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chercher dans les langues modernes, dans des langues fans profodie, & privées de l'inverfion?

Quant à la profodie, il n'eft aucune langue qui n'en ait une plus ou moins décidée, & dont un habile écrivain ne puiffe tirer avantage. Pour l'inverfion, j'avoue que, du côté de l'harmonie, elle eft d'un prix ineftimable; mais dans les langues où l'orateur n'a pas le choix de la place des mots, il a du moins le choix des mots eux-mêmes, & des tours qui, dans la fyntaxe, font les plus dociles au nombre : c'eft avec ces deux feuls moyens de façonner l'expreffion, que Racine & que Maffillon ont fu la rendre harmonieufe. Ceux donc qui regardent comme puéril ou infructueux le foin de fe former l'oreille au choix du nombre, du mouvement, de la coupe du ftyle indiquée par la nature, n'ont qu'à lire attentivement & les vers de Racine & la profe de Maffillon, comme Maffillon & Racine fifoient Cicéron & Virgile.

4°. L'incife & la Période feront placées par la nature même, c'eft à dire, en 1aifon de leur analogie avec l'image ou le fentiment, avec l'impulfion donnée au ftyle par les affections de l'âme la fucceffion des idées, & par le mouvement par plus lent ou plus rapide, plus foutenu ou plus entrecoupé, qu'elles impriment au difcours.

Dans des harangues, dont le genre eft modéré, tranquile, fans contention, fans paffion, le ftyle périodique eft naturellement place; & lors même

que

l'artifice en eft fenfible, il ne nuit point à l'orateur. Nam quum is eft auditor, qui non vereatur ne compofite orationis infidiis fua fides attentetur, gratiam quoque habet oratori voluptati aurium fervienti.

Dans l'Éloquence du Barreau, le ftyle périodique ne doit point dominer. Si enim femper utare, quum fatietatem affert, tum quale fit etiam ab imperitis agnofcitur; detrahit præterea actionis dolorem, aufert humanum fenfum actoris, tolliı funditus veritatem & fidem. Mais il n'en doit pas être exclu. Dans la louange, où il s'agit d'amplifier avec magnificence, dans une narration qui demande plus de pompe & de dignité que de chaleur & de pathétique, dans l'amplification en général, la Période eft d'un ufage plus convenable & plus fréquent. Sape etiam in amplificandâ re, conceffu omnium, funditur numerofe & volubiliter oratio. Id autem tunc valet, quum is qui audit ab oratore jam obfeffus eft ac tenetur. Mais nulle part il ne faut négliger de varier les mouvements du ftyle; & lors même qu'il eft le plus fufceptible des dèvelopements de la Période, comme dans les péroraifons, Cicéron recommande d'y méler des incifes.

Le ftyle coupé, ou en incifes, convient à l'énumération, à la gradation, aux defcriptions animées, à l'accumulation, à l'argumentation preffante, aux mouvements paffionnés: Hæc enim (incifa) in

veris caufis maximam partem orationis obtinent, Mais Cicéron demande auffi qu'après un certain nombre de ces phrafes coupees, il en fuccède une qui ait plus de confiftance & qui leur ferve de clôture & d'appui. Deinde omnia, tanquam crepidine quadam, comprehenfione longiore fufti

nentur.

Quant à la facilité de paffer de la Période à l'incife, le moindre exercice la donne. Il fuffit de retrancher le terme qui exprime le raport & la liaifon des parties de la Période : alors chacune d'elles fera un fens fini. His igitur fingulis verfibus (hexametrorum inftar) quafi nodi apparent continuationis, quos in ambitu conjungimus. Sin membratim volumus dicere, infiflimus: idque, quum opus eft, ab ifto curfu invidiofo facilé nos & fæpe disjungimus.

Mais dans quelque genre d'Eloquence qu'on em→ ploye le ftyle périodique, il faut que la nature lemble elle-même l'avoir placé & en avoir marqué le nombre. Compofitione ita ftructa verba fint, ut numerus non quæfitus, fed fequutus effe videatur. Cicéron veut que le nombre foit lent dans les expofitions, rapide dans les contentions. Curfum contentiones magis requirunt, expofitiones rerum, tarditatem: & il indique les différents moyens de précipiter ou de ralentir la Période.

