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D'ÉLIDE.

ACTE PREMIER.

CE silence

SCENE I.

EURYALE, ARBATE.

ARBATE.

E silence rêveur dont la sombre habitude Vous fait à tous momens chercher la solitude, Ces longs soupirs que laisse échapper votre cœur, Et ces fixes regards si chargés de langueur, Disent beaucoup sans doute à des gens de mon åge; Et je pense, seigneur, entendre ce langage: Mais, sans votre congé, de peur de trop risquer, Je n'ose m'enhardir jusques à l'expliquer.

EURYALE.

Explique, explique, Arbate, avec toute licence
Ces soupirs, ces regards, et ce morne silence.
Je te permets ici de dire que l'amour

M'a rangé sous ces lois, et me brave à son tour;

Tome III.

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Et je consens encor que tu me fasses honte

Des foiblesses d'un cœur qui souffre qu'on le dompte.

ARBATE.

Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvemens.
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentimens !
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon ame
Contre les doux tranports de l'amoureuse flamme;
Et bien que mon sort touche à ses derniers soleils,
Je dirai que l'amour sied bien à vos pariels,
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage
De la beauté d'une ame est un clair témoignage,
Et qu'il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux,
C'est une qualité que j'aime en un monarque :
La tendresse du coeur est une grande marque
Que d'un prince à votre âge on peut tout présumer,
Dès qu'on voit que son ame est capable d'aimer.
Oui, cette passion, de toutes la plus belle,
Traîne dans un esprit cent vertus après elle;
Aux nobles actions elle pousse les cœurs,
Et sous les grands héros ont senti ses ardeurs.
Devant mes yeux, seigneur, a passé votre enfance,
Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'espérance;
Mes regards observoient en vous des qualités
Où je reconnoissois le sang dont vous sortez ;
J'y découvrois un fonds d'esprit et de lumière ;
Je vous trouvois bien fait, l'air grand, et l'ame fière;
Votre cœur, votre adresse, éclatoient chaque jour :
Mais je m'inquiétois de ne point voir d'amour.

Et, puisque les langueurs d'une plaie invincible
Nous montrent que votre ame à ses traits est sensible,
Je trioraphe; et mon cœur, d'allégresse rempli,
Vous regarde à présent comme un prince accompli.

EURYALE.

Si de l'amour un temps j'ai bravé la puissance,
Hélas! mon cher Arbate, il en prend bien vengeance;
Et, sachant dans quels maux mon cœur s'est abîmé;
Toi-même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé.
Car enfin, vois le sort où mon astre me guide,
J'aime, j'aime ardemment la princesse d'Elide,
Et tu sais quel orgueil, sous des traits si charmans,
Arme contre l'amour ses jeunes sentimens,
Et comment elle fuit en cette illustre fête

Cette foule d'amans qui briguent sa conquête.

Ah! qu'il est bien peu vrai que ce qu'on doit aimer,
Aussitôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer;
Et qu'un premier coup-doeil allume en nous les flammes
Où le ciel en naissant a destiné nos ames!

A mon retour d'Argos je passai dans ces lieux,
Et ce passage offrit la princesse à mes yeux;
Je vis tous les appas dont elle est revêtue,
Mais de l'oeil dont on voit une belle statue :
Leur brillante jeunesse observée à loisir
Ne porta dans mon ame aucun secret désir;
Et d'Ithaque en repos je revis le rivage,
S'en m'en être en deux ans rappelé nulle image.
Un bruit vient cependant à répandre à ma cour
Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour;
On publie en tous lieux que son ame hautaine

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