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cien spécialiste. Et pourtant, en agriculture comme dans toutes les industries, le machinisme est une nécessité et permet seul une exploitation rationnelle et rémunératrice. A l'étranger, le mouvement de transformation s'est nettement dessiné, et, en GrandeBretagne notamment, il n'y a pas un concours agricole où l'on ne puisse voir un série d'appareils divers commandés par un moteur à pétrole, depuis la pompe d'épuisement jusqu'à la machine à battre. L'attention s'est éveillée en France aussi, et nous n'en voudrions pour preuve que les essais comparatifs faits par M. Ringelmann à un concours international tenu à Meaux.

Mais ce qui arrête complètement le progrès dans notre pays, c'est, on ne s'en étonnera point, le protectionnisme on sait que, soi-disant pour défendre les producteurs de colza, c'est-à-dire une minorité agricole, on taxe lourdement les pétroles à leur entrée en France. Il est vrai que, depuis 1893, et simplement pour faire une gracieuseté à la Russie, on a diminué les droits de douanes; ce qui n'empêche pas qu'en gare de Paris, sans octroi, le prix de l'hectolitre est de 24 à 25 francs, alors qu'au détail le litre ne se paye guère plus de 15 centimes, en Suisse. Le pétrole est pourtant un combustible démocratique; mais le protectionnisme ne continue pas moins d'en diminuer la vente autant qu'il le peut et d'en rendre l'emploi impossible à cette agriculture qu'il prétend protéger.

DANIEL BELLET.

REVUE

DE

L'ACADEMIE DES SCIENCES

MORALES ET POLITIQUES

(Du 13 février 1896 au 22 mai 1897.)

Les tables de natalité.

SOMMAIRE La responsabilité des accidents industriels. Le régime des chemins de fer français et prussiens. Les erreurs judiciaires. -- Travaux divers. - L'approvisionnement de la Ville de Paris sous le Consulat et l'Empire. Décès.

I

- Nomination.

Un très important débat s'est engagé au sein de l'Académie des Sciences Morales et Politiques au sujet de la responsabilité des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.

La question a été introduite par un rapport de M Lyon Caen dans lequel le savant professeur, prenant pour sujet un ouvrage de M. Tarbouriech, a montré que malgré les projets élaborés à plusieurs reprises aucune solution n'a pu intervenir à l'heure actuelle, ce qui permet de croire à l'imperfection de notre mécanisme législatif.

M. Glasson a répondu que ce n'était pas notre mécanisme législatif qu'il fallait accuser; depuis longtemps on s'occupe des accidents du travail; la question n'est pas neuve, mais, dans les pays où l'on est arrivé à un résultat législatif, ce résultat n'est pas satisfaisant. Notre justice française est excellemment organisée, mais dans son fonctionnement général c'est une machine lente et lourde quand elle est saisie d'un procès d'accident, il s'agit de savoir à qui incombe la preuve; c'est pour les magistrats une question très délicate. On comprend qu'ils ne veulent pas rendre

un jugement avec précipitation. Les magistrats ne peuvent pas connaître toutes les industries. Ils nomment des experts. Les experts ont bien des défauts: ils coûtent très cher et ils demandent beaucoup de temps pour se faire une opinion. Que dans un procès on emploie la procédure de l'expertise, que devient l'ouvrier pendant ce temps? Il peut attendre des mois et même plus, avant d'obtenir une indemnité. Voilà le mal. Pour y remédier on a proposé ou d'appliquer le droit commun en le modifiant, ou d'établir une législation spéciale qui reconnaîtrait le principe du droit. commun, mais l'organiserait par une législation particulière. Le droit commun conduit à cette solution: la faute ne se présume pas. C'est donc celui qui croit qu'elle a existé qui doit la prouver, la plupart du temps l'ouvrier. Ce droit commun est parfois très dur pour lui non seulement à cause de la procédure, des lenteurs qu'elle entraîne, mais aussi à cause de la difficulté de la preuve. Ne pourrait-on pas y remédier en établissant la présomption de la faute du patron? On a cherché des analogies. Parfois, pour soutenir que la preuve doit être mise à la charge du patron l'on a fait le raisonnement suivant : lorsqu'un patron reçoit dans son atelier un ouvrier, il est dans la même situation qu'une Compagnie de chemin de fer qui reçoit un colis. Elle doit rendre le colis intact. S'il y a des avaries, la Compagnie doit établir le cas fortuit. Telle est aussi la situation du patron. L'ouvrier n'est pas un colis, mais il faut le rendre tel qu'on l'a reçu. S'il est blessé dans le travail il faut prouver que c'est par sa propre faute. Cet argument est fort contestable. Ce qui parait grave c'est qu'en définitive il s'agit de la vie humaine. Or, quand la vie humaine est en jeu, le législateur s'est permis maintes et maintes fois de déroger à ce qu'on appelle le droit commun. Est-ce une raison suffisante pour déroger au droit commun en matière d'accidents? Faut-il renverser la preuve et exiger que le patron la fasse? Ou bien faut-il, pour rester fidèle au droit commun, laisser la preuve à la charge de celui qui prétend que son adversaire est en faute ? On a cru trancher la difficulté par l'assurance obligatoire. C'est une atteinte à la liberté. C'est une transaction avec le socialisme ou tout au moins un moyen de lui ouvrir la porte. Les partisans de la liberté doivent, avant tout, s'en tenir au principe de la liberté des contrats. Il est très dangereux de faire des concessions au socialisme : les socialistes voudront tout, si on ne leur résiste pas.

