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arrêt, le sieur Favre n'avait pas, en France, un domicile proprement dit, mais il y jouissait des droits civils, en vertu du traité du 4 vendémiaire an 12. Il était donc assimilé à l'étranger qui, ayant été admis par le gouvernement à établir son domicile en France, doit, aux termes de l'art. 13 du Code civil, y jouir de tous les droits civils, tant qu'il continue d'y résider. Si donc il a été jugé incapable d'être Témoin testamentaire en France, par cela seul qu'il n'était pas-Français, comment pourrait-on juger autrement à l'égard d'un étranger qui, avec la permission du gouvernement, aurait acquis, en France, un véritable domicile?

C'est, dit M. Grenier (Traité des Donations, tome 1, page 453, deuxième édition), parceque celui-ci est vraiment républicole ou sujet du Roi, quoiqu'il soit né en pays étranger, et qu'il ne soit pas citoyen français.

Cette raison tombe d'elle-même, s'il est vrai, comme je crois l'avoir prouvé, que le mot républicole était, dans la rédaction du 13 floréal an 13, synonyme de français, citoyen ou non, et que les mots sujets du Roi ont, dans la rédaction actuelle, le même sens

qu'avait le mot républicole dans la précédente. Comment, d'ailleurs, pourrait-on qualifier de sujet du Roi, un étranger qui, ayant été admis par le Roi à établir son domicile `en France, n'y serait pas encore naturalisé ?

Est-il lié irrévocablement à la France, par le domicile qu'il y a choisi? Non, rien ne l'empêche de se retirer dans sa patrie; rien ne l'empêche même de se faire naturaliser dans un autre pays étranger: il n'a, pour cela, aucun besoin de la permission du gouvernement; et cependant cette permission lui serait nécessaire, d'après le décret du 26 août 1811, s'il était sujet du Roi.

S'il était sujet du Roi, le gouvernement ne pourrait pas lui retirer l'autorisation qu'il lui a accordée de résider en France; il ne pourrait être expulsé du territoire français qu'en vertu d'un arrêt qui le condamnerait, pour crime, à la peine du bannissement ou à celle de la déportation.

En un mot, il n'y a de sujets du Roi que les français, parcequ'eux seuls ont, à la protection du roi, des droits qu'une volonté arbitraire ne peut pas leur ôter; parcequ'eux seuls sont tenus, envers le roi, à des devoirs dont il ne leur est pas permis de s'affranchir.

Peut-on employer comme témoin dans un testament, l'étranger qui, né dans l'une des contrées dont les événemens de la révolution

avaient opéré la réunion au territoire français, et que le traité de Paris du 30 mai 1814 en a détachés, s'était, dans cet intervalle, établi en France, y avait joui de tous les droits de Français, comme il en aurait joui dans son pays natal, et a continué d'y demeurer depuis que son pays natal est redevenu étranger?

Oui, si, dans les trois mois de la publication de la loi du 14 octobre 1814, il a déclaré qu'il persistait dans la volonté de se fixer en France, et si, en conséquence, il a obtenu des lettres de déclaration de naturalité.

Non, s'il n'a fait ni l'un ni l'autre. La raison en est que, dans le premier cas., il a conservé la qualité de Français qu'il avait acquise par la réunion de son pays natal à la France; et que, dans la second cas, il l'a perdue. ( V. l'article Naturalisation).

Mais quel serait, dans celles des contrées dont il s'agit, qui suivent encore le Code civil, le sort d'un testament auquel assisterait comme témoin un Français qui s'y était établi avant ou depuis leur reunion à la France, et avait continué d'y demeurer depuis qu'elles en sont séparées?

devant la cour supérieure de justice de Cette question s'est présentée deux fois Bruxelles, et deux fois il y a été jugé que le testament était nul.

Pour bien entendre les points de controverse qu'elle offrait, il faut commencer par transcrire ici les actes législatifs que l'on faisait valoir de part et d'autre dans les deux affaires.

