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comme imbécile; et un particulier avec qui il aura contracté, en état d'interdiction viendra, après sa mort, prétendre qu'il n'était ni imbécile, ni insensé, ni furieux, et qu'il a été interdit injustement! Quoi! Un homme aura été jugé ne devoir pas être interdit; et son héritier viendra, après sa mort, prétendre qu'il a dû l'être, et que les contrats qu'il a signés depuis le rejet de la demande tendant à son interdiction, doivent être déclarés nuls! Où en serions-nous avec une pareille jurisprudence?

» Sans doute un jugement qui interdit un homme, n'a point contre ceux qui ont contracté avec lui, ou au profit desquels il a disposé à titre gratuit, avant son interdiction, l'autorité de la chose jugée à l'effet de faire décider qu'il était, avant son interdiction, en état de démence, de fureur ou d'imbécillité.

» Sans doute, le jugement qui déclare qu'il n'y a pas lieu d'interdire un homme, n'a point, contre ceux au profit desquels il a postérieurement disposé à titre gratuit, l'autorité de la chose jugée à l'effet de faire décider qu'il n'a pas été postérieurement frappé de démence, d'imbécillité ou de fu

reur.

» Mais qu'un jugement qui interdit un homme, n'ait pas pour et contre toute personne indistinctement, l'autorité de la chose jugée, à l'effet de faire décider qu'au moment où son interdiction a été prononcée, il était ou furieux, ou insensé, ou imbécile; mais qu'un jugement qui rejette la demande en interdiction d'un homme, n'ait pas, pour et contre toute personne indistinctement, l'autorité de la chose jugée, à l'effet de faire décider qu'au moment où cette demande a été rejetée, il n'était ni imbécile, ni insensé, ni furieux, c'est ce qui répugne aux idées les plus communes et à l'expérience de tous les temps; c'est ce qu'on ne pourrait admettre qu'en exposant toutes les familles à des troubles perpétuels et toutes les fortunes à un bouleversement général.

» Non, il ne peut y avoir, ni différence d'objet, ni différence de parties entre le jugement qui prononce qu'il y a lieu ou qu'il n'y a pas lieu à l'interdiction, et le jugement qui prononce ensuite que l'interdit l'acte fait par ou le non-interdit, est nul ou valable.

» Il ne peut pas y avoir différence d'objet : car dans l'instance en interdiction, l'objet principal, ou pour mieux dire, l'objet unique du litige, a été l'état de santé ou de maladie de l'esprit de l'homme qui a été interdit, ou TOME XXXIII.

a été jugé ne devoir pas l'être; et c'est encore ce même état qui est l'objet de l'instance en nullité de l'acte fait par l'homme interdit ou non interdit.

» Il ne peut pas y avoir différence de parties car le jugement qui prononce qu'il y a ou qu'il n'y a pas lieu à l'interdiction, est censé rendu avec la société entière, et par conséquent avec tous les individus qui la composent; il a donc pour ou contre la société entière, et par conséquent pour ou contre tous les individus qui la composent, la pleine autorité de la chose jugée sur l'état de santé ou de maladie dans lequel il a décidé qu'était l'esprit de l'homme dont l'interdiction était provoquée.

» Et s'il en était autrement, que deviendrait la disposition de l'art. 502 du Code civil, qui déclare nuls de droit, tous les actes passés par un interdit, depuis le jour de son interdiction? Elle serait nécessairement illusoire. Tous les jours, ceux qui auraient contracté avec un interdit, après son interdiction, viendraient, pour la neutraliser, remettre en question l'état de maladie ou de santé de son esprit. Il n'y aurait, sur cet état, que doutes et incertitudes; et ce qu'il doit y avoir au monde de plus fixe, de plus immuable, serait le jouet de toutes les chances des procès (1).

» Tenons donc pour bien constant que, si le jugement qui a nommé un conseil à Simon Taillefer, avait décidé que Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité absolue, ce jugement aurait, sur le sort du Testament de Simon Taillefer, toute l'autorité de la chose jugée, et que, par suite, la nullité de ce Testament ne pourrait plus être remise en question. Mais est-il bien vrai que le jugement dont il s'agit, ait décidé que Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité absolue ?