M. Bardoux a déclaré, comme M. Glasson, qu'il ne fallait pas mettre sur le compte du fonctionnement de l'appareil législatif

les retards apportés au vote de la loi; il y a des motifs permanents et plus sérieux. Deux écoles sont en présence: l'école libérale et école socialiste. L'école libérale a fait les concessions qu'elle croyait devoir faire, elle a modifié profondément la procédure, elle a donné une grande extension au principe de l'assistance judiciaire; elle a accepté le risque professionnel. Elle avait longtemps combattu sur ce point. On a fait valoir les grandes tranformations de l'outillage et de l'industrie moderne, l'impossibilité où l'on était d'appliquer à la situation actuelle les anciens principes du Code civil: cette idée, longuement développée, a fait impression sur l'école libérale qui, après une longue défense, a admis le risque professionnel. Mais une vraie bataille s'est engagée non sur la preuve car en laissant de côté les délits commis par les ouvriers et la mauvaise intention, l'on a fini par mettre dans les autres cas la preuve à la charge du patron-mais bien sur la question de garantie. M. Bardoux repousse l'assurance obligatoire qui, au fond, conduit à l'assurance par l'État. Il proteste contre la tendance qui règne et qui porte à imiter ce qui s'est passé en Allemagne. La législation allemande a fait plus de mal que de bien. En Suisse, en Italie, en Angleterre on a essayé de faire, sans y réussir, quelque chose de semblable. On reviendra aux principes libéraux.

Après avoir condamné l'assurance obligatoire, M. Frédéric Passy a fait porter ses remarques sur la faute lourde: la prétention de mettre à la charge du patron même la faute lourde, montre l'exagération de certains esprits; il y a là un renversement de l'esprit d'équité qui est étrange. Il faut avoir de la bienveillance: Il y a dans l'industrie des risques. Mais il ne faut pas que le risque professionnel, c'est-à-dire ce risque qui ne peut pas être bien défini, mais qui doit rentrer dans les frais généraux, fasse commettre au législateur une iniquité et puisse causer la ruine de l'industrie.

M. Georges Picot a déclaré adhérer aux observations de M. Passy. Il a ajouté les suivantes dans le cas où la faute de l'ouvrier n'existe pas et où la faute du patron n'existe pas non plus, la situation du juge est des plus embarrassantes: rejeter la demande de l'ouvrier blessé qui n'a commis aucune faute ressemble trop souvent à un déni de justice. Quand un fait cause préjudice à un homme, on est tout naturellement porté à trouver un agent responsable. Ici, c'est l'industrie elle-mème, c'est le caractère dangereux de la matière ou de l'outil qui entraine, lorsque l'ouvrier est blessé, une réparation nécessaire, ce qu'on a justement appelé

le risque professionnel. Rien ne serait plus dangereux que de faire des concessions au socialisme, de donner des satisfactions aux passions réformatrices en dehors de ce qui est strictement juste; rien ne serait plus dangereux que de chercher à imiter les tentatives de l'Allemagne.

M. Bérenger a soutenu que ce qu'il faut, c'est appliquer le droit commun à tous les travaux présentant un danger, et que l'on a grandement tort de réserver le risque professionnel à certaines industries, et encore plus d'admettre une réparation en cas de faute. Ila ajouté que si l'on peut étendre la responsabilité du patron aux cas où la cause de l'accident est indécise et ne pourrait être prouvée, c'est à la condition que le travail soit dangereux. Mais il faut bien se garder d'établir, comme l'a fait un projet de loi, une présomption de danger en faveur de certaines industries. On arriverait en effet aux anomalies suivantes : l'accident se produisant dans l'usine admise au bénéfice de la loi donnerait lieu à indemnité, même s'il ne résultait pas d'un travail dangereux et le travail le plus périlleux fait au dehors ne donnerait lieu à aucune réparation, s'il n'y avait pas eu faute démontrée du patron. Un ouvrier serait blessé en coupant du bois ou se casserait la jambe en glissant dans un escalier; si c'est dans l'usine ou en travaillant pour l'usine, il serait indemnisé; si l'accident s'était produit de l'autre côté du mur, l'ouvrier n'aurait droit à aucune indemnité. Cette thèse est bien difficilement soutenable, car on y trouve partout l'inégalité et l'injustice.

M. Maurice Block a rapporté qu'en Allemagne on n'a pas voulu faire de distinctions entre les fautes afin d'éviter les procès, que l'on a préféré combiner une transaction en conférant, en même temps que l'avantage accordé aux ouvriers, un autre avantage. également important aux patrons, qu'on a réservé seulement les cas où l'accident aurait été causé intentionnellement; l'avantage conféré aux patrons par la loi, c'était de fixer un maximum que l'indemnité ne pouvait pas dépasser; grâce à ce maximum, l'indemnité ne pouvait être une cause de ruine pour le patron.

M. P. Leroy Beaulieu a établi que la théorie du risque professionnel est très séduisante, mais qu'elle aboutit ou au privilège, si on ne l'applique qu'à quelques industries, ou à une loi quasi inapplicable, si on prétend l'étendre à toutes; que dans le premier cas, on surexciterait l'envie de ceux qui seraient tenus en dehors des prescriptions, que dans le second cas on compromettrait non pas la grande industrie qui fait un chiffre d'affaires assez considérable pour supporter tous les aléas et trouver des combinaiT. XXX. - JUIN 1897.

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