Le 22 septembre 1814, le prince souverain des Provinces-Unies des Pays-Bas a pris, en sa qualité de Gouverneur général de la Belgique, un arrêté par lequel,

« Considérant que, par suite de la réunion de la Belgique à la France, beaucoup d'individus nés en France, ont obtenu en ces provinces des emplois qu'ils continuent encore à remplir, et auxquels, d'après les principes d'une saine politique, les Belges ont droit à être préférablement appelés:

>> Considérant qu'il peut cependant exister des motifs particuliers qui nous engageraient à assurer à quelques-uns de ces individus les mêmes droits dont jouissent les Belges;

» Voulant déterminer les formalités que doivent suivre ceux auxquels une pareille faveur pourrait être accordée » ;

Il a établi les règles suivantes :

« Art. 1. Les Français qui auront obtenu des lettres de naturalisation, pourront à l'a

venir concourir avec les Belges à l'obtention des emplois.

» 2. Les Français qui remplissent actuellement des fonctions publiques, cesseront de les occuper, si, dans les deux mois qui sui vent la date du présent arrêté, ils n'ont obtenu des lettres de naturalisation.

» 3o Tous ceux qui ne nous auront pas demandé des lettres de naturalisation avant le dix du mois d'octobre prochain, seront considérés comme ayant cessé leurs fonctions de fait (1) ».

A cet arrêté en a succédé un autre du 19 décembre de la même année, dont voici le teneur :

relatif

« Vu notre arrêté du 22 septembre, à la demande des lettres de naturalisation; » Considérant que, par une interprétation abusive dudit arrêté, beaucoup d'individus ont pensé qu'il imposait l'obligation d'obtenir des lettres de naturalisation, soit qu'ils occupassent ou non des emplois;

» Considérant que ledit arrêté n'a eu en vue que les individus en possession d'emplois, et qu'il n'est point nécessaire d'avoir des let tres de naturalisation pour continuer de résider en Belgique et d'y jouir de la protection accordée par la loi;

» Avons arrêté et arrêtons : » Art. 1. L'obligation d'obtenir des lettres de naturalisation à l'effet de conserver des fonctions publiques en Belgique, ne concerne que les seuls fonctionnaires auxquels elle est imposée par notre arrêté du 22 septembre dernier, de demander des lettres de naturalisation.

» 2. Sont exempts de ladite obligation les ecclésiastiques et les militaires.

» 3. Sont également exempts de la même formalité, les individus qui, sans occuper des fonctions publiques, voudraient continuer de résider dans la Belgique (2) ».

Enfin, en 1815, est intervenue la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas, dont les art. 9 et 192 sont ainsi conçus :

Les naturels du royaume, ou réputés »tels, soit par une fiction de la loi, soit par >> naturalisation, sont indistinctement ad» missibles à toutes fonctions autres celque » les d'un ordre supérieur que l'art. 8 réserve » aux indigènes.

» Tous les sujets du Roi sans distinction de

(1) Journal officiel de la Belgique, tome 3, page 153. (2) Ibid. page 739.

>> croyance religieuse, jouissent des mêmes >> droits civils et politiques, et sont habiles » à toutes dignités et emplois quelconques ».

Ces notions posées, voici la première espèce dans laquelle notre question s'est élevée.

Le 17 septembre 1818, le sieur Ducorron a fait, à Bruxelles, un testament notarié par lequel il a légué à la demoiselle Vandenhove son hôtel, son argenterie et une somme de 8000 florins.