» Non. Ce jugement a simplement déclaré que Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité qui exigeait qu'il lui fut nommé un

conseil.

» Vous savez, messieurs, en quoi la fureur

(1) En expliquant ainsi, le 19 décembre 1814, pourquoi un jugement d'interdiction a l'autorité de la chose jugée contre ceux qui ont traité avec l'interdit depuis son interdiction, ou au profit desquels il a disposé depuis la même époque, je n'avais pas assez mûri mes idées sur cette matière. La doctrine que j'ai professée à cet égard, me paraît encore incontestable; mais la raison que j'en ai donnée, n'est rien moins que satisfaisante je donne la véritable aux mots Questions d'état, S. 3, art. 1, no 10. 33.

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considérables.

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Lorsque la raison est tellement affaiblie, qu'elle ne peut aider l'homme à remplir en aucune manière la destination qui lui est assignée par la nature et par les lois de la société, il y a imbécillité absolue; et c'est le cas de l'interdiction.

» Mais lorsque l'affaiblissement de la raison ne va pas aussi loin, lorsqu'il laisse à l'homme les facultés nécessaires pour les actes de simple administration, l'imbécillité n'est qu'imparfaite; et c'est le cas de la nomination d'un conseil judiciaire.

» Or, Simon Taillefer n'a pas été interdit;. il lui a été seulement nommé un conseil; il n'a donc pas été jugé que Simon Taillefer füt dans un état d'imbécillité absolue; il a donc été sculement jugé que Simon Taillefer était dans le degré d'imbécillité où la loi déclare qu'il y a lieu à la nomination d'un conseil judiciaire.

>> Vainement objecterait-on que l'homme qui se trouve dans ce degré d'imbécillité, n'est pas sain d'esprit.

» Sans doute, son esprit n'est pas dans un état de santé pleine et parfaite; mais il est au moins dans un état de santé quelconque ; et la preuve en est que la loi ne le déclare incapable que de certains actes.

» Or, pour pouvoir tester, est-il nécessaire d'être complètement sain d'esprit?

» L'art. 901 du Code ne l'exige pas expressément, et ce qu'il n'exige pas expressément, il ne peut pas être censé l'exiger d'une manière implicite.

>> Le mineur qui est parvenu à l'âge de seize ans, n'est pas non plus dans un parfait état de santé d'esprit ; et il l'est si peu, que la loi ne lui laisse pas même l'administration de ses revenus. Cependant la loi le déclare habile à disposer par Testament de la moitié de ses biens. La loi fait donc entendre elle-même que l'on peut être sain d'esprit à l'effet de pouvoir tester, quoiqu'on ne le soit pas à l'effet de pouvoir faire tous les actes de la vie civile.

» Ce qui d'ailleurs est là-dessus décisif, c'est que l'art. 499 du Code ne met pas l'incapacité de tester au nombre des incapacités qu'il fait résulter de la nomination d'un conseil judiciaire, motivée sur la faiblesse d'esprit qui ne va pas jusqu'à l'imbécillité absolue; c'est que, comme le remarquait l'orateur du Gouvernement, dans l'Exposé des motifs de cet article, ceux à qui il a été nommé un conseil, soit à raison de la faiblesse de leur esprit, soit à raison de l'ascendant de quelque passion dominante, conservent la pleine liberté, nonseulement de disposer à cause de mort, mais même de se marier.

» Aussi avez-vous remarqué, dans l'espèce sur laquelle a été rendu l'arrêt de la section des requêtes, du17 mars 1813, que la cour d'ap pel de Lyon avait implicitement décidé que le sieur Julien n'avait pas été jugé par la nomination qui lui avait été faite d'un conseil, être dans une absence suffisante de raison, pour ne pouvoir pas disposer à titre gratuit; puisque, pour décider que le sieur Julien était incapable de disposer à titre gratuit, elle avait été obligée de faire abstraction du jugement qui lui avait nommé un conseil, de remonter aux procédures sur lesquelles ce jugement était intervenu, et de prononcer comme si ce jugement eût erré en n'interdisant pas le sieur Julien.

