc., au moins 1,000 veaux, 20,000 moutons, 7,500 porcs.

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Mais malheureusement cette sorte d'emprunt forcé, imposé à l'agriculture, ne se borne pas à une avance de 6,346 fr. qui, si elle était remboursée chaque semaine, servirait pour la semaine suivante. Elle se multiplie autant de fois qu'il s'écoule de semaines, à partir du jour de la vente jusqu'au jour du paiement; en sorte que si le paiement a lieu

Au bout de 6 mois, l'avance est de
Au bout de 4 mois, elle est de

Au bout de 3 mois, elle est de

165,000 fr.

110,000

81,250

Voilà assurément une aggravation, je dirai même une addition à la taxe d'octroi, accordée à la ville de Rouen, et cela sans bénéfice pour elle. Elle n'est pas seulement contraire aux intentions du législateur, mais elle est encore d'autant moins juste, d'autant plus irrationnelle qu'elle pèse sur les cultivateurs qui devraient être ménagés si c'était possible, puisqu'elle n'est supportée que par ceux qui fréquentent notre marché, y font des consommations et des emplettes pour les besoins de leurs ménages, de leurs familles, tandis que ceux qui, sans se déranger, vendent chez eux, à leur domicile, aux bouchers qui vont les trouver, sont affranchis de cette charge si considérable, qui, à la vérité, ne les regarde pas, et surtout de cette multiplicité de formalités par lesquelles il faut passer, et c'est pour échapper à cette perte de temps qu'on a introduit l'usage de remettre au boucher le récépissé des consignations pour en faire la liquida

tion avec les bureaux d'octroi. L'abus qui existe aujourd'hui sur notre marché s'y est donc introduit sous le masque de l'obligeance. On voit combien il a été trompeur.

On ne peut méconnaître que le mode de perception en usage aujourd'hui ne soit une cause perpétuelle d'éloignement pour notre marché, et de découragement pour notre agriculture. Il n'y aurait peut-être pas d'exagération à dire que toutes les fois qu'on parle de lui venir en aide, on est arrivé à un résultat tout à fait contraire. Il est certain que par la loi du 10 mai 1846, le législateur a voulu particulièrement faire disparaître tout ce que les octrois dans leur ensemble ont d'inutilement onéreux ou seulement de gênant pour l'écoulement des produits agricoles, et cependant il vient d'être démontré que le contraire est encore advenu d'une manière sensible dans cette dernière circonstance.

Voyons maintenant si les intérêts du consommateur n'en souffrent pas en même temps.

Personne ne méconnaît que les marchés les plus fréquentés et les mieux approvisionnés sont ceux sur lesquels on n'éprouve que des entraves indispensables. Ceux, au contraire, où les formalités sont tellement multipliées qu'elles occasionnent des démarches et la perte d'un temps toujours précieux pour les gens du dehors, sont bientôt négligés et souvent même abandonnés. N'est-ce pas aux causes qui viennent d'être signalées qu'on doit attribuer la diminution du nombre des marchands et cultivateurs qui fréquentaient notre marché? On assure que ce nombre est sensiblement réduit depuis la mise à exécution de la loi actuelle.

Cette diminution n'a pu avoir lieu sans affaiblir la concurrence qui est toujours profitable à l'acheteur. L'intérêt de l'acheteur s'accorde avec celui du consommateur pour demander que rien ne soit négligé afin de ramener une concurrence raisonnable sur notre marché.

L'administration municipale avait reconnu ces graves inconvénients, et c'est lui rendre justice de dire qu'elle a cherché à y remédier, sinon d'une manière absolue, au moins autant qu'il était possible de le faire avec la nécessité de sauvegarder les produits des octrois, dont la ville, aujourd'hui moins que jamais, ne peut se passer. Voici la mesure qu'elle avait adoptée:

Elle avait autorisé les marchands et les cultivateurs à fournir caution à la barrière pour remplacer les consignations qu'ils devaient y déposer, mais pour ceux qui ne pouvaient trouver cette garantie, ils étaient obligés avec raison de faire, comme par le passé, le dépôt du droit le plus élevé, c'est-à-dire 38 fr. 50 c. pour un bœuf, 27 fr. 50 c. pour une vache, 11 fr. pour un veau, 5 fr. 50 c. pour un mouton, 13 fr. 20 c. pour un porc.

Peu de marchands et cultivateurs ont pu fournir le cau-, tionnement qu'ils étaient autorisés à produire; les autres ont dû continuer leurs consignations en argent comme par le passé.

Les bouchers qui trouvent très commode non-seulement que le vendeur paie le droit d'octroi, mais encore qu'il reste entre leurs mains souvent une somme égale au moins à celle du droit réel lorsqu'il est liquidé définitivement, se sont ligués contre les marchands et cultivateurs qui fournissaient des cautionnements. Ils ont refusé d'acheter leurs bestiaux, les obligeant ainsi à les faire ressortir. Alors, dépourvus de protection, les marchands et cultivateurs ont été forcés de céder, et on est retombé dans l'ancien usage abusif dont les funestes effets viennent de vous être démontrés.

Puisque les intentions aussi justes que bonnes de l'administration municipale ont été paralysées par une sorte de coalition toujours blåmable, elle doit recourir à un moyen plus efficace, impossible à éluder, et veiller à sa parfaite

CXII.

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exécution; car elle doit justice et protection aux vendeurs comme aux acheteurs, sous peine de voir notre marché

s'anéantir.

Voici en quoi consisterait ce moyen:

Ce serait de prendre les mesures nécessaires pour que notre marché aux bestiaux fût un véritable franc-marché, débarrassé de toutes les entraves qui ne sont pas indispensables; heureusement son emplacement le permet.

Tous les bestiaux provenant des diverses contrées plus ou moins éloignées, situées sur la rive gauche de la Seine, et qui peuvent arriver au marché sans passer par l'intérieur de la ville dans l'enceinte des barrières, ne seraient assujettis à aucune consignation. Ils n'auraient qu'un faible droit de place à acquitter.

Quant aux bestiaux venant de la rive droite, ceux-là seraient traités comme toute marchandise qu'on demande à transiter par la ville, pour en sortir en passe-debout dans un bref délai. Ils continueraient à être astreints à fournir comme aujourd'hui un cautionnement ou à déposer une consignation. Il serait délivré un passavant au conducteur à la barrière de sortie, c'est-à-dire au bureau de l'octroi, près de la grille des abattoirs, ou à celui placé à l'angle du mur d'enceinte au bout, à l'est de la rue de Grammont. Le conducteur présenterait ses bestiaux et son passavant aux employés qui lui restitueraient sa consignation ou lui donneraient décharge de son cautionnement. S'il était possible d'accorder des conduites aux marchands ou cultivateurs qui demanderaient exercice de cet avantage en payant, le marché de Rouen ne laisserait rien à désirer sous le rapport des facilités, surtout si cette conduite pouvait avoir lieu pour plusieurs marchands ensemble. Ainsi, tous les bestiaux introduits sur le marché se trouveraient dans les mêmes conditions sans acception de provenance, et sans d'autres entraves

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