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AVERTISSEMENT

Parmi nos auteurs classiques, le plus assuré de ne jamais vieillir est peut-être bien Molière; non seulement en effet le public français trouve à le relire ou à le voir représenter un plaisir toujours nouveau, mais c'est lui aussi que la littérature européenne ou universelle a dès maintenant le plus complètement adopté.

Certes la gaieté et le sérieux qui règnent dans ses œuvres, le franc comique de ses farces, comme aussi la vigueur des peintures où il démasque les vices éternels de l'homme autant que les travers de son temps, suffisent amplement à justifier cette faveur; mais cette faveur ne serait pas complètement expliquée pour qui voudrait dans l'auteur du Tartuffe et d'Amphitryon séparer le moraliste de l'écrivain, pour qui oublierait un instant combien la langue que Molière fait parler à ses personnages contribue à nous les faire trouver vivants et réels, combien ce style de Molière, qui, du comique au sévère, a connu tous les tons, contribue à faire de ses pièces des œuvres parfaites, où toujours la forme donne à l'idée toute sa valeur. La richesse de l'invention verbale chez Molière n'est pas moins frappante que la vérité des caractères qu'il nous a montrés au théâtre ; il y a même une force comique toute particulière qui naît de la variété, de l'abondance d'un style où l'expression juste et nécessaire semble toujours être venue d'elle-même s'offrir au poète, exception faite, si l'on veut, pour les amphigouris de Dom Garcie.

Il ne s'agit pas ici d'analyser dans le détail ni de louer ce style; quelques remarques cependant doivent être faites, afin de bien indiquer au lecteur ce qu'il trouvera dans le présent Lexique de la langue de Molière.

Molière a employé un très grand nombre de mots. Qu'on se rappelle seulement qu'il a fait parler les personnages les plus divers, depuis les dieux de l'Olympe jusqu'aux valets bouffons, depuis les princes et princesses de tragédies-ballets, depuis les gens de cour jusqu'aux pédants, aux précieuses et aux bourgeoises du quartier des Halles. Chacun a son langage ou son jargon spécial qui comporte un vocabulaire très varié. Voilà pourquoi dans ce Lexique on trouvera un nombre considérable d'articles.

Mais le mot par lui-même est peu de chose; la manière dont il est

a

employé intéresse seule. Une simple liste des mots relevés dans les comédies de Molière ne donnerait pas l'idée de ce qui est véritablement original dans sa langue, et quelques archaismes, quelques bizarreries y attireraient trop l'attention. Molière se sert des mots les plus simples, les moins recherchés1, mais il a le secret de les associer entre eux de mille manières ingénieuses et imprévues. On a dû s'attacher à relever ces alliances de mots, et c'est pourquoi certains articles de ce Lexique sont assez longs.

On ne pouvait, sans altérer le style de Molière, citer ses phrases par fragments trop écourtės. Aujourd'hui les phrases de la Comédie sont hachées par de nombreuses suspensions; les répliques se suivent d'un mouvement pressé; l'allure du style rappelle la vie fiévreuse du temps. Bon nombre des personnages de Molière au contraire sont volontiers discoureurs, ils aiment à s'expliquer tout à leur aise; ils n'en ont pas moins la patience d'écouter tout le développement des réponses qu'on leur fait; dans ces longs entretiens, malgré la gaieté du ton et le comique des détails, le langage prend une certaine ampleur. Molière a gardé quelque chose du ton oratoire, du style classique de son époque. Les phrases sont construites de façon à porter jusqu'au fond de la salle de spectacle; elles sont très rythmées, assez sonores pour dominer les rires du parterre, assez pleines pour qu'un détail mal entendu n'empêche pas de bien saisir l'ensemble du sens2. Par là s'explique le fait qu'une idée, exprimée d'abord avec concision, est souvent répétée sous une forme plus développée, la seconde partie de la phrase étant comme le commentaire de la première, et le sens d'un premier mot étant précisé par l'emploi d'un second ou d'un troisième. Il était difficile de reproduire ces longues phrases à l'article de chacun des mots qu'elles contiennent, mais des renvois indiquent l'article principal où elles ont été données en entier. Le lecteur ne perdra donc pas sa peine en se reportant d'une page du Lexique à l'autre, quand il y sera invité par un simple « Voyez » suivi d'un mot imprimé en petites capitales.

