Images de page
PDF
ePub

mand! Il appartient à cette vieille théorie d'après laquelle un individu ne serait riche que de la pauvreté des autres, une nation ne serait riche qu'à la condition que les autres fussent dans la misère, comme si la richesse d'un industriel et d'un commerçant n'était pas la fortune de sa clientèle. Si l'Amérique du Nord était encore peuplée de Sioux ou d'Iroquois, nous achèteraient-ils autant que les citoyens des États-Unis, en dépit de M. Mac Kinley? Si nous jetons un coup d'œil sur notre commerce extérieur, nous voyons que nos grands clients sont précisément ces concurrents que les protectionnistes ne cessent de dénoncer comme des ennemis. Sur nos 3 milliards 373 millions d'exportations en 1895, l'Angleterre a acheté plus d'un milliard, soit 40 p. 100; si on y ajoute la Belgique et l'Allemagne, on arrive à un chiffre supérieur à 1.800 millions, soit plus de 66 p. 100 du total de nos exportations! Ces chiffres justifient une fois de plus la thèse que M. Yves Guyot a soutenue ici même dans sa communication sur la Morale de la concurrence.

M. Yves Guyot ajoute qu'il est heureux de se trouver d'accord avec le Memorandum on the comparative statistics of the industry and commerce in the United Kingdom and some leading foreign countries, rédigé par sir Courtenay Boyle, permanent secretary of the Board of trade. Sa conclusion n° 6 est ainsi conçue: « Il est plus que jamais nécessaire que l'Angleterre s'occupe de fabriquer pour l'exportation. C'est une erreur de croire que l'augmentation de la richesse des pays étrangers nous soit défavorable. Les nations de notre voisinage les plus riches nous sont les plus utiles ainsi qu'au reste du monde. »

M. Yves Guyot appelle aussi l'attention sur des erreurs qui résultent de certaines conditions économiques. Quand un peuple donne des primes à l'exportation de l'alcool et des sucres, par exemple, il paye les étrangers pour vouloir bien les consommer. Les quantités qu'il expédie ainsi grossissent ses chiffres de douanes, mais n'enrichissent pas. Il en est de même quand, dans le même but, il réduit des tarifs de chemins de fer de manière à transporter à perte. C'est le cas pour la Belgique, qui transporte pour rien les voyageurs qui débarquent de Douvres à Ostende jusqu'à la frontière allemande.

M. Yves Guyot n'est pas pessimiste, mais il est loin d'être optimiste à l'égard du développement commercial et industriel de la France. Les consuls disent à nos nationaux d'aller dans divers pays. Ils oublient que depuis 1892 nous n'avons plus de traités de commerce, tandis que, depuis 1890, l'Allemagne en a conclu avec

l'Italie, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, la Suisse, la Russie, la Serbie, la Bulgarie. Notre commerçant est donc placé dans de moins bonnes conditions que son concurrent allemand. De plus, les tarifs de 1892 ont rehaussé relativement le prix de quantité d'objets en France et par conséquent le prix de production, On dit à nos industriels : « Produisez à bon marché ! » et comment y parviendraient-ils, alors que tout le système protectionniste a pour but de faire de la cherté?

Si nous calculons l'importance du commerce extérieur par tête, et si nous la comparons autant qu'on peut le faire aux charges budgétaires, nous trouvons les chiffres suivants :

[blocks in formation]

Le chiffre du commerce par tête de l'Allemagne est exactement

le même que celui de la France.

Seulement, aux dépenses budgétaires de l'Empire, il faudrait ajouter les dépenses locales, qui doivent aussi majorer les chiffres que M. Yves Guyot vient de citer pour la Suisse et le RoyaumeUni. Cependant on peut dire que toute politique qui a pour résultat d'augmenter les dépenses de l'État, ayant une répercussion sur les frais de production, a pour résultat de diminuer la puissance industrielle et commerciale du pays auquel elle s'applique.

Quant à l'instruction, il faut changer tout notre système et engager les jeunes gens beaucoup plus vite dans les luttes de la vie au lieu de les condamner à des concours jusque dans le milieu de l'âge mûr.