Après sa mort, deux de ses héritiers naturels ont refusé la délivrance de ce legs, et ont soutenu, en invoquant l'art. 980 du code civil, que le testament était nul, parceque le sieur Pinard, l'un des quatre témoins, était né français, et n'avait jamais acquis, régnicole. dans le royaume des Pays-Bas, la qualité de

Le 11 juin 1819, jugement du tribunal de première instance de Bruxelles qui déclare le testament valable,

« Attendu qu'il est établi au procès que Pinard a fixé sa résidence à Bruxelles depuis plus de vingt ans ; qu'il s'y est marié avec une Belge en 1799; qu'il y a été inscrit au 1816; qu'il n'y a jamais renoncé ; qu'il y a tableau des habitans, formé en 1803 et en payé les contributions; qu'il y a exercé le commerce de bonneterie; qu'il a long-temps rempli les fonctions de sous-dépensier à l'atelier des minimes; qu'enfin, en 1817, été promu à celles de garde-magasin au même atelier;

il a

» Attendu que, d'après ces faits et les principes constitutionnels qui alors régissaient la France dont nos provinces faisaient partie, personne ne se permettra de douter qu'avant la conquête des puissances alliées, Pinard ne jouit à Bruxelles de toute la plénitude des droits tant civils que politiques assurés aux habitans naturels par les constitutions;

» Attendu qu'il est également certain que le seul fait de l'occupation du territoire par les alliés, ne l'en a pas privé ; qu'en effet, on a vu ceux des fonctionnaires publics étrangers qui étaient restés en ce pays, y continuer l'exercice de leurs fonctions du gré et de la parfaite connaissance des autorités nouvelles ; de manière que, si quelque modification a été apporté au libre exercice des droits civils et politiques qu'ils avaient acquis, ce ne peut être que par l'effet d'une disposition postérieure à cette occupation;

» Attendu que les seules dispositions qui puissent être invoquées, sont les arrêtés des

22 septembre et 19 décembre 1814, et les généralité de ces droits, aucun ne lui a été art. 9 et 192 de la loi fondamentale;

» En ce qui regarde ces arrêtés, attendu qu'ils concernent uniquement les français; qu'ils ne dépouillent pas expressément ceux-ci des droits civils, ni même de l'universalité des droits politiques qu'ils pouvaient avoir acquis; qu'entraîné par une considération d'équité, qui réclamait en faveur des naturels la préférence aux emplois publics, le législateur exige seulement que ceux qui en sont pourvus, ou qui voudraient être habiles à y être appelés à l'avenir, sollicitent et obtiennent des lettres de naturalisation; que de ces arrêtés résultent diverses conséquences, et en premier lieu, que l'occupation de nos provinces par les alliés, n'a pas fait cesser les droits civils et politiques que des étrangers pouvaient y avoir acquis auparavant, vu que ces arrêtés ne portent que sur les Français d'origine, et nullement sur les autres étrangers; et que, d'un autre côté, on a cru que cette exception nécessitait un arrêté spécial;

» Attendu que toute exception doit rigoureusement se restreindre aux cas formellement exceptés; qu'ainsi, dans l'espèce, on doit dire que l'exercice des droits civils et politiques acquis par des Français à Bruxelles, avant l'occupation des puissances alliées, leur a été conservé, comme à tous autres étrangers, avec cette seule modification, qu'ils ne pourraient désormais conserver, ou dans la suite être habiles à occuper des emplois publics, sans avoir obtenu des lettres de naturalisation; que l'on peut d'autant moins en douter que le deuxième de ces arrêtés, sous la date du 29 décembre 1814, dit, en termes exprès, que celui du 22 septembre n'a eu en vue que les individus en possession d'emplois, et qu'il n'est point nécessaire d'avoir des lettres de naturalisation pour continuer de résider dans la Belgique et d'y jouir de la protection accordée par la loi;

» Qu'il est donc évident qu'au cas actuel, on ne peut contester que Pinard n'ait conservé l'exercice des droits civils dans ce royaume, et qu'il ne soit un témoin valable à un acte de dernière volonté ;