Il eft quelquefois néceffaire d'abréger la phrase ou de l'étendre, uniquement pour contenter l'oreille. Sæpe accidit ut aut citiùs infiftendum fit, aut longiùs procedendum, ne brevitas defraudaffe aures videatur, aut longitudo obtudiffe; & il n'y a perfonne qui n'ait fenti cette vérité en écrivant : mais ce ne doit jamais être en employant des mots parafites & fuperflus. Ne verba trajiciamus apertè, quo meliùs aut cadat aut volvatur

oratio.

Cicéron n'eft point de l'avis de ceux qui penfoient que c'étoit affez que le nombre fût fenfible à la chute des Périodes; & l'on voit que nom feulement il s'appliquoit à fraper l'oreille en débutant; & à la fatisfaire en terminant fa phrase par une chute harmonieuse, mais qu'à tous les fens fufpendus il plaçoit un nombre marqué. Plerique cenfent cadere tantum numerofè oportere, terminarique fententiam. Eft autem, ut id maxime deceat; non id folum..... quare, quum aures extremum femper expectent, in eoque acquiefcant, id vacare numero non oportet; fed ad hunc exitum tamen à principio fieri debet verborum illa comprehenfio, & tota à capite ita fluere, ut ad extremum veniens ipfa confiftat.

Il recommande fingulièrement de varier les définences: In oratione prima pauci cernunt, pof trema plerique: quæ quoniam apparent & intel liguntur, varianda funt; ne aut animorum judiciis repudientur, ne aurium fatietate.

Tels font, à l'égard du ftyle périodique, les préceptes de l'un des plus harmonieux écrivains en

Eloquence; & dans toutes les langues il eft poffible de profiter de fes leçons.

Si l'on veut avoir fous les ieux la formule de la Période françoife; en voici des exemples.

Période à quatre membres.

Pourquoi voudriez-vous être respecté dans vos malheurs; pourquoi voudriez-vous que l'on fût Jenfible à vos peines; vous qui, dans vos prof pérités, avez montré tant d'infolence; vous qui n'avez jamais accordé une larme, un regard aux infortunes?

Période à trois membres.

Pourquoi voudriez-vous être plaint & respecté Lans vos malheurs; vous qui, &c.

Période à deux membres.

Pourquoi voudriez-vous être refpecté dans vos malheurs ; vous qui, dans vos prospérités, avez montré tant d'infolence?

Rompez la liaifon, & ditez: Vous n'avez montré que de l'orgueil dans vos profpérités. Vous n'avez pas droit de prétendre qu'on respecte votre infortune. Alors vous aurez des ircifes.

Il y avoit, du temps de Cicéron, des hommes, ou févères ou envieux, qui trouvoient trop d'artifice dans le ftyle périodique. Nimis enim infidiarum, difoient-ils, ad capiendas aures, adhiberi videtur, fi, etiam in dicendo, numeri ab oratore quæruntur.

Il y en avoit d'autres qui n'y voyoient que de l'art, & qui n'en fentoient point l'agrément & le charme. C'eft de ces ennemis d'un ftyle harmonieux, périodique, arrondi, numerofæ & aptæ orationis; c'eft de ces artifans d'un ftyle informe & raboteux (ipfi infracta & amputata loquuntur), que Cicéron difoit: Quas aures habeant, aut quid in his hominis fimile fit nefcio. « Mais quelques oreilles » qu'ils aient, les miennes fe plaisent, ajoutoit-il > au fentiment du nombre & à la forme régulière » & complette de la Période, & ne peuvent s'ac

coutumer ni à des phrases eftropiées, ni à des phrafes rélondantes: Meae quidem & perfecto » completoque verborum ambitu gaudent, & curta fentiunt, nec amant redundantia.

» Ces détracteurs de la Période, poursuivoit Ci»céron, trouvent plus beau un ftyle dur, rompu, » & mutilé; mais fi la penfée & l'expreffion ne perdent rien de leur jufteffe à rouler enfemble »jufqu'à leur repos, pourquoi vouloir que le ftyle » boite ou s'interrompe à chaque pas ? Sin-proba

res, lecta verba, quid eft cur claudicare aut infiftere orationem malint, quam cum fententiâ • pariter excurrere? Cette Période, qui leur eft odieufe, ne fait autre chofe que d'embraffer la

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Par parenthèse, il eft affez plaifant que cet invidus numerus ait fait dire à quelqu'un, que la Période eft fille de l'envie. Mais continuons d'écouter Cicéron.

