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Garde pour l'hyménée une invincible haine,
Et qu'un arc à la main, sur l'épaule un carquois,
Comme une autre Diane elle hante les bois ;
N'aime rien que la chasse, et de toute la Grèce
Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse.
Admire nos esprits, et la fatalité !

Ce que n'avoient point fait sa vue et sa beauté,
Le bruit de ses fiertés en mon ame fit naître
Un tranport inconnu dont je ne fus point maître :
Ce dédain si fameux eut des charmes secrets
A me faire avec soin rappeler tous ses traits;
Et mon esprit, jetant de nouveaux yeux sur elle,
M'en refit une image et si noble et si belle,
Me peignit tant de gloire et de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes ses froideurs,
Que mon cœur, aux brillans d'une telle victoire,
Vit de sa liberté s'évanouir la gloire :

Contre une telle amorce il eut beau s'indigner,
Sa douceur sur mes sens pris tel droit de régner,
Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puissance
J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence;
Et je couvre un effet de mes vœux enflammés
Du désir de paroître à ces jeux renommés
Où l'illustre Iphitas, père de la princesse,
Assemble la plupart des princes de la Grèce.

ARBATE.

Mais à quoi bon, seigneur, les soins que vous prenez?
Et pourquoi ce secret où vous vous obstinez?
Vous aimez, dites vous, cette illustre princesse,

Et venez à mes yeux signaler votre adresse;
Et nuls empressemens, paroles ni soupirs,
Ne l'ont instruite encor de vos brulans désirs!
Pour moi, je n'entends rien à cette politique
Qui ne veut point souffrir que votre cœur s'explique;
Et je ne sais quel fruit peut prétendre un amour
Qui fuit tous les moyens de se produire au jour.

EURYALE.

Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette ame hautaine,
Et me jeter au rang de ces princes soumis
Que le titre d'amans lui peint en ennemis?
Tu vois bien les souverains de Messène et de Pyle
Lui faire de leurs coeurs un hommage inutile,
Et de l'éclat pompeux des plus hautes vertus
En appuyer en vain les respects assidus :

Ce rebut de leurs soins sous un triste silence
Retient mon amour toute la violence;

Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'est dans ce mépris et dans cette humeur fière
Que votre ame à ses voeux doit voir plus de lumière,
Puisque le sort vous donne à conquérir un cœur
Que défend seulement une simple froideur,
Et qui n'oppose point à l'ardeur qui vous presse
De quelque attachement l'invincible tendresse.
Un cœur préoccupé résiste puissamment :
Mais quand une ame est libre, on la force aisément ;

Et toute la fierté de son indifférence

N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de ses yeux,
Faites de votre flamme un éclat glorieux;

Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux enflez l'espoir des vôtres.
Peut-être, pour toucher ses sévères appas,
Aurez-vous des secrets que ces princes n'ont pas ;
Et, si de ses fiertés l'impérieux caprice

Ne vous fait éprouver un destin plus propice,
Au moins est-ce bonheur, en ces extrémités,
Que de voir avec soi ses rivaux rebutés.

EURYALE.

J'aime à te voir presser cet aveu de ma flamme;
Combattant mes raisons, tu chatouilles mon ame;
Et par ce que j'ai dit je voulois pressantir
Si de ce que j'ai fait tu pourrois m'applaudir.
Car enfin, puisqu'il faut t'en faire confidence,
On doit à la princesse expliquer mon silence;
Et peut-être, au moment où je t'en parle ici,
Le secret de mon cœur, Arbate, est éclairci.
Cette chasse où, pour fuir la foule qui l'adore,
Tu sais qu'elle est allée au lever de l'aurore,
Est le temps que Moron, pour déclarer mon feu,
A pris.

ARBATE.

Moron, Seigneur !

EURYALE.

Ce choix l'étonne un peu.

Par son titre de fou tu crois le bien connoitre :
Mais sache qu'il l'est moins qu'il ne le veut paroître,
Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui,
Il a plus de bon sens que tel qui rit de lui.
La princesse se plaît à ses bouffonneries :
Il s'en est fait aimer par cent plaisanteries,
Et peut, dans cette accès, dire et persuader
Ce que d'autres que lui n'oseroient hasarder.
Je le vois propre enfin à ce que j'en souhaite;
II a pour moi, dit-il, une amitié parfaite,
Et veut, dans mes états ayant reçu le jour,
Contre tous mes rivaux appuyer mon amour.
Quoique argent mis en main pour soutenir ce zèle...

SCÈNE II.

EURYALE, ARBATE, MORON.

MORON, derrière le théâtre.

Au secours! Sauvez moi de la bête cruelle !

Je pense ouïr sa voix.

EURYALE.

MORON, derrière le théatre..

A moi, de grâce, à moi!

EURYALE.

C'est lui-même. Où court-il avec un tel effroi?

MORON, entrant sans voir personne.

Où pourrai-je éviter ce sanglier redoutable?

Grands dieux, préservez-moi de sa dent effroyable! Je vous promets, pourvu qu'il ne m'attrape pas; Quatre livres d'encens et deux veaux des plus gras. (Rencontrant Euryale, que dans sa frayeur il prend pour le sanglier qu'il évite.)

Ah! je suis mort.

EURYALE.

Qu'as-tu ?

MORON.

Je vous croyois la bête

Dont à me diffamer j'ai vu la gueule prête,
Seigneur; et je ne puis revenir de ma peur.

Qu'est-ce?

EURYALE.

MORON.

Oh! que la princesse est d'une étrange humeur,

Et qu'à suivre la chasse et ses extravagances
Il nous faut essuyer de sottes complaisance !
Quel diable de plaisirs trouvent tous les chasseurs
De se voir exposé à mille et mille peurs?

Encore si c'étoit qu'on ne fût qu'à la chasse
Des lièvres, des lapins, et des jeunes daims; passe:
Ce sont des animaux d'un naturel fort doux,
Et qui prennent toujours la fuite devant nous;
Mais d'aller attaquer de ces bêtes vilaines

Qui n'ont aucun respect pour les faces humaines,
Et qui courent les gens qui les veulent courir,
C'est un sot passe-temps que je ne puis souffrir.

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