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bres, quelque peu recommandable qu'il soit, périsse de misère ou d'inanition. Mais est-elle tenue d'assurer plus que la subsistance indispensable, de fournir ce que l'on entend par le bien-être? Évidemment non, car cela lui est impossible. S'il fallait qu'elle eutretint tous ses membres, qu'elle fit à chacun un sort convenable, où pourrait-elle prendre les trésors nécessaires, à moins de s'emparer, violemment de toutes les propriétés particulières? Ceux qui ont fait accroire aux prolétaires que l'état pouvait et devait fournir à tous des moyens assurés d'existence, les ont évidemment et sciemment trompés, pour s'en faire des auxiliaires et des marche-pieds, à l'effet d'atteindre au but de leur coupable ambition et de leur cupidité.

Mais n'y a-t-il aucune possibilité d'établir un système raisonnable d'assistance, propre à soulager la misère et l'indigence des hommes honnêtes à qui le courage ne manque point, malgré l'infériorité de position où les a placés le sort, l'inévitable inégalité des conditions humaines? En d'autres termes, ne peut-on pas aviser à créer aux hommes honnêtes, et de bonne volonté, des ressources suffisantes pour les mettre à l'abri du besoin dans leurs jours de malheur, et dans leurs vieux jours?

Cette question si importante, examinée attentivement par des esprits très éclairés, leur a paru tellement entourée de difficultés qu'ils l'ont jugée à peu près insoluble. Ils ont passé en revue les solutions proposées par des gens plus ingénieux à réver des utopies, qu'à trouver des combinaisons praticables. Ils en ont fait ressortir les nombreux inconvénients Les plus prudents ne sachant comment échapper à toutes les objections se sont abstenus de formuler aucune conclusion. D'autres, plus aventureux, se sont persuadés que le Gouvernement pouvait créer des caisses générales de secours et de retraite, sans s'inquiéter de l'énormité de la dé pense, et de l'extrême difficulté d'obtenir équitablement, sans mesure acerbe, des contributions individuelles suffi

santes. D'autres, enfin, ont proposé des caisses distinctes : les unes pour simples secours éventuels et mutuels; les autres pour pensions de retraite. Plusieurs projets de ce genre sont même soumis en ce moment à l'assemblée législative. Cependant, comme rien n'est arrêté définitivement à cet égard, on peut encore apporter le modeste tribut de ses études et de ses méditations, ne dût-il en résulter qu'une seule bonne idée à ajouter aux renseignements recueillis de tous côtés, avec tant de bon vouloir, par la haute administration.

Au risque d'encourir le reproche de témérité, nous essayerons de proposer nous-même un système qui nous paraît le plus propre à réaliser la solution cherchée, sans entraîner le gouvernement dans des dépenses excessives.

Nous commencerons par observer que les misères humaines peuvent se partager en deux grandes classes: celle des êtres à qui les infirmités ou une impuissance fatale ne permettent aucun travail quelconque, et celle des êtres qui, après avoir épuisé les ressources d'un travail courageux, approprié à leurs forces physiques ou morales, se trouvent arrivés à cette dernière période de l'existence où leurs forces les abandonnent, où tout travail leur devient impossible. La première classe, heureusement bien moindre que la seconde, se trouve en très grande partie secourue par les hôpitaux et par les charitables établissements de toute espèce. C'est donc seulement à la seconde classe, la plus nombreuse, que nous cherchons ici les moyens de porter secours. Ces secours doivent être de deux sortes: accidentels pour les impossibilités de travail; permanents pour les impossibilités définitives. Ainsi, secours momentanés en cas d'infirmités et de privation de travail; secours indéfinis en cas de vieillesse, autrement dits pensions de retraite ; voilà ce qu'il s'agit d'organiser.

On conçoit que pour avoir droit à de tels secours, il faut nécessairement que l'homme valide ait fait preuve de courage, en travaillant lorsqu'il le pouvait, et de bonne con

duite, en économisant une faible portion du prix de son travail, pour le moment où il se trouverait hors de service.

Quant aux prolétaires qui ne travaillent pas, le Gouvernement, ainsi que nous l'avons dit, ne peut se charger de pourvoir à leurs besoins. On a essayé de le faire en Angleterre, au moyen de ce qu'on appelle la taxe des pauvres. Cet impôt exorbitant, dont une grande partie est absorbée par les frais ou les abus de son administration, et dont la plus petite partie va seule à sa destination réelle, n'est qu'un faible palliatif de la plaie du pauperisme, qui tend à s'accroître de plus en plus.

