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à la génération suivante. Désormais, un jour de fête devrait être consacré chaque année à leur souvenir, ce jour-là toutes les querelles intérieures devraient faire trêve et tous les Français interrogeant leur conscience se demanderaient s'ils veillent assez sur l'héritage des héros morts. Le monde entier, j'entends le monde civilisé, a rendu hommage à notre pays durement éprouvé, dont le sol est abreuvé du sang de ses fils et dont les parents sont devenus veuves et orphelins, et a admiré la façon dont vous avez tous supporté vos épreuves. Le monde entier est plein de respect pour nos héros de la Marne, de l'Yser, de Champagne, de Verdun et de la Somme et partage avec nous les grands espoirs que nous n'avons pas cessé de nourrir et qui n'ont pas été abattus par aucune épreuve, si lourde fut elle ! Leur souvenir restera à jamais gravé dans nos cœurs et nous leur devrons une reconnaissance éternelle, comme a dit Victor-Hugo:

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Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie

<< Ont droit qu'à leur cerceuil la foule vienne et prie. << Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau

<< Toute gloire auprès d'eux passe et tombe éphémère « Et comme ferait une mère,

« La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.

La France n'a jamais eu l'idée, Mesdames et Messieurs, de considérer comme un hommage suffisant rendu à nos héroiques enfants l'inscription >> Mort pour la France »>< portée sur les actes de décès des soldats tombés au champ d'honneur. L'antiquité élevait des autels à ceux qui tombaient pour la Patrie. A une autre grande époque de l'Histoire la France leur a consacré le Panthéon. Une nation se doit d'honorer ses morts en raison directe de sa propre grandeur.

Demain la France victorieuse n'oubliera pas ceux qui ont tout sacrifié à sa gloire. Un monument pourra être élevé à leur mémoire et les vieux y conduiront chaque année les jeunes comme à la plus éloquente des leçons de l'Histoire.

Mais, aujourd'hui, nous devons penser aux veuves, aux mères, aux orphelins qui pleurent, nous leur devons bien quelque chose à eux aussi. Car vous, dont le cœur est toujours ensanglanté, si apaisante que soit la sympathie que vous sentiez autour de vous pour votre douleur, c'est en vous-même que vous trouverez les plus sûres consolations. Sans doute ils ont disparu pour toujours, vos enfants chéris qui se sont sacrifiés pour le salut de tous; sans doute vous êtes séparés d'eux à jamais, mais il ne tient qu'à vous-même de conserver toujours vivante dans vos cœurs l'image des êtres disparus en vous rappelant leur esprit et leur cœur, en portant leur âme en la vôtre et en les faisant participer à vos pensées et à vos actes pour continuer en quelque sorte à vivre avec eux. Il n'est pas possible que vous ayez donné vos enfants, que tant de jeunes cœurs aient versé jusqu'à la dernière goutte de leur sang, que la Patrie ait décuplé ses forces, que tant d'autres nations aient joint à nos armes leurs armes valeureuses pour que cet effort, le plus grand qu'ait vu le monde, ne soit pas couronné par le triomphe éternel de l'humanité sur la barbarie.

Vous devez éprouver un sentiment de fierté en songeant à l'œuvre de salut pour laquelle les vôtres sont tombés et votre suprême consolation sera pour vous la victoire. Elle seule vous donnera le courage de vivre et montrera que notre douleur n'a pas été inutile; certes, vous resterez toujours le cœur meurtri, mais un peu de sérénité s'étendra sur votre chagrin.

En souvenir de ces héros morts pour la France, le Gouvernement a décidé de donner à leurs familles des diplômes d'honneur qui seront pour elles un précieux souvenir. Ces diplômes que plus tard on retrouvera dans les chaumières aussi bien que chez ceux que la Fortune a favorisés seront la preuve que la France a pu, au premier appel, compter sur tous ses enfants, riches ou pauvres, pour repousser l'envahisseur et lutter pour le droit et la

justice. Ce parchemin d'authentique noblesse montrera que celui dont la place est vide a fait son devoir, que de semblables morts ne sont pas stériles, que d'elles est faite l'immortalité de la Patrie.

Je souhaite que plus tard la croix de guerre soit attribuée à tous ceux qui ont fait le sacrifice de leur existence, car s'ils ne l'ont pas tous obtenue, ils l'ont tous méritée.

Une dizaine seulement de ces diplômes ont déjà été remis à des familles de Neuilly par le Président de la République, le 14 Juillet dernier. Ce jour fut la fête du deuil et de l'espoir. Paris acclamait les troupes françaises et alliées qui défilaient comme les promesses vivantes de la Victoire, mais ces pensées d'espérance allaient aussitôt, comme des fleurs, sur les tombes de ceux qui se sont sacrifiés pour la Victoire et qui ne la connaîtront jamais.