> Attendu que la qualité de sujet du Roi, également requise par l'art. 980 du code civil, n'est pas plus douteuse; qu'en effet, on ne doit pas perdre de vue que Pinard, avant l'occupation de la Belgique par les alliés, y était investi de la plénitude des droits civils et politiques, et parfaitement sur la même ligne que les naturels de ce pays; que de la

ravi (sauf, par égard à la préférence que l'équité réclamait en faveur des naturels, la capacité d'occuper des emplois publics sans lettres de naturalisation); que la faculté de jouir de tous les droits politiques lui a donc été conservée, ainsi que l'exercice de tous les droits civils ; que déjà, sous ce rapport seul, il est bien difficile de ne pas voir dans Pinard un sujet du Roi dans toute l'étendue de ce terme; qu'il paraît même impossible de lui refuser cette qualité, si l'on réfléchit que, par le seul fait de l'occupation, et, si l'on veut, par la force des traités qui l'ont suivie, les Belges, ainsi que tous les étrangers qui avaient acquis un domicile légal, sont devenus sujets de la puissance conquérante, et qu'il n'existe aucune disposition ni aucun motif d'exception de cette conséquence pour le Français d'origine qui, à cette époque, réunissait en Belgique toutes les qualités d'un citoyen Belge, qui y était domicilié depuis plus de vingt ans, qui, comme Pinard, marié avec une Belge, y avait exclusivement établi le siège de sa fortune, sans avoir jamais, ni avant ni après l'occupation, manifesté le moindre esprit de retour dans sa terre natale;

» Que, sous ce rapport, rien n'établit donc de différence entre lui et les autres étrangers qui avaient un domicile acquis avec l'autorisation du chef du gouvernement français; autorisation dont Pinard, en sa qualité de sujet de ce même chef, n'avait pas besoin pour s'établir à Bruxelles, ville soumise à la même domination;

» Attendu que, pour colorer le système contraire, les défendeurs invoquent en vain les art. 9 et 192 de notre constitution, pour en déduire que, puisque les Français ne sont pas habiles aux emplois publics chez nous, ils ne peuvent être envisagés ni comme naturels du pays ou réputés tels, ni comme sujets du Roi; car si ces articles disent que les naturels ou sujets du Roi sont indistinctement admissibles aux emplois publics, cette expression ne doit pas s'entendre dans un sens indéfiniment général, mais avec cette restriction, si d'ailleurs ils n'en sont déclarés incapables pour des choses particulières; et c'est ainsi que, malgré cette disposition de notre charte, les femmes, les mineurs, les interdits et une foule d'autres personnes, sont incapables d'occuper des emplois publics, et sont cependant sujets du Roi ;

» Qu'il est donc évident que ledit Pinard a pu valablement assister comme témoin au testament dont il s'agit au procès, d'autant

plus que l'on voit, par les dispositions législatives relatives à la matière, qu'il n'a pas été aussi rigoureusement exigé la même étendue de capacité dans les témoins testamentaires que dans ceux qui assistent aux autres actes authentiques; que, dans ceux-ci, la loi de ventôse an 11 veut qu'ils soient citoyens français, c'est-à-dire, qu'ils jouissent de l'exercice des droits tant politiques que civils, tandis que l'art. 980 du code civil ne demande rien de plus, sinon qu'ils soient Sujets du Roi, jouissant des droits civils ».

Mais sur l'appel, arrêt du 19 février 1820, qui réforme ce jugement et déclare le testament nul,

« Attendu qu'il résulte des articles réunis 980 et 1001 du code civil, que les témoins appelés pour être présens aux testamens, doivent être mâles, majeurs, sujets du Roi des Pays-Bas, jouissant des droits civils, et qu'ils doivent être revêtus de ces qualités, à peine de nullité du testament;

» Attendu qu'il est constant en fait, de l'aveu même des parties, que l'un des témoins qui ont assisté au testament dont il s'agit, nommé François-Joseph Pinard, est né en France, et qu'il ne s'est pas fait naturaliser;

» Attendu que l'idée attachée par la légis lation actuelle à l'expression sujet du Roi, jouissant des droits civils, est celle de Belge, soit par droit de naissance, soit par naturalisation, soit par fiction de la loi ;

» Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des art. 131, 132 et 137 du code civil, que l'absence seule et la résidence en pays étranger, quelque longue qu'elle soit, ne fait pas perdre la qualité de Français;

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armées des puissances alliées y sont entrées, et qu'il eût continué d'y résider après cette époque, néanmoins il a conservé la qualité de citoyen français, d'autant plus, qu'en prenant possession de la Belgique, les souverains alliés ont manifesté, par des proclamations et arrêtés, l'intention de ne pas avoir les Français residans dans la Belgique, au nombre de leurs sujets; et il est incontestable qu'un conquérant peut renoncer à la totalité des droits de conquête ou à une portion de ces droits;

» Attendu que, bien que la Belgique ait passé sous la domination du Roi des PaysBas, après que les souverains alliés l'eurent occupée, toutefois ce changement de domination n'a pas lui-même transformé, dans le chef des Français résidans dans la Belgique, la qualité de sujets français qu'ils avaient conservée, en celle de sujets du Roi des Pays-Bas; et aucune loi, ni aucun arrêté, ni la loi fondamentale, n'ont placé au nombre de ses sujets, les Français de naissance qui résidaient dans la Belgique, sans qu'ils eussent obtenu des lettres de neutralisation;

» Attendu qu'il résulte de ce qui précède, que ledit Pinard n'était pas revêtu de la qualité de sujet du Roi des Pays-Bas, jouissant des droits civils, lorsqu'il a assisté au testament sus-mentionné ; et que, par une suite ultérieure, ce testament est entaché de nullité.»

La demoiselle Vandenhove s'est pourvue en cassation contre cet arrêt devant les deux chambres de la même cour qui n'y avaient point pris part; et elle l'a attaqué, 1o comme violant l'art. 980 et appliquant à faux l'art. 1001 du code civil; 2o comme appliquant à faux les art. 17, 131, 132 et 133 du même code, ainsi que les arrêtés des 22 septembre et 19 décembre 1814; 3° comme créant, par excès de pouvoir, une prétendue législation qui n'existait pas ; 4o comme violant les traités des 30 mai 1814 et 20 novembre 1815.

L'affaire porté à l'audience, M. le procureur-général Vanderfosse a discuté successivement ces argumens, et voici l'analyse que nous offrent de son plaidoyer les auteurs de la Jurisprudence de la cour supérieure de justice de Bruxelles, année 1822, tome 1er, page 13 et suivantes :

» Avant d'entrer en matière, et pour répandre plus de clarté dans une discussion qui semblait avoir été obscurcie par une sorte de confusion dans l'emploi des mots Aubaine, droits civils, étranger, regnicole, sujet du roi, M. le procureur-général croit devoir s'arrêter un instant à ces termes, pour en déterminer

le véritable sens. Il observe, entr'autres choses, que, si le droit d'aubaine, par une théorie vraiment platonicienne, fut supprimé indéfiniment par l'assemblée constituante de France, néanmoins les art. 11, 13, 17 et autres du code civil qui nous régit encore, démontrent clairement qu'aucun étranger n'est admis à l'exercice des droits civils indistinctement et dans toute leur étendue. A la vérité, selon le même code, les étrangers peuvent être admis à l'exercice de divers droits civils, suivant les diverses positions dans lesquelles ils se trouvent; mais de là il y a loin à la qualité de regnicole; il faut avoir à réclamer des garanties qui ne s'acquièrent qu'en échange des avantages que recueillerait la patrie : il est donc une grande différence entre des étrangers demeurant dans un pays régi par le code qui est encore le nôtre, et les régnicoles de ce pays; il est surtout une différence extrême entre ces étrangers qui conservent une autre patrie, et les sujets de S. M. Les rédacteurs du code euxmêmes n'ont-ils pas reconnu qu'on ne peut avoir deux patries? Les art. 4, 8, 9, 10 et 192 de la loi fondamentale, invoqués sans fruit par ·la demanderesse en cassation, n'ont apporté aucune modification aux principes du code civil sur cette matière.