Pour que l'honnête travailleur puisse faire fructifier ses économies, quelque modiques qu'elles soient, il faut absolument recourir à l'action collective; il faut trouver à les placer en commun dans une association d'assurances mutuelles, où les cotisations volontaires de tous les associés puissent être mises à profit dans l'intérêt éventuel de chacun d'eux. La solidarité qui doit lier ensemble les individus formant entre eux une Société de ce genre, peut s'établir facilement parmi des hommes qui ont une communauté d'intérêts, qui s'occupent d'une même industrie ou de travaux analogues; qui, suffisamment rapprochés les uns des autres, peuvent s'entendre et s'affectionner mutuellement. Il existe déjà un nombre considérable de pareilles Sociétés très utiles, fonctionnant très bien, pour secourir les misères accidentelles, et concourant même à améliorer les mœurs de la classe ouvrière. Mais restreintes à de faibles ressources, à cause du petit nombre de leurs affiliés, elles ne peuvent pas assurer des pensions aux vieillards. Quelques-unes ont, à la vérité, des pensionnaires, mais ce sont des ressources exceptionnelles qui le leur permettent, et, généralement, elles ne sont pas assez riches pour pouvoir, comme elles le voudraient, instituer des pensions de retraite.

D'un autre côté, comment réunir dans une seule association tous les individus appartenant aux différents genres d'in

dustrie et de travail; en un mot, tous les prolétaires disséminés dans un pays comme la France? Pour régir une pareille association, il faudrait une administration immense, excessivement dispendieuse; les frais absorberaient presque tout le profit des cotisations personnelles ; ce serait une charge énorme pour l'état, qui ne pourrait y subvenir que par une augmentation considérable d'impôts à laquelle on ne peut pas songer. Il faut donc s'en tenir aux Sociétés de secours mutuels, et les rendre, par une plus large organisation, susceptibles de servir aussi des pensions de retraite.

Ces Sociétés, à notre avis, doivent être placées dans des limites assez grandes, pour embrasser un nombre considérable d'adhérents, afin que la contribution de chacun d'eux, en faveur des confrères malheureux, soit aussi légère que possible; mais le siége en doit être assez rapproché des associés, pour que chacun puisse y aborder facilement, et voir clair dans leur gestion. L'étendue d'une commune, surtout d'une commune rurale, scrait beaucoup trop étroite pour remplir convenablement la première condition. L'étendue d'un département ou même d'un arrondissement, serait trop grande pour remplir convenablement la dernière.

La division par canton nous paraît généralement la plus avantageuse ; d'autant mieux que si la population d'un canton était trop faible, rien n'empêcherait de former une Société de deux ou même de trois cantons limitrophes. Nous admettrons donc en principe, sauf un petit nombre d'exceptions, qu'il devrait être établi dans chaque chef-lieu de canton une caisse de secours et de retraite, où chaque individu du canton pût avoir le droit de s'associer.

Mais les cotisations personnelles des associés pourraientelles suffire à l'alimentation de la caisse, et la mettre en état de subvenir à la charge des pensions de retraite? La mise à profit des intérêts composés, l'accroissement de fonds occasionné par la disponibilité définitive de tous les dépôts provenant des associés décédés, augmenteraient les facultés de

la caisse de manière à couvrir une bonne partie de ses charges. Cependant, en calculant rigoureusement les chances. d'accroissement par intérêts, les chances de mortalité de la population, et enfin, les chances de survivance des infirmes et des vieillards, on voit qu'il faudrait beaucoup de prudence et d'économie dans la distribution des secours, et que néanmoins les cotisations toutes seules n'empêcheraient pas la caisse d'être épuisée en un certain nombre d'années. Il faut donc d'autres moyens d'alimentation. Or, on peut compter, d'une part, sur la bienfaisance publique, qui certainement ne fera pas défaut, et que l'on peut bien évaluer au cinquième, au moins, du montant des cotisations personnelles. On peut espérer que le gouvernement consentirait à favoriser une institution si éminemment utile, si nécessaire même, en y contribuant aussi pour un cinquième de ces mêmes cotisations anuuelles. Au moyen de ces trois sources d'alimentation, cotisations personnelles, dons des bienfaiteurs et subvention du Gouvernement, la caisse pourrait faire face à tout, et le difficile problème de l'assistance publique se trouverait résolu d'une manière très satisfaisante.

Examinons maintenant comment il conviendrait d'organiser cette caisse pour qu'elle remplit fidèlement sa destination, et qu'elle pût inspirer toute confiance

La première et la plus importante condition, c'est que la caisse soit parfaitement à l'abri de tout détournement. Il faut qu'elle soit constituée comme propriété inaliénable et insaisissable des associés, sans aucune intervention fiscale; et que si, par une circonstance quelconque, l'autorité publique témoignait la moindre velléité de s'en emparer, les fonds puissent, à l'instant même, être repris et partagés, par l'administration de la caisse, entre tous les déposants associés, au prorata de leurs mises respectives. L'État devrait donc déclarer par une loi formelle et inviolable, que toute caisse de secours et de retraite sera considérée et respectée comme propriété personnelle de tous les déposants existants, qui seuls auront le droit de l'administrer et d'en disposer, suivant

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