Le Gouvernement ayant chargé les Municipalités de remettre dorénavant ces diplômes hommage de la Nation, aux familles qui pleurent leurs chers disparus, nous vous avons réunis aujourd'hui pour vous faire cette remise en une cérémonie qui est plus simple que celle du 14 Juillet, mais si elle est moins grandiose et plus intime, elle n'en est peut-être que plus émouvante, car nous nous connaissons tous et je puis dire que votre douleur est la nôtre.

Le Conseil municipal a tenu à commémorer le souvenir des Héros de Neuilly et a décidé de faire un livre d'or contenant les noms et les exploits de tous les enfants de Neuilly qui sont tombés au champ d'honneur. Ce livre passera à la postérité et les générations futures verront que les enfants de notre ville ont fait vaillamment leur devoir et n'ont pas hésité à suivre l'exemple de leur Député-Maire, M. Nortier, à donner leur vie pour la France.

Pour terminer, je ne puis que répéter le mot récent d'un de nos nobles généraux qui a perdu trois de ses enfants. sur le champ de bataille: Vivent nos Fils!

Mme Thénard, de la Comédie Française, récita avec le grand art que chacun connaît les vers suivants de M. Henri Corbel composés pour la cérémonie et qui ont pour titre Aux Morts pour la France.

Héros tombés en combattant sous la mitraille
Dans la tranchée, au cours des assauts furieux.
La France en vous mettait ses espoirs glorieux.
Et son cœur avec vous battait dans la bataille.
Vous avez tout quitté pour sauver la Patrie ;
Vos fermes, vos maisons, vos parents, vos amours,
O morts, soyez certains que la France toujours
Gardera votre culte en son âme meurtrie.

Afin que le destin du pays s'accomplisse,
Vous avez, en mourant, pour la France en danger,
Afin de la défendre, afin de la venger
Consenti, sans regrets, l'ultime sacrifice.

O morts, vous revivrez aux aurores prochaines,
Dans l'or des blés, dans le gazouillis des oiseaux,
Dans les muguets des bois, dans le chant des ruisseaux,
Et votre voix sera l'immense voix des chênes.

O morts, vous revivrez dans la clarté des roses,
Dans le vert des rameaux, dans l'infini des cieux,
Les flots des Océans reflèteront vos yeux,

Et vous serez les dieux de nos apothéoses!

O morts, vous revivrez dans l'avenir qui chante :
Vos trépas merveilleux ont survolé les monts,
Vous avez affronté des combats de démons,
Vous avez tenu tête à la horde méchante.

O morts, vous revivrez dans le cœur des épouses,
Dans les traits et les yeux de vos petits enfants,
Vos mères conteront vos exploits triomphants,
Et de votre mémoire elles seront jalouses!

Vous êtes les meilleurs des semeurs de victoire !
Dans l'air plane votre âme en frôlant le passant,
Et la vertu symbolique de votre sang
A fait germer soudain le bon grain de la gloire.

Que notre orgueil sacré conjure ici vos ombres
A vous montrer l'exemple, à nous prêcher l'espoir,
A nous dire qu'enfin fleurira quelque soir

La revanche promise à nos douleurs moins sombres.
Votre cri d'agonie est un cri d'espérance,
Vous êtes le métal précieux de notre avoir,
Vous avez rehaussé la beauté du devoir,
Vous avez redoré le blason de la France !

Quand la nuit de la mort étend sur vous ses voiles,
En champions du droit et de la Liberté

Vous vous dressez par un sursaut de volonté

Et ce vœu le dernier-monte jusqu'aux étoiles : « Il ne faut plus jamais que la Prusse traîtresse Déroule son noir drapeau

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« Sur notre sol béni, qu'elle reste maîtresse
De rien, pas même d'un coteau..

«< Frères, il vous appartient d'exciter notre haine
A faire plier ses genoux,

D'imiter Jeanne d'Arc, notre Sainte Lorraine,
De les bouter hors de chez nous ! »

Galliéni proclamait : je tiendrai jusqu'au bout !
Vous avez jusqu'au bout tenu sous la mitraille,
Mais, quand finira la dernière bataille,

A l'appel des clairons, vous, Morts, serez debout!!

Au cours de la cérémonie, un orchestre symphonique conduit par M. Jules Cartier, de l'Opéra Comique, exécuta la Marseillaise, le Got save the King, la Brabançonne, les hymnes russe et italien, et termina par le Chant du Départ.

Pendant la distribution des diplômes,qui s'est accomplie rapidement afin de ne pas prolonger l'attente douloureuse des familles, l'orchestre a joué les œuvres des compositeurs Chatelain et L. Agarant.

A trois heures vingt minutes la cérémonie était terminée.

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