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aurait la sienne; son buste par Carpeaux était le document précieux, et il avait désiré que l'hommage, s'il lui était rendu, soit associé à celui de «< ce grand enfant qu'il avait eu quand il était petit » se promenant un jour avec un ami, il lui confia, en traversant la place Malesherbes : « C'est là que sera ma statue ! ».

Les trois mousquetaires, les trois Dumas, des grandes figures; le premier a vécu son héroïsme, le second a raconté ce que le premier avait fait et aurait pu faire, puis, une sélection, une conclusion combinée par la Nature, le dernier fut de spéculation pure, un songeur exacerbé par la civilisation ambiante, un apôtre de décadence prédicant à travers les Ninive et les Babylone. Trois superbes échantillons de notre belle race française, et quand, en passant, à nos petits, nous montrons ces trois grands bonshommes, c'est de l'Histoire et de l'Histoire glorieuse qu'ils regardent !

Je suis retourné en pélerinage à Marly; un temps sombre, les arbres dégouttant de pluie sur le sable mou des allées; la statue de Gaudez semble grelotter au milieu de la pelouse, les lointains sont brouillés, le ciel bas, nuageux, fait la campagne triste; parmi la clarté pâle de cette fin de jour, en ce silence et ce calme, une ombre s'évoque, celle du Maître. Dans ce décor de villégiature où il est mort, il revit tout à coup; sa chambre, son cabinet de travail, sont tels qu'à l'heure de la disparition; voici sur sa table, le faisceau taché d'encre des courtes plumes d'oie, les rames de large papier bleu dont il se servait exclusivement : « Je ne trouve rien, disait-il, de plus appétissant pour un écrivain que le beau papier, c'est la soucoupe pleine de lait des petits chats, c'est irrésistible ! » et par terre, les dictionnaires de Littré, de Trévoux, de Lafaye, de Bouillet, de Vapereau, de Robin, le petit dictionnaire des termes techniques de Souviron, que je vous recommande et qui contient à peu près quinze mille mots que personne ne sait et que Théophile Gautier savait. » Le sous-main du buvard est impressionné de griffonnages. La vision se reporte à des années en arrière, l'intervalle ne compte plus, comme dans les théories d'Enstein; on s'étonne de constater que le fauteuil est inoccupé, que l'empreinte sur les coussins est creusée comme si l'écrivain venait de les quitter. La Comédie de Préault, la Bacchante de Gustave Doré, la Phryné de Falguière sont là, témoins d'autrefois qu'on voudrait pouvoir interroger; ce vide apparaît encore animé d'une présence, il y a l'illusion d'un bonheur. Le salon, la salle de billard ouvrant sur la galerie vitrée, continuent cette impression. A la terrasse, voici le

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banc sur lequel il aimait à s'asseoir,devant le panorama superbe, y trouvant l'infini de la Mer; et le pélerinage ému s'arrête à la grille par où s'en alla son cercueil, un matin de novembre 1895.

C'est Mme Vve Alexandre Dumas qui me permit cette visite; la première Mme Dumas, née Nadine de Knorring, mère de Colette et de Jeannine Dumas, est morte le 2 avril 1895 et a été inhumée au cimetière de Neuilly, après un service à l'Eglise russe. Maurice GUILLEMOT.

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LES RACOLEURS A NEUILLY.

(Communication de M. Edmond Lelièvre.)

Le 13 février 1743 fut affichée dans Paris une ordonnance du roi, datée du 10 janvier pour la levée de la milice qui était fixée à 1.800 hommes de seize à quarante ans et d'une taille de 5 pieds au moins. Cette ordonnance produisit une grande sensation dans Paris; il y était dit que les enfants de tous les corps et communautés des marchands et artisans, sans distinction, tireraient au

sort.

Or, les marchands des six corps qui avaient jusqu'alors joui de nombreux privilèges étaient surtout furieux de voir leurs fils assimilés aux crocheteurs, brouetteurs, savetiers et «< autres gens de cette espèce », auxquels ils se croyaient beaucoup supérieurs.