A la suite des exemples de certains adjectifs ou de certains verbes, on trouvera un renvoi à une série de substantifs; cela suffit pour avertir que ces substantifs ont été associés par Molière à l'adjectif

1. De quelques termes nouveaux qu'il a gaiement hasardés on peut dire qu'ils étaient virtuellement dans la langue, tant la dérivation en a été naturelle.

2. On a le sentiment que Molière, en écrivant, entendait déjà l'acteur qui aurait à faire valoir sur la scène sa prose ou ses vers: il ne lui demandait pas de faire un sort à chaque mot; quelques parties de phrases, sans être des remplissages ou des chevilles, sont surtout utiles pour l'harmonie générale et la belle ordonnance de la période; elles empêchent la voix de tomber tout à fait entre deux mots importants; elles laissent à l'auditeur un temps de repos, sans lui donner l'impression d'un débit haletant, d'un souffle trop court. A l'acteur aussi de faire passer quelques petites négligences, quelques mots répétés, quelques syllabes un peu heurtées.

ou au verbe dont on vient de lire l'article; si maintenant on parcourt les articles de ces substantifs, on y trouvera toute la série des adjectifs qui leur ont été appliqués, des verbes qui ont formé locution avec eux. On verra là réunis les éléments d'une étude intéressante sur les expressions à peu près synonymes, et cependant variées de mille manières, que Molière sait créer avec une inépuisable fertilité d'invention, avec une verve toute rabelaisienne. Plus d'une expression prise isolément paraîtrait assez ordinaire, qui prend une valeur nouvelle par le rapprochement de celles qu'elle rappelle et dont elle diffère cependant. Il y a tel critique qui aurait moins vite condamné le style de Molière, s'il avait eu sous les yeux tous les exemples ici rassemblés et s'il avait mieux pu voir des intentions de satire là où il voyait du mauvais goût ou de l'affectation. Car il paraît bien que ce n'est pas seulement dans les Précieuses ridicules que Molière a montré le plaisir qu'il prenait à parodier un certain style; ce n'est pas sans ironie qu'il a continué des métaphores jusque dans le dernier détail des images qu'elles contiennent, et tourné tant de phrases amoureuses sur les cœurs enflammés et les âmes embrasées d'amour, sur les cœurs qui prennent feu ou que leurs feux consument, sur les yeux dont les feux réduisent un cœur en cendres, sur les ardeurs, les feux et les flammes qui s'allument et s'éteignent ou dont on brûle, ou encore sur cette glace qui fond en partie après avoir résisté à toutes les ardeurs de l'amour.

En général, parmi plusieurs exemples semblables, on s'est contenté d'en choisir et d'en citer un ou deux; pour permettre cependant au lecteur de se rendre compte que l'expression signalée est assez fréquente chez Molière, on a indiqué les passages où elle se retrouve. On s'est alors servi des abréviations « Cf. » ou « Voy. », suivies de chiffres romains et arabes qui indiquent, les premiers le tome et la page où l'on renvoie, les autres l'acte et la scène de la pièce citée1 (par exemple: Cf. V, 307, Am. méd. I, 1); pour les pièces en vers, on n'a donné ni la page, ni l'acte et la scène, mais seulement le numéro du tome et celui du vers (par exemple: Voy. V, Mis. 1125). Le mot « note », venant après ces renvois, avertit qu'une explication a été donnée dans le commentaire et qu'elle ne sera pas reproduite au Lexique.

Le lecteur excusera l'aspect de quelques lignes remplies de chiffres et de renvois; grâce à ces indications sommaires, il a été possible de ne pas étendre outre mesure ce travail et de faciliter au lecteur le

1. Les abréviations du nom des pièces sont assez claires pour qu'il ait paru superflu d'en donner la liste; on pourrait seulement hésiter pour G. D., qui veut dire Georges Dandin, et Crit., qui veut dire Critique de l'École des femmes. Dans le cas où un

mot appartient moins à la langue de Molière qu'au jargon précieux, bourgeois, paysan on bouffon, on a fait précéder la phrase citée du nom du personnage qui la prononce (par exemple: SGAN, pour SGANARELLE).

rapprochement de choses qu'il y avait intérêt à ne pas répartir seulement au hasard de l'ordre alphabétique.