Il faut enfin assurer la stabilité politique à notre industrie et à notre commerce par le retour au régime des traités de commerce.

M. Boissevain, d'Amsterdam, croit intéressant de signaler à la Société d'économie politique une association fondée, il y a neuf ans, en Hollande dans le but de favoriser le développement du commerce néerlandais et de chercher de nouveaux débouchés à l'industrie du pays.

Cette Association cherche à l'étranger des emplois dans de bonnes maisons de commerce pour des jeunes gens désirant faire

leur carrière dans le commerce. Mais le Comité qui a en mains la direction de l'Association, et surtout son secrétaire, se donnent beaucoup de peine pour que l'Association n'accorde son patronage qu'à des jeunes gens bien préparés pour la carrière à laquelle on les destine. Même on en est venu à prendre de préférence ces jeunes gens au sortir de l'école écoles de commerces ou écoles moyennes pour les assister alors de bons avis, de recommandations et d'une aide financière, afin de leur permettre de remplir un volontariat de deux ou trois ans dans des maisons où ils puissent apprendre le commerce d'exportation. Puis, autant que possible, avant de les envoyer outre-mer, on leur fait faire des voyages dans les districts industriels du pays pour que, arrivés à leurs postes définitifs, ils puissent ètre d'utiles ouvriers dans l'œuvre

commune.

on s'occupe sur

Bref, et sans entrer dans trop de détails, tout de veiller à ce que les candidats de l'Association soient à la hauteur de la tâche qui leur sera dévolue dans l'intérêt public en même temps que, personnellement, ils s'évertueront à avancer dans leur carrière.

Le budget annnel de l'Association est d'environ 10.000 florins, dus pour la moitié à des contributions particulières et pour l'autre moitié à un subside du gouvernement; ce subside, du reste, n'a été accordé que quand le gouvernement a eu constaté que les particuliers prenaient l'initiative. Avec ce budget assez modeste, on a réussi à placer tous les ans à l'étranger, cinq, six, sept jeunes gens au Venezuela, en Colombie, au Guatemala, au Mexique, au Brésil, en Argentine, en Australie, aux Indes-Britanniques, en Perse, au Siam, en Chine, etc., etc. : la très grande majorité ont bien réussi ou promettent de réussir.

Les secours financiers, qui vont parfois jusqu'à être des bourses de préparation pratique pendant deux ou trois ans, sont accordés sous forme de prêts, à rembourser plus tard quand les boursiers auront réussi dans leur carrière.

Maintenant, ajoute M. Boissevain, d'aucuns s'étonneront peutêtre de ce qu'un étranger vous vienne dire: voici une mesure que nous avons appliquée chez nous avec beaucoup de succès, voyez si vous ne pourriez pas faire de mème. Mais d'abord M. Boissevain, quoique fier et heureux d'être Hollandais, n'oubliera jamais que, descendant de réfugiés français, le beau pays de France a été la patrie de ses ancêtres et personnellement il a pour la France la plus vive sympathie.

Puis, en Hollande, on estime et lui personnellement abonde

en ce sens qu'entre nations la grandeur et la prospérité commerciales ne s'obtiennent pas pour les unes aux dépens des autres, mais que la prospérité de chacune est de la plus grande utilité pour toutes, en un mot, qu'il y a là solidarité absolue des différents intérêts.

Enfin, dit M. Boissevain, un remède comme celui dont il a parlé, n'est, après tout, qu'un petit moyen.

Le grand, le véritable, le suprême et seul efficace moyen de développer le commerce international, c'est d'en revenir ou d'en venir au libre-échange.

Du reste, s'écrie-t-il, ce n'est pas à la Société d'économie politique qu'il est nécessaire de venir plaider la cause du libreéchange. Mais n'est-il pas étrange et bien triste de voir ce qui se fait et se passe en France. A-t-on oublié que dans le commerce ce sont des produits qu'on échange contre des produits? Et comment donc peut-on augmenter la vente des produits français, si l'on fait tout son possible pour empêcher les étrangers de vendre par contre les leurs.