L'assimilation n'était pas complète, car, si les fils des marchands étaient appelés à tirer au sort avec gens « de peine et de travail et autres habitants qui ne seront pas dans le cas d'être exemptés par leur état », la même ordonnance disait que tous les gens sans aveu, profession ou domicile fixe comme domestiques hors de conditions, ouvriers sans maîtres et vagabonds, étaient miliciens de droit, ainsi que ceux qui ne se seraient pas déclarés chez les commissaires dans la huitaine.

Le dessein du gouvernement était d'avoir une forte armée pour entrer en campagne, et si l'augmentation de la milice à lever n'était que de 1800 hommes pour Paris, c'est qu'en dehors de ceux que le tirage allait désigner depuis deux mois les racoleurs ne cessaient d'engager de gré ou de force pour le compte du roi dans Paris; aussi ne voyait-on que des gens portant la cocarde au chapeau, ce qui était le signe distinctif des engagés volontaires ou soi-disant tels, tant qu'ils n'avaient pas endossé l'uniforme.

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On désignait sous le nomde racoleurs au XVIIe siècle et même dans la première moitié du xvIIIe des hommes qui cumulaient le métier de bretteur et celui de recruteur pour le compte du roi, moitié bravi, moitié soldats, habiles à reconnaître le provincial jeune et naif.

Les plus anciennes ordonnances de Louis XIV défendirent d'enrôler pour moins d'un an, c'était du moins un minimum connu. La loi accrut successivement la durée du service; il fut de trois ans, puis de huit ans.

Rien n'était plus simple que la façon dont les racoleurs s'y prenaient pour recruter des soldats au roi ; le siège de leur industrie fut d'abord sur le quai voisin du Pont-Neuf et qu'on nommait le quai de la Ferraille. Ils se tenaient ordinairement dans les cabarets borgnes, voisins de l'arche Marion, qu'on appelait les fours et d'où ils guettaient le provincial bayant aux corneilles dans la rue. Vers 1740, ils avaient abandonné le quai de la Ferraille ; ils opéraient de préférence à Neuilly.

Dès qu'ils avaient aperçu leur sujet, ils employaient toutes les ruses de leur imagination pour le faire asseoir au cabaret et, entre deux brocs de vin, lui extorquer un bon engagement en due forme.

Le commerce était lucratif; le racoleur, outre un salaire fixe, avait pour chaque soldat qu'il enrôlait, un profit proportionné à la taille et à la beauté de l'homme de recrue; il se passait rarement une journée sans que des dupes tombassent dans les filets habilement tendus par les racoleurs qui employaient toute leur éloquence à convaincre les gens qu'ils étaient faits pour devenir soldats. Souvent même, quand l'homme, sur lequel le racoleur avait jeté son dévolu refusait de se décider à s'enrôler, on tâchait de l'y contraindre par la violence. La plupart des racoleurs étaient de fines lames, une bonne querelle était bientôt cherchée, et la victime guignée n'avait plus que le choix entre la signature de son engagement ou un bon coup d'épée généralement mortel. Quelquefois les racoleurs tiraient double profit de leur métier.

En 1676, nous apprennent les mémoires de l'abbé Blache, un pauvre garçon, nommé Pacte, dont le témoignage pouvait nuire dans une affaire qui intéressait M. d'Acqueville, fut ainsi enlevé et enrôlé ; il se vit, dit l'abbé Blache, enveloppé au bout du PontNeuf par des bretteurs qui le livrèrent à M. Milon, capitaine au régiment de Normandie, qui l'enrôla. J'appris, dit l'abbé, le lieu où il était par quelques indices que me donna le concierge de la maison seigneuriale où logeait le chanoine à Rueil, qui dit qu'il avait coûté 12 louis pour cette prise. Enfin, moyennant 6 louis, ce malheureux eut son congé. Dans des cas de ce genre le racoleur

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touchait une somme en récompense du service qu'il avait rendu et une prime du capitaine de la compagnie.

Ecoutons un racoleur s'adressant à une troupe de badauds qui l'écoutent :

<< Jeunes gens qui m'entourez, vous n'êtes pas sans avoir entendu parler du pays de Cocagne. C'est dans l'Inde (ou un autre pays suivant que la guerre est imminente de ce côté), qu'il faut aller pour trouver ce fortuné pays, c'est là que l'on a tout à gogo. Souhaitez-vous de l'or, des perles, des diamants? Les chemins en sont pavés, il n'y a qu'à se baisser pour en prendre.....