>> Plus vainement objecterait-on que, dans notre espèce, les parens de Simon Taillefer n'avaient pas provoqué son interdiction, qu'ils s'étaient bornés à demander qu'il lui fût nommé un conseil; qu'ainsi, on ne peut pas dire que le jugement qui a prononcé sur leur demande, ait décidé qu'il n'y avait pas lieu d'interdire Simon Taillefer; ou, ce qui est la même chose, que Simon Taillefer n'était pas dans un état complet d'imbécillité.

» Que prétendrait-on inférer de-là? Qu'il n'est pas possible de deviner ce qu'eût prononcé le jugement rendu sur la demande des parens de Simon Taillefer, si cette demande s'était étendue jusqu'à l'interdiction? Rien de plus juste. Mais il reste toujours que le jugement qui a accueilli leur demande en nomination d'un conseil judiciaire, n'a pu décider, comme en effet il n'a réellement décidé qu'une seule chose savoir, que Simon Taillefer était dans le degré d'imbécillité où il fallait qu'il se trouvât pour avoir besoin d'un conseil; et que, dès-lors, vouloir inférer de ce jugement que Simon Taillefer était dans un plus haut degré d'imbécillité, dans en état d'imbécillité absolue, et que son in

Ꭹ eût terdiction eût été prononcée, si l'on conclu, c'est vouloir faire dire à ce jugement, non-seulement ce qu'il ne dit pas, mais ce qu'il n'aurait pas pu dire sans aller ultrà pe

tita.

pas

» Comment, d'après cela, pourriez-vous casser l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens qui tiré de ce vous est dénoncé, pour n'avoir jugement une conséquence aussi étrange? Ce serait évidemment appliquer à faux l'art. 901, et fouler aux pieds l'art. 499 du Code civil.

» Mais ici se présente notre deuxième question. Si la cour d'appel d'Amiens s'est conformée aux vrais principes, en décidant que Simon Taillefer n'avait pas été privé de la faculté de tester par le jugement qui lui avait nommé un conseil, du moins n'a-t-elle pas violé quelque loi en rejetant les conclusions par lesquelles les demandeurs avaient subsidiairement offert de prouver que Simon Taillefer était, à l'époque de son Testament, dans un tel état d'imbécillité, qu'il ne pouvait pas être considéré comme sain d'esprit?

» Pour nous mettre à portée de résoudre cette question, commençons par nous bien fixer sur le motif qui a porté la cour d'appel d'Amiens à rejeter la preuve offerte subsidiairement par les demandeurs.

l'imbécil

l'art. 493, relatif à l'interdiction, se trouvât
rempli.

leurs con

ils

» Qu'avaient-ils ensuite fait par clusions subsidiaires? Ils avaient tout simplement articulé de nouveau le même fait d'imbécillité, comme s'étant prolongé jusqu'à la confection du Testament, en offrant seulement de le revêtir de nouvelles preuves; étaient, par conséquent, censés l'avoir articulé tel qu'il était exposé dans la délibération du conseil de famille, du 31 janvier 1810; ils étaient par conséquent censés l'avoir articulé d'une manière suffisante pour que la preuve en fût admise.

» Nous ne pouvons donc qu'applaudir au subsipreuve parti qu'a pris la cour d'appel d'Amiens de ne pas motiver le rejet de la diairement offerte par les demandeurs, sur le défaut de précision du fait d'imbécillité sur lequel cette preuve devait porter.

» Mais sur quoi la cour d'appel d'Amiens a-t-elle motivé le rejet de cette preuve?

» Elle l'a motivé sur ce que les demandeurs ne précisaient aucun fait d'imbécillité rostéRIEUR à la dation du conseil judiciaire.

» Et cela signifie bien clairement que la dation du conseil judíciaire avait fixé irrévocablement, jusqu'au jour où elle avait été pro

» La cour d'appel d'Amiens a-t-elle rejeté noncée, l'état de Simon Taillefer; que, par cette preuve sur le fondement que lité absolue de Simon Taillefer, à l'époque de son Testament, n'était articulée que d'une manière vague, et sans qu'à cet égard, les demandeurs articulassent aucun fait précis et circonstancié?

