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où, à l'ombre des myrtes et des lauriers, des êtres, que nous envions aujourd'hui, vivaient une vie enchanteresse. Les gestes de vos héros sont nobles, leur expression de visage est digne, leur attitude est pleine de grandeur, même dans leur humilité; que ce soit la sainte priant au pied d'un arbre ou veillant sur la ville endormie, que ce soit le pauvre pêcheur hiératiquement résigné dans son paysage de misère, que ce soit l'Enfant prodigue haillonneux au milieu de ses porcs, que ce soit Jean-Baptiste recevant le coup de glaive qui lui tranche la tête, tous ont comme une synthétique absolue justesse de présentation, ils sont ce qu'ils doivent être, on ne les peut se figurer autrement quand on les a vus ainsi.

C'est de la plus haute et de la plus belle philosophie que celle concisée en vos peintures. Pour ne pas tout citer, il suffit de rappeler ces deux pages émues que vous traciez au bruit du canon, dans l'affolement de nos désastres, tandis que la grande ville se débattait dans une étreinte de fer et de feu ; la lithographie les a popularisées, le Ballon et le Pigeon. Les sujets qui se font pendant découlent d'une même inspiration vibrante de patriotisme; dans l'un, une femme salue de la main le ballon qui part, dans l'autre elle serre sur son sein et défend d'un vautour qui l'assaille le pigeonvoyageur que la province envoie à la ville assiégée. Le patriotisme, on pourrait le voir dans presque toute votre œuvre, depuis la Paix et la Guerre, jusqu'à ce panneau des Jeunes Picards s'exerçant au jeu de la lance, et très justes étaient ces mots à vous adressés par le maire d'Amiens : « Les jeunes générations qui viendront ici puiser les inspirations de l'art le plus élevé y trouveront encore un autre enseignement en contemplant ces jeunes Gaulois s'exerçant pour la patrie. Ludus pro patria, la légende de votre toile, n'est-ce pas aujourd'hui la devise même de la France ? »

« Si de l'idée nous descendons à la forme, de la conception à l'exécution, là aussi, là encore, il faut vous reconnaître une superbe maîtrise; dédaigneux des procédés actuels, des théories scientifiques, vous avez pris de la palette la quintessence de ses tons, sans tomber jusque dans la fadeur crêmeuse de ses notes pâles, sans pousser jusqu'à l'exagération de ses violences; vous inspirant des fresques anciennes, et imitant leur foire sur la toile destinée à être marouflée, vous avez limité la gamme des couleurs à une certaine symphonie de grisailles dans laquelle toutes les harmonies s'unissent et se fondent, vous avez fait de la peinture monorime, pour ainsi dire, quelque chose de très doux à l'œil et à l'esprit, quelque chose qu'on regarde sans fatigue, qu'on admire presque malgré soi.

« Et à cause de tout celà, vous fûtes critiqué, ridiculisé, nié, mais à cause de tout celà vous êtes un artiste essentiellement original, un maître de la grande époque, égaré dans notre dix-neuvième siècle

en décadence; vous êtes un convaincu dans un temps de scepticisme, un sincère dans un temps de mercantilisme, un poète dans un temps de prose. »

Depuis lors, la postérité a commencé, et Zoïle est mort; tout le monde sait que les décorations de l'hémicycle de la Sorbonne et du Panthéon sont d'absolus chefs-d'œuvre, et nos descendants nous envieront d'avoir connu et fréquenté des hommes tels que Puvis et Rodin.

Théodore de Banville souhaitait que l'on terminât un article par le mot étoiles; les deux noms que j'ai dits en finissant représentent au ciel de l'Art des astres de première grandeur.

Maurice GUILLEMOT.

LA LEPROSERIE DU ROULE

(Communication de M. Henri Corbel.)

La lèpre était connue des Grecs et des Egyptiens avant l'ère chrétienne. A la suite des croisades, ce fléau fit son apparition en Europe au XIIIe siècle.

La contagion en fut si prodigieuse qu'on y compta bientôt pas moins de 19.000 établissements destinés à isoler les malades.

Aux environs de Paris, on en connaissait 74 cette terrible maladie déclina heureusement d'intensité et au XIVe siècle, le nombre des hospitalisés avait grandement diminué.

Au moyen âge, ce fut l'évêque qui exerça dans chaque diocèse la haute surveillance sur les léproseries.

Dans celui de Paris, des visiteurs spéciaux étaient commis par lui pour contrôler la gestion de ces établissements : un registre précieux pour l'histoire a été conservé: il mentionne les visites du délégué de l'archevêque pour la période qui s'étende de 1351 à 1369.

Grâce à ce document nous pouvons aujourd'hui donner quelques renseignements sur la Léproserie du Roule qui dépendait de la paroisse de Villiers-la-Garenne, berceau de Neuilly — On y verra d'autre part avec intérêt le rôle qu'ont joué comme fondateurs les ouvriers monnayeurs et l'influence que cette puissante corporation exerçait, à cette époque.