« Nos anciens s'occupèrent, dit-il, de la penfée » & de l'expreffion avant que de fonger au nombre;

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car ce qu'il y a de plus néceffaire & de plus » facile en même temps, eft ce qu'on invente d'a»bord. Nam quod & facilius eft & magis neceffarium, id femper ante cognofcitur. Mais dès » qu'on eut trouvé la Période, tous les grands » Orateurs l'adoptèrent: quá inventa, omnes ufos Oratores videmus. Que fi fes détracteurs magnos » ont des oreilles affez inhumaines, affez fauvages » pour en méconnoître le charme, n'y a-t-il au » moins rien qui les frape dans l'exemple & l'au»torité des plus favants maîtres de l'Art? Quod fi aures tam inhumanas tamque agreftes habent, ne doctiffimorum quidem virorum eos » movebit auctoritas? Ces cenfeurs blâment ceux » qu'ils ne peuvent pas imiter & ce qu'ils n'ont » point l'art de faire; eos vituperant qui apta & » finita pronunciant: & il ne leur fuffit pas qu'on » s'abftienne de méprifer leur impuiffance, ils exi» gent qu'on l'aplaudiffe: quod qui non poffunt, non eft eis fatis non contemni, laudari etiam » volunt.

» Mais qu'ils effayent de compofer quelques mor» ceaux d'une profe nombreuse; & s'ils excellent >> une fois dans ce genre d'écrire, on pourra croire » qu'ils n'y ont pas renoncé par défefpoir, mais » qu'ils le blâment fincèrement & le négligent » deffein: Atque ut planè genus hoc quod ego » laudo contempfiffe videantur, fcribant aliquid » vel ifocratico more, vel quo Efchines au De» mofthenes utitur; tum illos exiftimabo, non defperatione formidaviffe genus hoc, fed ju» dicio refugiffe. Et moi, de mon côté, je trou » verai, dit-il, quelqu'un qui fera de leur profe >> rompue & difperfée: facilius eft enim aptà dif folvere, quam diffipata connectere ».

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Mettez la Période muficale à la place de la Période oratoire; tout ce que Cicéron a dit de l'une, fe trouvera convenir à l'autre ; & vous verrez alors fi c'est aux amateurs d'un chant périodique & régulièrement deffiné, ou aux partifans d'un chant tronqué, mutilé, faus deffin, fans liaifon, fans unité, qu'a dû s'appliquer le paffage quas aures habeant nefcis.

Du refte, le mot de Période, en fait de Mufique, eft auffi ufité qu'en parlant d'Eloquence · les® bons écrivains & les hommes inftruits n'appellent pas autrement le cercle que décrit un chant dont les parties fe developent & fe renferment dans un

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deffin régulier & fini. Voyez l'Efai fur l'union de la Poéfie & de la Mufique. (M. MARMONTEL.)

PÉRIODIQUE, adj. Grammaire & Rhétorique. Il fe dit d'un ftyle ou d'un difcours qui a du nombre ou de l'harmonie, ou qui eft compofé de Périodes travaillées avec art. Voyez Noм

BRE.

Le ftyle périodique a deux avantages fur le ftyle coupé le premier, qu'il eft plus harmonieux; le fecond, qu'il tient l'efprit en fufpens. La Période commencée, l'efprit de l'auditeur s'engage & eft obligé de fuivre l'orateur jufqu'à la fin; fans quoi, il perdroit le fruit de l'attention qu'il a donnée aux premiers mots. Cette fufpenfion eft très-agréable à l'auditeur, elle le tient toujours éveillé & en haleine: ce qui prouve que le ftyle périodique eft, plus propre aux difcours publics que le ftyle coupé, quoique celui-ci n'en doive pas être exclu; mais le premier doit y dominer. (ANONYME.)

PÉRIPHRASE, f. f. Rhétor. C'est à dire, Circonlocution, détour de mots; figure dont Quintilien a fi bien traité(liv. VIII, c. vj.). Pluribus verbis quum id quod uno aut paucioribus dici poteft,explicatur, Periphrafim vocant, circuitum loquendi; qui nonnunquam neceffitatem habet, quoties dielu deformia operit. . . Interim ornatum petit folum, qui eft apud poetas frequentiffimus, & apud oratores non rarus, femper tamen adftriczior. Il eft de la décence de recourir aux Périphrafes, pour faire entendre les chofes qu'il ne convient pas de nommer. Ces tours d'expreffion font fouvent néceffaires aux orateurs. La Périphrafe, en étendant le difcours, le relève; mais il la faut employer avec choix & avec mefure, pour qu'elle foit orationis dilucidior circuitio, & pour y produire une belle harmonie.