D

» Non, messieurs, et si elle était déterminée par ce motif, il serait peut-être difficile, nous ne dirons pas de soustraire son arrêt à la cassation, mais du moins de le justifier du reproche de mal-jugé.

» En effet, peut-on dire que, dans l'espèce actuelle, les demandeurs n'avaient articulé que vaguement le fait d'imbécillité absolue de Simon Taillefer?

» Les demandeurs avaient, dans leurs conclusions principales qui tendaient à la confirmation du jugement de première instance, articulé ce fait de la même manière qu'ils l'avaient articulé dans l'instance en nomination de conseil ; ils l'avaient articulé tel qu'il était exposé dans la délibération du conseil de famille du 31 janvier 1810; et déjà, il avait été jugé par l'arrêt rendu dans cette dernière instance, le 8 janvier 1811, que ce fait avait été articulé avec assez de précision, avec assez de circonstances, pour que même le vœu de

cela seul que Simon Taillefer n'avait pas été interdit, que, par cela seul qu'il n'avait été que pourvu d'un conseil judiciaire, il avait été jugé que Simon Taillefer ne pouvait pas être considéré comme absolument non sain d'esprit; et que, dès-lors, il n'aurait pu être déclaré non sain d'esprit à l'époque de son Testament, que d'après de nouveaux faits d'imbécillité.

» Mais raisonner ainsi, n'est-ce pas faire une fausse application de l'autorité de la chose jugée? N'est-ce pas violer l'art. 1351 du Code

civil?

» L'autorité de la chose jugée, dit l'art. 1351 du Code civil, n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.

» Or, qu'est-ce qui a fait l'objet du jugement du tribunal de Péronne, du 9 juin 1810? Ce n'est sûrement pas la question de savoir si Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité absolue, ou, en d'autres termes, s'il y avait lieu d'interdire Simon Taillefer; c'était uniquement la question de savoir si Simon Taillefer était dans un degré d'imbécillité assez caractérisé pour qu'il eût besoin d'un conseil judiciaire.

» Et que fallait-il pour que Simon Taillefer

succombât sur la question ainsi posée ? Il n'était pas nécessaire que l'on jugeât que l'esprit de Simon Taillefer était dans un état de santé assez bon pour qu'il n'y eût pas lieu à l'interdire, et, par conséquent, pour qu'il conservât la faculté de tester; il suffisait que l'on jugeât qu'il n'était pas dans un état de santé assez bon pour qu'on lui laissât la liberté de faire, sans l'assistance du conseil, les actes entre-vifs qui sont énumérés dans l'art. 499 du Code civil.

» Or, qu'a fait le jugement qui a nommé un conseil à Simon Taillefer? A-t-il fait plus qu'il ne devait faire pour remplir son objet? A-t-il été, pour nommer un conseil à Simon Taillefer, plus loin qu'il ne devait aller? Non : il a dit, et rien de plus, que Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité qui exigeait qu'il lui fut nommé un conseil. Il n'a pas dit que Simon Taillefer n'était pas dans un état l'imbécillité plus fortement caractérisée ; et non-seulement il ne l'a pas dit, mais il n'a pas pu le dire; car, d'un côté, la famille de Simon Taillefer ne demandait pour lui qu'une nomination de conseil judiciaire; et de l'autre, les juges ne pouvaient pas outre-passer la demande de la famille de Simon Taillefer; ils ne le pouvaient pas, parcequ'en thèse générale, les demandes des parties sont, pour les tribunaux, un cercle dont il ne leur est pas permis de sortir; ils ne le pouvaient pas surtout, parceque les tribunaux ne peuvent jamais, même sur les conclusions du ministère public, et encore moins d'office, prononcer pour cause d'imbécillité, une interdiction qui ne leur est pas demandée par la famille.

