Images de page
PDF
ePub

de transport. Nombre de métiers restés en dehors de l'évolution industrielle ont été atteints par l'évolution commerciale; l'extension du marché et l'accroissement de la concurrence ont conduit en certains cas à l'agglomération, sous une seule direction soutenue par de forts capitaux, d'une foule de métiers spécialisés où le mode de travail n'a pas subi l'influence du machinisme. Ce n'est cependant pas parmi les ouvriers spécialistes, cela se conçoit, que le mouvement tradeunioniste s'est le plus propagé. Mais tous les ouvriers, quel que soit leur métier, cherchent à organiser le marché collectif du travail, quoique ce qu'ils comptent obtenir de son établissement diffère totalement. De ces divergences de tendances est née la scission du mouvement unioniste que le public désigne, plus ou moins exactement, sous le nom de Vieux-Trade-Unionisme ou unions corporatives et Néo-TradeUnionisme ou unions socialistes. La caractéristique du Vieux-TradeUnionisme, c'est la prépondérance que les unions accordent à l'assurance mutuelle, parfois aussi les mesures prohibant ou restreignant l'entrée des étrangers dans le métier; celle du Néo-Trade-Unionisme, le peu d'importance attachée à l'organisation des secours mutuels et les tendances socialistes. Au Vieux-Trade-Unionisme appartiennent les unions les plus anciennes, enrichies et assagies; au Néo Trade-Unionisme, les unions nouvellement formées. Ces dernières prétendent que les richesses ont alourdi les anciennes unions qui aujourd'hui ne sont plus assez ardentes dans la lutte pour la défense des intérêts professionnels ; à cette accusation celles-ci répliquent en disant que les jeunes unions, au lieu de se borner à demander avec persévérance et tenacité des choses possibles et de confier leur direction à des gens du métier connaissant leurs besoins réels, ne visent qu'à un bouleversement général qui n'améliorera rien et suivent l'impulsion imprimée par des politiciens ambitieux et remuants. L'accord est donc loin d'exister dans les vues de ces travailleurs; le seul point sur lequel ils s'entendent c'est d'exclure de tout emploi les ouvriers non-unionistes. A ces deux divisions vient s'en joindre une troisième, l'Independent Labour Party, qui considère que tout unionisme est usé, sans efficacité, et qu'on ne peut rien obtenir que par la politique; ses tendances sont nettement collectivistes. Quant à la Free Labour Association, soutenue, dit-on, par les patrons, elle a été fondée en opposition avec le Trade-Unionisme.

Les collaborateurs de M. de Rousiers ont attentivement et consciencieusement étudié les principales unions des deux plus fortes branches du Trade-Unionisme, que les membres de ces unions appartinssent à des métiers atteints par l'évolution industrielle et commerciale ou seulement par l'évolution commerciale: unions d'ouvriers du bâtiment, d'ouvriers agricoles, des dockers, des mineurs, des ouvriers des cons

tructions navales, des mécaniciens et des ouvriers des industries textiles. Il va de soi que nous ne pouvons suivre les enquêteurs dans la relation qu'ils font des traits particuliers à chacune, tout instructif et intéressant que cela puisse être; nous nous bornerons à résumer en quelques mots l'impression qui se dégage de la lecture des détails caractéristiques de ces associations: tant valent les unionistes et spécialement ceux qui les dirigent, tant valent les unions. La preuve la plus convaincante qui nous ait été fournie de la vérité de cette assertion se trouve dans la partie consacrée à l'Union des ouvriers de la construction navale. Bien qu'elle soit loin d'être en tous points libérale, puisqu'elle refuse l'admission dans l'association des aides (helpers\, nécessaires dans cette industrie, parce qu'ils ne sont que des mancuvres soit dit en passant, les ouvriers qui les emploient se montrent si durs envers ces aides que ceux-ci se sont unis afin d'arriver à être promus au rang d'employés directs des entrepreneurs et non plus d'employés des ouvriers la Société des boilermakers and shipbuilders, dont l'origine remonte à 1832, a cette bonne fortune d'avoir depuis vingt-cinq ans un secrétaire général d'un remarquable caractère. C'est lui qui exerce, en réalité, presque entièrement la direction des affaires de l'Union et son bon sens, sa fermeté, sa hauteur de vues ont évité bien des conflits entre employeurs et employés. Le shipbuilder n'est cependant pas un ouvrier facile à conduire, car il est dépensier et trop souvent enclin à l'ivrognerie. Mais la centralisation extrême de l'organisation de cette union ajoute à l'autorité qu'a su prendre le secrétaire général.