Quant à l'Introduction grammaticale, elle contient aussi des renvois d'un paragraphe à l'autre; le lecteur trouvera facilement le sens de ces indications en chiffres romains ou arabes, en lettres majuscules et minuscules, s'il veut bien parcourir la Table des chapitres qu'il trouvera aux pages ccxxv à ccxxxi.

Dans le relevé des phrases plus particulièrement intéressantes pour l'étude de la syntaxe, non plus que dans le relevé des mots du vocabulaire de Molière, on n'a voulu se restreindre aux tournures qui ont vieilli. Il ne fallait pas donner au lecteur une impression fausse et présenter cette syntaxe comme celle d'un auteur qui aurait cessé d'être un moderne ; car, si l'on y relève quelques tours de phrase plus ou moins abandonnés depuis le dix-septième siècle, dans l'ensemble c'est bien déjà la syntaxe qui régit aujourd'hui notre langue. Parfois, il est vrai, on sent que le poète comédien n'a pas voulu remettre vingt fois sur le métier son ouvrage, et qu'il a noté, dans toute leur fantaisie et leur naturel, les tournures un peu capricieuses, mais toujours bien françaises, de la langue parlée. Jamais pourtant la logique, le bon sens, la clarté n'ont souffert d'une certaine liberté dans l'allure de la phrase.

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INTRODUCTION GRAMMATICALE

I

ARTICLE

Voir au chapitre II (SUBSTANTIF) l'emploi ou le non-emploi des articles devant adjectifs ou autres mots pris substantivement.

A.

I. ARTICLE DÉFINI.

Article défini ayant un sens démonstratif.

1° Article défini, avec un sens démonstratif, employé devant un nom, sans autre détermination.

Tiens encor ton couteau; la pièce est riche et rare! (I, Dép. a. 1430.) (... Cela se pourroit bien.) Le doute est mieux fondé (I, Dép. a. 16). Là, signez donc, mon frère :

...

L'honneur vous appartient (II, Éc. d. m. 1032). L'honneur de signer (le premier).

On m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès; et le dernier mal est encore pire que le premier (II, 48, Préc. Préf.).

C'est toi... qui m'as bu mon vin..., et qui as été cause que j'ai tant querellé la servante, croyant que c'étoit elle qui m'avoit fait le tour? (VIII, 445, Scap. II, III.)

Je ne vous assurerai point que je me réjouis du dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment, je vous l'avoue, est trop difficile pour moi (VII, 145, Av. III, vn).

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De moment en moment.... Vous voyez le supplice (I, Dép. a. 1521). GR.-RENÉ. Il est jaloux....

MARIN. De Valère? Ah! vraiment la pensée est bien belle! (I, Dép. a. CID. Abaissons-nous, ma sœur, à faire des avances....

AGL. J'approuve la pensée... (VIII, Psy. 302).

[105.)

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce (V, Mis. 33; cf. 509; IX.

F. sav. 654, 834; I, Dép. a. 587, 841).

J'entends à demi-mot où va la raillerie (II, Sgan. 173).

Avec peine, Marquis, je te fais la prière (III, Fách. 267).

(Sans vous faire outrage,) Peut-on lever le masque et voir votre visage? (I, Ét. 1224.) Ce masque que vous portez.

Allez quitter l'habit et graisser votre dos (I, Ét. 1634).

A l'heure même encor nous avons eu querelle... (I, Ét. 303).

Parbleu! si grande joie à l'heure me transporte... (II, Sgan. 482).
Enfin, après cent tours, ayant de la manière

[De la SORTF.

Sur ce qui n'en peut mais déchargé sa colère... (III, Éc. d. f. 1164). Cf. Est-ce de la façon que vous voulez l'entendre? (Éc. d. f. 1124.) Cf. FAÇON.

LEX. DE M.

A

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