Et quand le boniment en public était fini, le racoleur invitait parmi les auditeurs ceux qui lui paraissaient les plus faciles à piper à venir se désaltérer au cabaret, et ceux qui acceptaient l'invitation étaient à peu près sûrs d'avoir, deux heures plus tard, la cocarde au chapeau.

Mercier, dans son Tableau de Paris, représente un ouvrier qui s'est vendu dix écus grâce aux promesses hyperboliques du marchand d'hommes nourriture exquise, voyage en voiture, vin à discrétion, liberté absolue, toutes choses qui ont séduit le naif.

Mon bon ami, dit le racoleur, j'attendais la voiture du régiment, elle ne vient pas, je ne sais pourquoi, mais il fait si beau, marchons à pied, nous gagnerons de l'appétit.

Au lieu d'entrer à l'auberge promise, on entre dans une maison nue et l'éloquent recruteur ajoute :

Mes amis, le roi vous fait servir de la chair crue parce que chacun suivra ses goûts, l'un l'aime rôtie, l'autre bouillie, celui-ci un peu cuite. Faites rôtir votre viande. Voici un pot de vin nouveau c'est assez pour vous rafraîchir. Le vin nouveau d'ailleurs vaut bien le vieux.

Enfin on arrive au régiment.

Mon ami, dit le recruteur le lendemain, vous avez parcouru hier la ville, quand vous vous promèneriez encore demain, vous verriez toujours la même chose. Autant vous amuser autrement. Allez vous mettre à la muraille. >>

Vers la fin de décembre 1751, se passa un fait de racolage qui devint une affaire criminelle dont Paris s'amusa. La femme d'un huissier au grand conseil, Mme Pinson, d'accord avec la fille Trumeau, ouvrière, un gendarme et un clerc de procureur, résolurent de se débarrasser de l'huissier Pinson qui les gênait dans leur commerce de galanterie et ils imaginèrent de s'emparer d'un exploit signé de lui; ils firent disparaître l'écriture et ne conservèrent que

la signature; puis ils substituèrent au texte primitif un engagement de soldat pour les îles, qui fut mis entre les mains d'un racoleur. Celui-ci arrêta Pinson chez lui et l'envoya rejoindre son régiment. Pinson trouva, le 30 décembre, le moyen d'adresser une plainte à la justice et sa femme et la demoiselle Trumeau furent fouettées publiquement en place de Grève, marquées d'un fer rouge et bannies à perpétuité.

Le racolage fut réglementé en 1778 et aboli lorsque arriva la révolution de 1789.

Edmond LELIEVRE

Sources:

De Genouillac : Paris à travers les Siècles. · Dictionnaire Larousse.

SAISIE PAR LE NOUVEAU GOUVERNEMENT DU MOBILIER DU CHATEAU DE NEUILLY. (1815-1816)

(Communication de M. Paul Marmottan.)

En 1815, à l'annonce de l'invasion de la région parisienne par les Alliés, la princesse Borghèse propriétaire, donna son acquiescement à un déménagement du château, afin de mettre ses meubles à l'abri des déprédations de l'ennemi.

Un gros lot de ceux-ci fut notamment transporté à l'hôtel Bullion. Le Fisc de la Restauration mit alors opposition sur ces meubles, au nom de l'Etat détenteur du Domaine extraordinaire qui avait, de ce chef, des revendications à exercer contre Pauline, bénéficiaire d'une donation de son frère sur ce Domaine, c'est-àdire du château (1).

1. Je rappelle que l'institution du Domaine extraordinaire remonte au Sénatus-Consulte du 30 janvier 1810, préparé par Maret sur les indications de Napoléon.Ce domaine extraordinaire passait à l'Etat par les ordres de l'Empereur, mais celui-ci en gardant la disposition, se composait de biens-fonds (tel par exemple le château de Navarre adjugé à Evreux le 10 mars 1810 à l'Intendant du domaine extraordinaire) et de valeurs que l'Empereur avait achetés et réunis en se servant des sommes de son trésor particulier alimenté depuis le Consulat par une grosse part des impôts de guerre levés à l'étranger par ses intendants sur les nations vaincues. A cette époque l'emploi de la manière forte faisait toujours très ponctuellement rentrer les indemnités de guerre convenues par les traités.

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