» Après cela, M. le procureur général examine si le témoin Pinard était, au temps du testament en litige, regnicole ou sujet de S. M. le Roi des Pays-Bas. Il discute cette question dans les deux hypothèses, celle de l'arrivée de Pinard à Bruxelles en 1798, et celle qui fixerait son arrivée en 1793 : si (ditil) l'arrivée de Pinard peut demeurer fixée à 1798, il ne nous paraît pas douteux que cet individu, qui n'a rien fait que ce qu'il appartenait de faire à tous ceux qui alors furent appelés à l'exercice des droits civils français, et aussi bien à Bruxelles qu'à Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux, n'a fait réellement qu'un changement de domicile. Il nous semble également incontestable que, dans ce cas, c'est un Français qui se trouvait parmi tant d'autres à Bruxelles en 1814, et que Pinard, comme les autres Français, était sujet du souverain de la France au 31 janvier 1814, comme au 1er février de cette même année; avec cette différence notable, qu'à la première de ces époques (31 janvier), il pouvait exercer les droits de Français à Bruxelles, tandis qu'il ne le pouvait plus le lendemain 1er février, parceque Bruxelles ne faisait plus partie de la France ce jour-là.

» Dans l'hypothèse de l'arrivée de Pinard TOM. XXXIII.

à Bruxelles en 1793, M. le procureur général démontre que ce dernier n'avait point acquis la qualité de Belge dans l'intervalle de 1793 à l'époque de la conquête de ce pays par les armées françaises. Ainsi, dans l'une comme dans l'autre hypothèse, il demeure constant qu'au 31 janvier 1814, Pinard, bien que domicilié à Bruxelles, était Français, et n'avait jamais été Belge. S'il a pu exercer en Belgique ses droits civils de citoyen français, de 1794 à 1814, il n'a réellement eu d'autre qualité pour cela que ses compatriotes de Bordeaux, de Paris et de Lyon, qui ont eu dans notre pays les mêmes droits civils pendant ces vingt années. Cette vérité une fois admise, c'est un Français, et non un Belge, ayant exercé ses droits civils par suite de la réunion de la Belgique à la France, que les souverains-alliés ont trouvé dans Pinard en février 1814; et la prolongation de son séjour à Bruxelles depuis 1814, ne lui a rien ôté de sa qualité de Français, puisqu'il est constant qu'il n'a pas été naturalisé dans ce pays. Loin donc qu'il s'agisse, comme l'a supposé le tribunal de première instance de Bruxelles, de voir de quels droits l'occupation de la Belgique par les troupes des souverains-alliés aurait privé Pinard, c'est au contraire de ceux qu'il aurait acquis, qu'il s'agit ici pour la décision de la question qui se présente; et loin qu'il faille démontrer que des dispositions quelconques aient interrompu l'exercice de droits supposés conservés par Pinard, c'est de la perte de ses droits en France et de sa qualité de Français qu'il faudrait, s'il était possible, reconnaître l'existence et l'époque. Les effets de la conquête, en 1814, sont, pour Pinard et pour tous les Français demeurés en Belgique, bien différens de ce qu'ils ont été pour nous Belges. Pour Pinard, qui, depuis 1790, n'avait cessé d'être Français, il a pu, de 1794 à 1814, légalement exercer en Belgique les droits civils français. Mais la séparation de nos provinces de la France, a eu nécessairement pour suite de réduire au territoire de la France, tel qu'il existe aujourd'hui, le territoire dans lequel ses droits civils ont pu être exercés ; et il a eu cela de commun avec ses compatriotes dont il a conservé les droits et la qualité. Mais pour nous Belges, qui n'avions exercé des droits civils sous le gouvernement français, que parceque les événemens avaient réuni nos provinces à la France, nous avons recouvré, par notre séparation de la France, les droits civils et la qualité que nous avions avant ces événemens redevenus Belges, et 6.

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