Le Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris nous fournit sur ce sujet de précieux renseignements qui nous ont permis de rédiger cette notice.

D'après un mémoire publié au xvIIe siècle c'est vers l'an 1200 que ces ouvriers monnayeurs achetèrent une maison au Roule pour y loger et héberger ceux d'entre eux qui avaient contracté les germes de la lèpre.

Dès 1216 la léproserie était constituée, ce qui le prouve c'est qu'en janvier 1217 Jean, chambellan du prince Louis, fils ainé du roi Philippe-Auguste, renonça à certains droits qu'il possédait sur cinq arpents de terre achetés par les lépreux du Roule.

Au mois d'avril de l'année suivante, Pierre, évêque de Paris, autorisa la léproserie du Roule à bâtir une chapelle à l'usage de ses habitants. Mais cette concession ne fut accordée qu'avec l'agrément du curé de Villiers-la-Garenne.

L'acte renferme au sujet des droits de cette paroisse un règlement analogue à ceux qui furent édictés sous le même épiscopat aux autres Hôtel-Dieu de Gonesse et de Saint-Cloud.

On y trouve des dispositions spéciales pour l'admission des paroissiens aux offices pour les obsèques de ceux qui avaient pris Î'habit du Roule au cours de leur dernière maladie, pour les legs faits de préférence à la paroisse, pour le serment de fidélité que le chapelain du Roule devait au curé de Villiers-la-Garenne et enfin pour les redevances qu'il lui payait et qui s'élevaient à cette époque, à dix-huit sous par année.

Le 28 mai 1218 la Léproserie du Roule fut prise par Honorius III sous la protection du Saint-Siège et dès lors des donations affluèrent qui vinrent augmenter les ressources et les biens de cette maladrerie, Elle était bâtie sur un terrain traversé par la chaussée qui en dehors de l'enceinte du Paris d'alors, prolongeait la rue St-Honoré. S'élevant au bord de cette route, à la naissance des chemins qui conduisaient en ce temps là à la ville l'Evêque et aux Porcherons la maladrerie occupait une partie de l'emplacement actuel de l'Eglise Saint-Philippe du Roule.

Le voisinage de la Porte Saint-Honoré fit souvent désigner les lépreux du Roule sous le nom de malades de Saint-Honoré.

Lorsque l'on commença au XIVe siècle, à construire les égouts de Paris, le vaste fossé qui recueillait les eaux de la capitale et les déversait ensuite dans la Seine, tout près de Chaillot passait au pied de la léproserie.

Ce n'étaient à cette époque que près, champs et vignes bientôt remplacés dans les siècles qui suivirent par des hôtels ou des maisons de campagne.

La léproserie du Roule, que l'on citait comme une des plus importantes du diocèse de Paris, se limita peu à peu à la clientèle des lépreux monnayeurs.

Vers le milieu du XIVe siècle un conflit éclata entre l'évêque de Paris et la corporation des monnayeurs qui était soutenue par le roi. Une transaction intervint le 12 avril 1343.

Mais les monnayeurs conservèrent le droit dans l'avenir de se réfugier dans la maladrerie du Roule quand ils étaient atteints de la lèpre. Comme suite à ces incidents, les places de lépreux demeurèrent souvent vides et en conséquence les administrateurs de la maladrerie en profitèrent pour accueillir les malades qui, moyennant finances, quittaient volontairement l'établissement hospitalier qu'on leur avait imposé comme dépendant de leur paroisse.

C'est ainsi que le prieuré de Saint-Martin-des-Champs procura des malades à la léproserie du Roule.

Des places payantes furent en outre accordées aux lépreux venant de province.

Le maître du Roule était nommé par l'archevêque de Paris avec l'assentiment de la corporation des monnayeurs.

Cet officier avait droit de justice et de correction sur les malades ainsi qu'en fait foi une sentence du maire de la justice de SaintDenis, au port de Neuilly, haut justicier du Roule le 7 mai 1477. La chapelle du Roule était d'ailleurs placée sous l'invocation de Saint-Jacques et de Saint-Philippe, précisément patron de la corporation des monnayeurs.

Chaque année au 1er mai une cérémonie avait lieu solennellement pour commémorer la fête de ces deux saints et nous savons par les documents d'alors que les Parisiens se rendaient en foule à ce pieux pélerinage.

Une rixe s'éleva en 1379 entre les habitants de la léproserie et les officiers que l'archevêque avait l'habitude d'envoyer ce jour là pour maintenir le bon ordre.

Un arrêt du Parlement qui fut rendu à cette occasion, a permis de relater cet incident qui se renouvela plusieurs fois.

La chapelle du Roule fut reconstruite au début du xviie siècle. En 1672, elle passa avec la léproserie aux mains des Lazaristes qui ne la conservèrent qu'une vingtaine d'années.

Après 1692 la maison du Roule fut partagée entre les monnayeurs et l'archevêque de Paris et en 1699 ce dernier érigea la chapelle en paroisse sous le nom de Saint-Philippe du Roule.

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