Que la France ouvre ses frontières aux produits étrangers, qu'elle adopte franchement le libre-échange. Et enfin, dit en terminant l'orateur, si l'on en veut bien venir au libre-échange, qu'on n'oublie pas non plus qu'il faut, pour relever et développer le commerce international, lui rendre l'unité de la mesure de valeur et du moyen d'échange, l'identité de par le monde commercial tout entier de l'étalon monétaire. Or cet étalon général, ce ne peut être ni l'or, ni l'argent seuls, il en faut revenir à les lier ensemble, à en faire de nouveau le joint standard.

M. Gay ajoute quelques détails à ce qui a été dit sur la législation des sociétés en France. M. Fleury a parlé des sociétés anglaises, qui peuvent abaisser jusqu'à 1 livre sterling le montant de leurs actions. Or, ce point, pour M. Gay, a très peu d'importance. Ce qui importe, c'est l'énorme danger que courent, d'après notre législation, les fondateurs des sociétés commerciales, danger d'autant plus redoutable qu'ils sont plus honnêtes.

Il cite des exemples observés par lui, exemples de gens très consciencieux, désireux de créer, en France, des sociétés françaises, et qui, rebutés par des entraves, des risques légaux de toutes sortes, s'en sont allés en Angleterre fonder des sociétés anglaises.

D'autre part, M. Gay, un peu comme M. Yves Guyot, redoute peu le péril allemand. Il ne nous trouve pas inférieurs aux Alle

mands, et on le verrait bien si nos lois absurdes sur les sociétés étaient une fois réformées.

Il trouve ridicule aussi la tendance à proscrire les étrangers : toutes les fois que, dans sa carrière, il a eu besoin d'employés sachant bien les langues étrangères, il a été obligé de recourir à un personnel venant du dehors.

Nous ne pouvons nous passer, en France, du travail étranger, des valeurs étrangères; on veut maintenant les proscrire, les uns et les autres, ce qui est monstrueux; pour les valeurs, en par'iculier, il suffit de remarquer que leurs arrérages, s'ils sont payés en France, restent, s'emploient dans le pays; s'ils sont touchés dans des pays étrangers, ces capitaux y restent, pour y fructifier, au grand profit du travail et de la prospérité de ces pays.

་་

M. Ch. Thierry-Mieg approuve entièrement ce qui a été dit par les précédents orateurs. Lui aussi pense que le protectionnisme est la principale cause du marasme commercial de la France. Il cite un exemple. Il y a quelques années, dit-il, je reçus la visite d'un fabricant de Lyon, qui me dit : « Nous sommes trois frères, et comme nous ne gagnons pas assez pour trois, je vais aller m'établir à Alexandrie, en Égypte, pour y vendre les produits de ma maison, et ceux d'un certain nombre d'autres maisons françaises. Je suis patriote, et je désire pour ma part chercher à développer le commerce français en Égypte. » Deux années plus tard, M. Thierry-Mieg revit ce négociant, qui lui dit : « J'ai complètement échoué; j'ai commencé par prendre des commandes en vantant la supériorité des marchandises francaises; mais mes acheteurs ne tardèrent pas à me faire remarquer que la supériorité de la qualité n'étant pas en rapport avec l'élévation des prix, ils préféraient de beaucoup les marchandises anglaises qui étaient presque aussi bonnes et beaucoup meilleur marché. Sous peine de ne plus faire d'affaires du tout, j'ai dû renoncer à vendre des tissus français, et aujourd'hui je ne vends plus que de l'anglais. »

Or, c'est le protectionnisme seul qui renchérit les marchandises françaises. Supposez les droits de douane supprimés: rien de plus facile que de produire en France au même prix qu'en Angleterre. La construction des bâtiments d'une filature ou d'un tissage ne coûte pas plus cher à Rouen qu'à Manchester. Pour y amener la houille et les machines, les métiers, il n'y aurait à ajouter que les frais de transport par mer qui sont peu de chose; et ils seraient compensés par le bon marché de la main-d'œuvre. Donc aucune raison pour ne pas produire au même prix qu'en

« PrécédentContinuer »