» Le jugement qui a nommé un conseil à Simon Taillefer, a donc laissé parfaitement entière la question de savoir si Simon Taillefer était dans un état d'imbécillité absolue; et dèslors, comment la cour d'appel d'Amiens a-t-elle pu décider que les demandeurs n'étaient plus recevables à offrir la preuve qu'il était dans cet état à l'époque où il lui a été nommé un conseil ? Bien évidemment, elle a donné, par là, à ce jugement un effet qu'il ne pouvait pas avoir par lui-même; elle en a étendu l'objet, elle a violé l'art. 1351 du Code civil.

» Objectera-t-on que la famille de Simon Taillefer s'étant bornée, en 1810, à provoquer contre lui une mesure qui le supposait cncore assez sain d'esprit pour pouvoir tester, ne peut plus, après le jugement qui a adopté la mesure qu'elle avait provoquée, être admise aujourd'hui à prouver qu'il était, en 1810, dans un état d'imbécillité absolue?

» Mais d'où proviendrait l'obstacle à ce qu'elle y fût admise en effet?

» Proviendrait-il de la seule force du jugement? Proviendrait-il de la reconnaissance de la famille de Simon Taillefer? Vous allez voir, messieurs, qu'il ne peut provenir ni de l'une ni de l'autre.

» 10 Le jugement n'a l'autorité de la chose jugée que pour l'objet sur lequel il a prononcé.

» Or, le jugement n'a prononcé que sur la suffisance de l'imbécillité de Simon Taillefer pour qu'il lui fût nommé un conseil; il n'a pas décidé que l'imbécillité de Simon Taillefer fût précisément limitée à ce degré de suffisance. Il ne peut donc pas former obstacle à ce que l'on prouve aujourd'hui que l'imbécillité de Simon Taillefer était portée à un plus haut degré.

» Sans doute, s'il avait été jugé qu'il n'y avait pas lieu à la nomination d'un conseil, le jugement formerait une exception inexpugnable de chose jugée contre la prétention que l'on pourrait avoir aujourd'hui de prouver que Simon Taillefer était, à l'époque de ce jugement, dans un état d'imbécillité absolue. Pourquoi? Parceque juger que la raison de Simon Taillefer n'était pas assez affaiblie pour qu'il fût nécessaire de lui nommer un conseil, c'eût été juger à fortiori que Simon Taillefer n'était pas assez dépourvu de raison pour qu'on lui nommât un tuteur, pour qu'on le déclarât incapable de toute espèce d'acte de la vie civile; parceque le jugement qui déboute du moins, est, à plus forte raison, censé débouter du plus.

>> Mais vouloir faire sortir d'un jugement qui a décidé qu'il y avait imbécillité suffisante pour donner lieu à la nomination d'un conseil, une exception de chose jugée contre la preuve que l'imbécillité avait plus d'intensité qu'il n'en fallait pour motiver ce jugement, ce serait vouloir, en d'autres termes, que tout jugement qui accorde le moins, parceque le moins seul est demandé, s'oppose, par l'autorité de la chose jugée, à ce qu'on demande ensuite le plus; et assurément ce serait une grande erreur.

» Pierre, porteur d'un titre qui le constitue créancier de Paul d'une somme de 3,000 francs, fait assigner Paul, pour se voir condamner, en vertu de ce titre, à lui payer 1,000 francs seulement. Le juge voit bien, par le titre de Pierre, que celui-ci ne demande pas tout ce qu'il a droit de demander; mais obligé de se restreindre à la demande, il ne

condamne Paul qu'à payer 1,000 francs à Pierre. Quelques temps après, Pierre, mieux avisé, fait réassigner Paul en paiement des 2,000 francs dont il reste débiteur. Paul sera-t-il fondé à dire que, par le jugement qui ne l'a condamné qu'à payer 1,000 francs, il est décidé que Pierre ne peut pas exiger de lui davantage? Non certes: Pierre lui répondra victorieusement que la chose demandée aujourd'hui, n'est la mème pas celle qui a été l'objet du jugement; et Paul sera, sans hésitation, condamné à payer les 2,000 francs.

que

» C'est d'après le même principe et sur le même fondement, que, par arrêt du 22 brumaire an 13, au rapport de M. Busschop et sur nos conclusions, la cour a jugé que les mineurs Testu de Ballaincourt, qui avaient obtenu, le 22 vendémiaire an 10, la cassation d'une sentence arbitrale au chef qui les condamnait à restituer des fruits perçus, pouvaient encore, par une nouvelle demande, poursuivre la cassation de la même sentence, au chef qui les condamnait à délaisser le fonds sur lequel ils avaient perçu ces fruits (1).