Platon, dans une oraifon funèbre, parle ainfi : «Enfin, Mellieurs, nous leur avons rendu les der»niers devoirs, & maintenant ils achèvent ce fatal

voyage ». Il appelle la mort ce fatal voyage; enfuite il parle des derniers devoirs comme d'une pompe publique, que leur pays leur avoit préparée exprès pour les conduire hors de cette vie. De même Xénophon ne dit point, Vous travaillez beaucoup; mais « Vous regardez le travail comme » le feul guide qui peut vous conduire à une vie heureufe ».

La Périphrafe fuivante d'Hérodote eft encore plus délicate. La déeffe Vénus, pour châtier l'infolence des fcythes, qui avoient ôfé piller fon temple, leur envoya une maladie qui les rendoit femmes. Il y a dans le grec sisa ; c'eft vraifemblablement le vice de ceux dont S. Grégoire de Naziance dit qu'ils font

Ασωτίας αίνιγμα, η γράφος παθών
Ανδρες γυναίξε τις γυναῖκες ἀνδώσρινα

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Un paffage du fcoliafte de Thucydide eft décifif. Il parle de Philoctète, qu'on fait avoir été puni par Vénus de la même manière qu'Hérodote dit qu'elle punit les fcythes.

Cicéron, dans fon plaidoyer pour Milon, ufe d'une Périphrafe encore plus belle que celle de l'hiftorien grec. Au lieu de dire que les esclaves de Milon tuèrent Clodius, il dit Fecerunt fervi Milonis, neque imperante, neque fciente, neque præfente domino, id quod fuos quifque fervos in tali re facere voluiffet. Cet exemple, auffi bien que celui d'Hérodote, entre dans le trope que l'on nomme euphémifine, par lequel on déguife les idées défagréables, odieufes, ou triftes, fous des noms, qui ne font point les noms propres de ces idées: ils leur fervent comme de voiles; & ils en expriment en apparence de plus agréables, de moins choquantes, ou de plus honnêtes, felon le befoin.

L'ufage de la Périphrafe peut s'étendre fort loin, & la Poéfie en tile fouvent beaucoup d'éclat; mais il faut alors qu'elle faffe une belle image. On a eu raison de blâmer cette Périphrafe de Racine, dans le récit de Théramène;

Cependant, fur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide:

une montagne humide qui s'élève à gros bouillons fur la plaine liquide, eft proprement de l'enflure. Le dos de la plaine liquide eft une métaphore qui ne peut fe tranfporter du latin en françois; enfin, la Périphrafe n'eft pas exacte, & fort du langage de la Tragédie.

Mais les deux vers fuivants,

Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa cronpe fe recourbe en replis tortneux;

ces deux vers, dis-je, font bien éloignés d'être une Périphrafe gigantefque; c'eft de la grande Poéfie, où fe trouve la précision du deffin & la hardieffe du coloris. Oublions feulement que c'eft Théramène qui parle. (Le chevalier DE JAUCOURT.)

(N.) PÉRIPHRASE, f. f. C'eft un mot d'origine grèque. Ispipparis, circumlocutio; RR. epi, circum, & paw, loquor. La Périphrafe est une figure de penfée par developement, dans laquelle, au lieu de l'expreffion fimple qui rendroit l'idée immédiatement & fans apret, on fe fert d'une expreffion plus étendue, qui dévelope les idées partielles de celle que l'on veut faire entendre fans la montrer directement.

Pour être un véritable ornement dans le difcours, la Périphrafe ne doit point y paroîre fans un jufte fondement; autrement, ce ne feroit plus qu'une circonlocution vicieufe. Voyez CIRCON LOCUTION. Différents motifs font recourir à cette

gure; & les expreffions qu'on y emploie doivent alors être adaptées au motif.

I. On y a recours par bienféance, lorsqu'on a befoin d'exprimer certaines chofes qu'on ne peut exprimer par leur nom fans pécher contre l'honnételé. Maimbourg parle ainfi de la mort d'Arius : L'effet de cette crainte fut fi prompt & fi violent, que, fe fentant preffé d'une néceffité naturelle, il fut obligé de fe retirer à la hâte dans un lieu public qu'on lui montra tout joignant la place; & là il mourut fur le champ d'un horrible genre de mort.

II. Par délicateffe, pour relever des chofes communes ou baffes. Ces foudres de bronze, dit Fléchier, que l'enfer a inventés pour la deftruction des hommes ; c'est à dire, les canons.

