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Lui? non.

MORON

LA PRINCESSE.

Il ne t'a rien dit de ma voix et de ma danse?

Pas le moindre mot.

MORON,

LA PRINCESSE.

Certes, ce mépris est choquant, et je ne puis souffrir cette hauteur étrange de ne rien estimer.

MORON

Il n'estime et n'aime que lui.

LA PRINCESSE.

Il n'y a rien que je ne fasse pour le soumettre comme il faut.

MORON.

Nous n'avons point de marbre dans nos montagnes qui soit plus dur et plus insensible que lui.

Le voilà.

LA PRINCESSE.

MORON

Voyez-vous comme il passe sans prendre garde à

vous ?

LA PRINCESSE.

De grâce, Moron, va le faire aviser que je suis ici, et l'oblige à me venir aborder.

SCENE IV.

LA PRINCESSE, EURYALE, ARBATE,
MORON.

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MORON allant au-devant d'Euryalle, et lui parlant bas.

SEIGNEUR, je vous donne avis que tout va bien. La princesse souhaite que vous l'abordiez: mais songez bien à continuer votre rôle; et, de peur de l'oublier, ne soyez pas long-temps avec elle.

LA PRINCESSE.

Vous êtes bien solitaire, seigneur ; et c'est une humeur bien extraordinaire que la vôtre, de renoncer ainsi à notre sexe, et de fuir, à votre âge, cette galanterie dont se piquent tous vos pareils.

EURY ALE.

Cette humeur, madame, n'est pas si extraordinaire qu'on n'en trouvàt des exemples sans aller loin d'ici ; et vous ne sauriez condamner la résolution que j'ai prise de n'aimer jamais rien, sans condamner aussivos senti

mens.

LA PRINCESSE.

Il y a grande différence, et ce qui sied bien à un sexe ne sied pas bien à l'autre. Il est beau qu'une femme soit insensible, et conserve son coeur exempt des flammes de l'amour : mais ce qui est vertu en elle devient un crime dans un homme; et comme

la beauté est le partage de notre sexe, vous ne sauriez ne nous point aimer sans nous dérober les hommages qui nous sont dus, et commettre une offense dont nous devons toutes nous ressentir.

EURYALE.

Je ne vois pas, madame, que celles qui ne veulent point aimer doivent prendre aucun intérêt à ces sortes d'offenses.

LA PRINCESSE.

Ce n'est pas une raison, seigneur ; et, sans vouloir · aimer, on est toujours bien aise d'être aimée.

EURYALE.

Pour moi, je ne suis pas de même ; et, dans le dessein où je suis de rien aimer, je serois fàché d'être aimé.

Et la raison?

LA PRINCESSE.

EURYALE.

C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment et je serois fàché d'être ingrat.

LA PRINCESSE.

Si bien donc que, pour fuire l'ingratitude, vous ai→ meriez qui vous aimeroit.

EURYALE.

Moi, madame? point du tout. Je dis bien que je serois faché d'être ingrat ; mais je me résoudrois plutôs

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LA PRINCESSE.

Telle personne vous aimeroit peut-être, que votre

cœur....

EURYALE.

Non, madame, rien n'est capable de toucher mon cœur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes voeux; et quand le ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus mervielleux et du corps et de l'ame, enfin quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas.

LA PRINCESSE, à part

A-t-on jamais rien vu de tel!

MORON, à la princesse.

Peste soit du petit brutal! J'aurois bien envie de lui bailler un coup de poing.

LA PRINCESSE, à part.

Cet orgueil me confond; et j'ai un tel dépit, que je

ne me sens pas.

MORON, bas au prince.

Bon! Courage, seigneur ! Voilà qui va le mieux du monde.

BURYALE, bas à Moron.

Ah! Moron, je n'en puis plus, et je me suis fait des efforts étranges.

LA PRINCESSE, à Euryale.

C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.

EURYALE.

Le ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude.

SCÈNE V.

LA PRINCESSE, MORON.

MORON.

Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de

cœur.

LA PRINCESSE.

Je donnerois volontiers tout ce que j'ai au monde pour avoir l'avantage d'en triompher.

Je le crois.

MORON.

LA PRINCESSE.

Ne pourrois-tu, Moron, me servir dans un tel dessein?

MORON.

Vous savez bien, madame, que je suis tout à votre service.

LA PRINCESSE.

Parle-lui de moi dans tes entretiens, vante-lui adroi

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