C'est dans les vastes chantiers du Nord, nous dit-on, que l'Union trouve toute sa force et compte la majeure partie de ses membres. Au nombre de 45.000 ils composent la presque totalité d'un métier dont le personnel ne dépasse pas 50.000 hommes. Comme la plupart des vieilles unions, elle est en même temps association en vue des intérêts professionnels et société de secours mutuels. Aux secours mutuels n'ont droit que les full members qui paient une cotisation plus élevée que les trade members, lesquels ne reçoivent l'appui de la Société que dans le domaine purement professionnel. La puissance de la Société est telle dans les chantiers du Nord qu'un ouvrier qui n'en fait pas partie ou qui a été exclu de l'Union ne peut trouver d'ouvrage et doit chercher une autre profession. Le secrétaire général tient à posséder dans l'Union un personnel de premier ordre au point de vue professionnel; c'est par là qu'il justifie les avantages qu'il sait obtenir pour sa Société. De plus, de même qu'il essaie et parvient à imposer les membres de son I'nion aux patrons, il se sent responsable du préjudice qu'ils peuvent causer par inhabileté ou négligence; on a de fré

quents exemples de cas où des shipbuilders ayant gâché le travail qui leur était confié, l'Union a remboursé aux patrons le prix des matériaux ainsi mis hors d'usage par la faute de ses membres, quitte à se faire rembourser par ceux-ci ensuite. Il semble ainsi que la Société soit un véritable entrepreneur de travail. Entre les mains du secrétaire général actuel, cette Union qui pouvait être une si formidable machine de guerre a été plutôt favorable à la paix; cependant elle veut trop réglementer le métier, non seulement dans le présent mais dans l'avenir, par la limitation de l'apprentissage. Cette mesure étroite n'est plus en rapport avec les exigences de l'industrie.

Malheureusement cette Union n'est pas la seule où le système restrictif soit en honneur, c'est même là un défaut général des anciennes Unions. Aussi M. de Rousiers dit-il avec justesse dans un chapitre final sur l'avenir du Trade-Unionisme en Angleterre, après avoir brièvement analysé les causes des succès passés et les craintes que peuvent faire naître les déviations présentes du nouvel unionisme, que c'est plutôt par l'égoïsme inintelligent des unions riches et prospères, qui ne veulent pas admettre parmi eux les manœuvres de leurs métiers, que l'avenir du trade-unionisme peut être gravement compromis. C'est de l'évolution contemporaine de l'industrie et du commerce qu'est sorti le Trade-Unionisme, ajoute-t-il; c'est elle qui les a nécessitées; c'est elle qui doit guider leurs transformations, parce que c'est elle qui les impose... Le renouvellement incessant, la correspondance toujours parfaite entre l'état de l'industrie et l'organisation syndicale du personnel ouvrier, telles sont pour les Trades'-Unions les conditions essentielles de la prospérité. Les preuves de sagesse et de souplesse, qualités résultant de l'éducation nationale, qu'ont déjà données les ouvriers anglais permettent de prévoir qu'ils sauront se plier aux exigences de situations nouvelles.

[ocr errors]

Si l'étroitesse de vues des anciennes unions peut devenir des plus nuisibles au trade-unionisme, l'imprévoyance des nouvelles unions ne le sera pas moins. Déjà quelques-unes parmi les dockers notamment - ont été obligées d'accorder à leurs membres des secours mortuaires de 100 francs. « Peut-être iront-elles plus loin dans cette voie sans se laisser arrêter par le scrupule de violer les principes du nouvel unionisme. On ne peut que le leur souhaiter », écrit M. de Rousiers. Nous ne sommes pas tout à fait aussi partisan que lui de la réunion sous une administration unique · même si les membres ont la faculté d'y prendre part des fonds de secours professionnels et de secours mutuels. S'il est bon que la possession des richesses assagisse les unions, il ne faut cependant pas qu'elle les amollisse; de plus on doit éviter que l'effet d'une grève puisse, à un moment quelconque, se

T. XXIX. MARS 1897.

29

répercuter sur les fonds réservés aux pensions et aux autres charges de ce genre. Les mineurs nous semblent avoir résolu le problème de façon plus rationnelle et plus sûre en fondant des institutions de secours mutuels distinctes de leurs associations professionnelles. Les anciennes unions prétendent qu'elles ne recruteraient plus d'adhérents si elles n'offraient pas la perspective de ces avantages. Rien ne les empêche de continuer à les offrir, mais rien non plus ne les oblige à gérer elles-mêmes le montant des cotisations qu'elles réservent à cet usage. Développer la prévoyance dans les classes ouvrières est, certes, œuvre méritoire et sage qui ne saurait être trop encouragée; chercher la méthode la plus fructueuse dans la gestion de la mutualité est non moins sage et utile, on ne s'en préoccupe pas toujours assez. M. LR.

SALAIRES ET BUDGETS OUVRIERS EN 1853 ET 1891, par EDM. NICOLAï, membre de la Commisssion centrale de statistique. 1 brochure. F. Hayez, éditeur, Bruxelles 1895.