Voltaire, au lieu de dire fimplement, Demandez à Silva comment fe forme le chile & le fang, anoblit ces idées par une Périphrafe:

Demandez à Silva, par quel fecret mystère
Ce pain, cet aliment, dans mon corps digéré,
Se transforme en un lait doucement préparé ;
Comment, toujours filtré dans fes routes certaines,
En longs ruiffeaux de pourpre il court enfler mes veines.

III. Par néceffité, quand il s'agit de traduire, & que l'une des deux langues, comme cela arrive fouvent, n'a point de terme qui foit le jufte équivalent de celui de l'autre idiome.

Sallufte, par exemple, dit de Catilina (Bell. Catil. V.) qu'il étoit ingenio malo pravoque : les deux adjectifs malo & pravo, qui font fynonymes, fembleroient pouvoir fe rendre par un feul dans notre langue, ainfi que l'a fait l'abbé de Caffagne, qui dit qu'il avoit de très-méchantes inclinations; mais ce n'eft pas rendre Sallufte. Le P. Dotteville, fans rendre l'ingenio, met deux adjectifs françois à la place des deux latins, & dit de l'homme, qu'il étoit pervers & corrompu; mais ces deux adjectifs font-ils de juftes équivalents, & le font-ils bien clairement ? Qu'on me pardonne i je me cite en exemple; ce n'eft pas que je prétende me donner pour modèle, je ne veux que Faire entendre ma penfée fur l'ufage de la Périphrafe dans le cas dont il s'agit : j'ai donc cru devoir rendre la valeur de ces deux termes, en développant les idées acceffoires comprifes dans leur fignification refpective, il étoit d'un caractère porté au mal par nature & par habitude; c'eft, je crois, le véritable fens de Sallufte, puifqu'il eft avoué que MALUS eft naturâ, PRAVUS exercitio & ufu. On m'a confeillé de dire, dans mes dernières éditions, il étoit d'un caractère méchant & dépravé j'ai l'air, j'en conviens, d'être plus près de la lettre de l'hiftorien; mais fuis - je auffi près de fa pensée ?

De même, fi l'on avoit à traduire en latin le nom Perruque: comme ce mot exprime une idé

factice inconnue aux anciens, ils ne nous ont laiffé. aucun terme qui y correfponde;' nous ferions donc forcé de recourir à la Périphrafe, & de dire Coma adfcititia (Chevelure empruntée d'ailleurs).

IV. Par énergie, dans l'intention de dèveloper fpécialement certaines idées partielles, fur lefquelles on fonde ce que l'on avance. Joad, par exemple, auroit pu dire fimplement à Abner, Dieu fait bien des méchants arréter les complots; mais Racine, qui vouloit mettre dans la bouche du grand prêtre & la maxime & la preuve, l'a prife dans une idée partielle de celle de Dieu, dans l'idée d'un miracle de fa toute - puiffance:

Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait auffi des méchants arréter les coinplots.

L'Antonomafe ( voyez ce mot), qui eft une efpèce de Périphrafe, ne doit, pour faire un bon effet dans le difcours, y être employée que dans de pareilles vûes.

V. Par Euphémisme (voyez ce mot), pour adoucir des idées qui pourroient paroître dures & révoltantes. Cicéron, contraint d'avouer que les gens de Milon avoient tué Clodius, n'a garde d'en faire l'aveu fans précaution; c'eût été perdre fa partie mais en ufant de Periphrafe, il déguise Î'horreur de ce meurtre fous une idée, qui ne pouvoit déplaire aux juges & qui fembloit même les intéreffer, d'autant plus qu'il a d'abord montré la chofe comme un guet-apens de la part de Clo

dius :

:

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VI. Par goût, pour orner & embellir l'élocution c'eft un fonds où puifent quelquefois les orateurs, principalement dans le genre démonftratif; mais c'est surtout pour les poètes une mine abondante.

M. Thomas, admirant la tranquilité de M. le Dauphin au moment de fa mort, fubftitue à ces quatre mots une Périphrafe admirable: Quoi ! dit-il, dans le moment où tout échape, où le trône s'enfonce & ne laiffe voir à fa place qu'un tombeau qui s'ouvre; quand tous les êtres qui environnent l'âme s'en détachent & fe reculent; quand les fens qui la lient à l'univers fe retirent; quand les refforts de la machine crient & Je rompent; lorfque le temps n'eft plus que le calcul lent & affreux de la deftruction; quand

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l'âme, folitaire, arrachée à la nature & à Jes propres fens, eft fur le point d'entrer dans un avenir impénétrable: quoi ! dans ce moment étre tranquile! L'art de ce morceau confifte à avoir fait contrafter, avec la tranquilité du prince mourant, les idées les plus propres à jeter, même dans une âme forte, le trouble, le défespoir, & l'effroi.

