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SCENE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

PRINCESSE, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez. Le prince d'Ithaque vous aime, et veut vous demander au prince mon père.

AGLANTE.

Le prince d'Ithaque, madame!

LA PRINCESSE.

Oui. Il vient de m'en assurer lui-même, et m'a de-mandé mon suffrage pour vous obtenir; mais je vous conjure de rejeter cette proposition, et de ne point prêter l'orreille à tout ce qu'il pourra vous dire.

AGLANTE.

Mais, madame, s'il étoit vrai que ce prince m'aimat effectivement, pourquoi, n'ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez-vous pas souffrir....?

LA PRINCESSE.

Non, Aglante, je yous le demande; faites-moi ce plaisir, je vous prie; et trouvez bon que, n'ayant pu avoir l'avantage de le soumettre, je lui dérobe la joie de vous

obtenir.

AGLANTE.

Madame, il faut vous obéir; mais je croirois que la conquête d'un tel coeur ne seroit pas une victoire à dédaigner.

LA PRINCESSE.

Non, non, il n'aura pas la joie de me braver entiè

rement.

SCÈNE IV.

LA PRINCESSE, ARISTOMÈNE, AGLANTE,

MORON.

ARISTOMÈNE.

MADAME, je viens à vos pieds rendre grâce à l'amour de mes heureux destins ; et vous témoigner avec transport le ressentiment où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs.

Comment ?

LA PRINCESSE.

ARISTOMÈNE.

Le prince d'Ithaque, madame, vient de m'assurer tout à l'heure que votre coeur avoit eu la bonté de s'expliquer en ma faveur sur ce célèbre choix qu'attend toute la Grèce

LA PRINCESSE.

Il vous a dit qu'il tenoit cela de ma bouche?

Oui, madame.

ARISTOMÈNE.

LA PRINCESSE.

C'est un étourdi ; et vous êtes un peu trop crédule, prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a dit. Une pareille nouvelle mériteroit bien, ce me semble, qu'on en doutât un peu de temps; et c'est tout ce que vous pourriez faire de le croire, si je vous l'avois dite moi-même.

ARISTOMÈNE.

Madame, si j'ai été trop prompt à me persuader...

LA PRINCESSE,

si vous

De grâce, prince, brisons-là ce discours; et, voulez m'obliger, souffrez que je puisse jouir de deux momens de solitude.

SCÈNE V.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

Аn! qu'en cette aventure le ciel me traite avec une rigueur étrange! Au moins, princesse, souvenez-vous de la prière que je vous ai faite.

AGLANTE.

Je vous l'ai dit déjà, madame, il faut vous obéir.

SCENE VI.

LA PRINCESSE, MORON.

MORON.

MAIS, madame, s'il vous aimoit,vous n'en voudriez point; et cependant vous ne voulez pas qu'il soit à une autre. C'est faire justement comme le chien du jardinier.

LA FRINCESSE.

Non, je ne puis souffrir qu'il soit heureux avec une autre ; et, si la chose est telle, je crois que j'en mourrois de déplaisir.

MORON.

Ma foi madame, avouons la dette: vous voudriez qu'il fût à vous ; et dans toutes vos actions il est aisé de voir que vous aimez un peut ce jeune prince.

LA PRINCESSE.

Moi, je l'aime ! O ciel ! je l'aime ! Avez-vous l'insolence de prononcer ces paroles? Sortez de ma vue impudent, et ne vous présentez jamais devant moi.

Madame....

MORON.

LA PRINCESSE.

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Retirez-vous d'ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d'une autre manière.

RON, bas à part.

Ma foi, son coeur en a sa provision, et...

(Il rencontre un regard de la princesse, qui l'oblige à se retirer.)

SCENE VII.

LA PRINCESSE.

DE quelle émotion inconnue sens-je mon coeur atteint? et quelle inquiétude secrètte est venue troubler tout d'un coup la tranquillité de mon ame ? Ne seroitce point aussi ce qu'on vient de me dire? et, sans en rien savoir, n'aimerois-je point ce jeune prince? Ah ! si cela étoit, je serois personne à me désespérer. Mais il est imposible que celasoit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi! je serois capable de cette lâcheté! J'ai vu toute la terre à mes pieds avec la plus grande insensibitité du monde ; les respects, les hommages et les soumissions, n'ont jamais pu toucher mon ame, et la fierté et le dédain en auroient triomphé ! J'ai méprisé tous ceux qui m'ont aimée ; et j'aimerois le seul qui me méprise! Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. II n'y a pas de raison à cela. Mais si ce n'est pas de l'amour que je sens maintenant, qu'est ce donc que ce peut-étre? et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moi

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