Si l'on s'en rapportait aux prédications enflammées des meneurs socialistes de toutes nuances, la situation des ouvriers n'aurait jamais été plus triste qu'aujourd'hui; seuls ils n'auraient pas bénéficié de la transformation du mécanisme de la production et des progrès de tous genres qui l'ont accompagnée et suivie. Assurément, par suite de diverses causes dont quelques-unes dépendent directement d'eux-mêmes, les travailleurs ne reçoivent pas toujours une part égale aux services qu'ils rendent et l'avenir d'un trop grand nombre d'entre eux ne se présente pas sous des couleurs bien brillantes, parce que l'accroissement des salaires semble avoir provoqué celui des dépenses. Toutefois on ne saurait nier, sans parti-pris, que leur sort est beaucoup plus satisfaisant qu'autrefois. Pour en juger, on n'a qu'à rechercher quelles améliorations matérielles ils ont pu apporter à leur existence depuis une cinquantaine d'années. C'est ce qu'a fait M. Nicolaï en se basant sur les données de l'enquête officielle faite en Belgique, sur les salaires et les budgets ouvriers du mois d'avril 1891 et en comparant les chiffres de cette époque à ceux des précédentes.

Le questionnaire de l'enquête portait sur les points suivants : 1o salaire journalier moyen; 2o composition de la famille de l'ouvrier, âge de chacun des membres et nombre d'enfants, etc; 3° ressources générales de chaque ménage; 4o dépenses pour la nourriture avec l'indication des quantités consommées; 5° autres dépenses de l'ordre matériel, notamment sur celles qui concernent l'habitation, les vêtements, le

chauffage, etc; 6o prix de détail des denrées alimentaires; 7o dépenses de l'ordre religieux, moral et intellectuel; 8° dépenses de luxe.

De l'étude des différentes réponses il ressort que la majorité des familles a quatre enfants; le père gagne en moyenne 4 fr. 10 par jour; la mère, 1 fr. 15; les fils, 1 fr. 45 et les filles, 0 fr. 82 centimes. Voici les chiffres que présentaient les moyennes, en 1846 hommes, 1 fr. 49; femmes, 0 fr. 71; garçons, 0 fr. 54; filles, 0 fr. 39. Il s'ensuit donc que les salaires ont plus que doublé en Belgique depuis quarante ans. On sait que la durée du travail journalier a quelque peu diminué; en 1891, elle était de 10 h. 24 minutes, le recensement de 1880 donnait 10 h. 33. Quant aux dépenses, elles se répartissent ainsi dans le montant total: nourriture, 61 p. 100; logement, vêtements, etc., 32 p. 100; dépenses de luxe, 5 p. 100; dépenses de l'ordre religieux, intellectuel et moral, 2 p. 100. M. Nicolaï nous montre dans un tableau dressé d'après les relevés de l'enquête officielle, le détail de la quantité de nourriture consommée par ménage, la dépense occasionnée par l'achat de ces articles et le prix moyen de chacun d'eux; il reproduit aussi quelques-unes des données d'une étude analogue faite en 1853 et il conclut de la comparaison des chiffres « que la nourriture de l'ouvrier de 1891 est plus consistante et plus copieuse que celle du salarié de 1853. Un seul article, celui des pommes de terre est en diminution. Par contre, le beurre et la graisse ont leur consommation doublée. L'usage de la viande et du lard a plus que triplé, Le café est à peu près employé dans la même proportion aux deux époques. Quant au pain, 53 kilogrammes entrent actuellement en plus dans la nourriture anuelle de l'ouvrier; en outre, on constate un grand changement au point de vue de la qualité. Anciennement le pain de seigle représentait 47 p. 100 du poids consommé contre 31 p. 100 de pain de froment et 22 p. 100 de pain de méteil. » En 1891, dans la consommation annuelle de l'ouvrier, le pain de seigle n'entrait plus que dans la proportion de 2 p. 100; le pain de méteil, 16 p. 100 tandis que celui de froment entrait pour 82 p. 100. Dans le budget des subsistances de la famille ouvrière, le pain occupe naturellement la première place, soit 30 p. 100; viennent ensuite les œufs et laitages, 23 p. 100; les viande, lard et graisse, 21 p. 100; les pommes de terre et légumes, 14 p. 100; les café, chicorée, sucre et épiceries, 8 p. 100; les bières et liqueurs, 4 p. 100. A l'exception du pain de froment et de seigle (et aussi des pommes de terre dont la variation est peu importante), le prix de toutes les substances alimentaires a grandement haussé : celui de la viande a presque doublé et pour les autres articles l'augmentation est de plus de moitié. Les dépenses d'habitation, d'habillement et de chauffage sont les plus fortes parmi les autres dépenses de l'ordre matériel — qui dans le

« PrécédentContinuer »