Le génie de la Poéfie confifte à amufer l'imagination par des images, qui au fond fe réduifent fouvent à une penfée que le difcours ordinaire exprimeroit avec plus de fimplicité, mais d'une manière ou trop sèche ou trop baffe: la Périphrafe poétique préfente la penfée fous une forme plus. gracieufe ou plus noble.

C'eft ainfi qu'au lieu de dire fimplement, à la pointe du jour, Voltaire dit par Périphrase :

L'aurore cependant, au visage vermeil,

Ouvroit dans l'Orient les portes du foleil;

La nuit en d'autres lieux portoit les voiles fombres;
Les fonges voltigeants fuyoient avec les ombres.

Pour dire, Aujourdhui que j'ai cinquante huit ans, Boileau dit par une Périphrase élégante:

Mais aujourdhui qu'enfin la vieillesse venue,

Sous mes faux cheveux blonds déja toute chenue,
A jeté fur ma tête, avec fes doigts pefants,
Onze luftres complets furchargés de trois ans.

Au lieu de dire fimplement, Nous sommes en Automne, le grand Rouffeau emploie poétiquement une Périphrafe pleine d'images agréables & intéresfantes:

Le foleil, dont la violence

Nous a fait languir fi long temps,
Arme de feux moins éclatants
Les rayons que fon char nous lances
Et plus paisible dans fon cours,
Laifle la céleste Balance
Arbitre des nuits & des jours.

L'Aurore, déformais flérile
Pour la divinité des fleurs,
De l'heureux tribut de fes pleurs
Enrichit un dieu plus utile;
Et fur tous les côteaux voifins,
On voit briller l'ambre fertile
Dont elle dore nos raisins.

Greffet pouvoit dire fans aprêt, Sur la mon tagne fainte Geneviève, quartier de l'univerfité, rue S. Jacques, eft le collège de Louis le grand: mais que cette indication devient intéressante par

les belles Périphrafes que l'auteur fubftitue au détails arides que l'on vient de marquer !

Sur cette montagne empestée,
Où la foule toujours crotée
Des prettolets provinciaux
Trote fans ceffe & fans repos;
Vers ces demeures odieuses,
Où règnent les longs arguments
Et les harangues ennuyeufes,
Loin du féjour des agréments;
Enfin, pour fixer votre vûe,
Dans cette pédantefque rue,

Où trente faquins d'imprimeurs,
Avec un air de conféquence,
Donnent froidement audience
A cent faméliques auteurs:
Il est un édifice immense,
Où, dans un loifir ftudieux,
Les doctes arts forment l'enfance
Des fils des héros & des dieux,

Il réfulte de tout ce qu'on vient de dire, que toute Périphrafe doit être juftifiée par un motif d'utilité; qu'elle doit réveiller des idées acceffoires intéreffantes, & préfenter des images convenables; qu'elle doit éviter l'obfcurité, l'enflure, la diffufion. Mais la richeffe même que cette figure jette dans le ftyle, doit en rendre l'ufage très-circonfpect, furtout en profe. (M. BEAUZEE.)

(N.) PÉRIPHRASER, v. n. Dire, par un long circuit de mots inutiles, ce qu'on pourroit dire plus brièvement.

Quoique le nom de Périphrafe ne se prenne qu'en bonne part, le verbe Périphrafer, qui en dérive, ne fe prend qu'en mauvaise part & dans le fens du nom Circonlocution. Voyez ces mots. (M. BEAUZÉE.)

(N.) PÉRISSOLOGIE, f. f. Vice d'élocution, oppofé à la Concifion, & qui confifte à répéter en d'autres termes, fans néceffité, une idée ou une pensée fuffifamment énoncée auparavant.

Il y a donc deux efpèces de Périfologie: l'une qui confifte dans la répétition fuperfue d'une idée; & l'autre dans la répétition inutile d'une même pensée.

I. La première furcharge la phrafe de quelque mot inutile à la plénitude grammaticale & à l'in telligence du fens, parce que l'équivalent est déja indiqué ou par quelque autre mot ou par les cir conftances en voici des exemples.

L'entretien fe termina à des plaintes récipro ques de part & d'autre; le mot réciproques die la même chofe que de part & d'autre.

Cette lettre eft remplie de beaucoup de civilités; le mot beaucoup eft de trop, à caufe de remplie, qu le fuppofe.

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