» 2o Ce n'est pas sur les déclarations faites par la famille de Simon Taillefer avant le jugement de nomination d'un conseil, qu'est fondé l'arrêt attaqué aujourd'hui devant vous. Cet arrêt n'est fondé que sur la dation de conseil; il ne l'est par conséquent que sur le jugement par lequel le conseil a été nommé ; il ne l'est par conséquent pas sur les déclarations de la famille de Simon Taillefer qui ont précédé ce jugement.

» Eh! Comment pourrait-il être fondé sur ces déclaratious? La famille de Simon Taillefer s'était bornée, il est vrai, à demander une nomination de conseil; mais elle avait articulé, pour obtenir cette nomination, des faits d'imbécillité absolue; elle s'était donc placée, par sa demande ainsi motivée, dans la même position que celle d'un créancier qui, porteur d'un titre de créance de 3.000 francs, ne conclud qu'à une condamnation du tiers de cette somme; elle n'avait donc pas reconnu que la raison de Simon Taillefer ne fût pas dans un état pire que celui où il était nécessaire qu'il se trouvât pour que justice lui nommât un conseil; elle n'avait donc pas renoncé au droit de prouver, par la suite, que Simon Taillefer était dans un

la

(1) V. mon Recueil de Questions de Droit, au mot Triage, §. a

état d'imbécillité qui le rendait incapable de tester.

» Inutile d'examiner si, après s'être ainsi bornés à demander la nomination d'un conseil et l'avoir obtenue, les parens de Simon Taillefer auraient été recevables à demander

ensuite qu'il fût interdit sur les mêmes faits.

» Peut-être aurait-on pu leur opposer le défaut d'intérêt; peut-être cette fin de nonrecevoir, la plus puissante de toutes, n'aurait-elle pu céder qu'à de nouvelles circonstances, qui, sans rien changer ni ajouter au caractère primitif de l'imbécillité de Simon Taillefer, auraient manifesté dans un plus grand jour, le besoin qu'aurait eu personnellement Simon Taillefer, d'un remède plus efficace qu'une simple nomination du conseil. » Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les parens de Simon Taillefer ne peuvent pas aujourd'hui, sous le prétexte qu'ils se sont renfermés, en 1810, dans la provocation d'une simple nomination de conseil, être déclarés non-recevables à reproduire les faits sur lesquels ils se sont appuyés en 1810, pour la demander, et à les reproduire comme fondement de leur demande actuelle en nullité d'un Testament.

>> On sent, en effet, qu'ils ne peuvent pas être, pour avoir provoqué la nomination d'un conseil à Simon Taillefer, en le signalant comme absolument imbécile, de pire condition que s'ils avaient gardé un profond silence sur son état, et s'ils l'avaient laissé mourir comme jouissant de toute sa raison.

» Or, s'ils avaient pris ce dernier parti, la cour d'appel d'Amiens, aurait-elle pu les déclarer non-recevables à prouver qu'il n'était pas sain d'esprit à l'époque de son Testament?

» Elle a elle-même jugé implicitement que

non,

et elle l'a jugé en motivant son arrêt sur la circonstance que les demandeurs ne précisaient aucun fait d'imbécillité postérieur à la dation du conseil; car, par là même, elle a évidemment reconnu que la preuve offerte par les demandeurs, aurait dû être admise sans difficulté, s'ils avaient articulé des faits d'imbécillité postérieurs à la dation du conseil, quoique d'ailleurs ils n'eussent pas requis l'interdiction de Simon Taillefer, quoique d'ailleurs ils n'eussent provoqué contre Simon Taillefer qu'une mesure qui, par elle-même, et indépendamment de la cause sur laquelle ils en motivaient la provocation, le supposait encore assez sain d'esprit pour faire un Testament.

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