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ACTES DE GOUVERNEMENT.

DU PROJET DE LOI

Sur les crimes et délits commis par la voie de la presse ou tout autre moyen de publi

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PROTEGER Ce qui est bien, réprimer ce qui mal, tel doit être l'objet de toute loi pénale qui n'est pas faite dans des intentions hostiles contre la liberté. Partout où des actions innocentes sont punies, et partout où des actions nuisibles à autrui sont tolérées, il y a également oppression. La qualité des individus ne change ni la nature de leurs actions, ni les effets qui doivent en être la suite. Il importe donc peu que le bien soit puni ou le mal exécuté parde simples particuliers ou par des hommes revêtus de l'autorité publique. Il importe peu' aussi de savoir quel est l'instrument à l'aide

duquel on est parvenu à exécuter un fait. L'instrument ne change pas plus la nature et les effets d'une action, que la qualité de l'individu par qui cette action a été produite.

Ce n'est ni par fiction ni par convention que les actions des hommes sont bonnes ou mauvaises on peut bien déclarer que telle action innocente sera punie, et que telle action nuisible ne le sera point; mais lorsqu'on aura fait cette déclaration, les choses n'en seront pas moins ce qu'elles étaient auparavant; seulement on aura une loi qui punira le bien et qui autorisera le mal, une loi qui opprimera, ou qui tolérera l'oppression. Les ennemis, et même les amis de la liberté ont fait tant de lois arbitraires, qu'on a fini par se persuader que l'arbitraire était de l'essence des institutions humaines. C'est une erreur contre laquelle il nous importe de nous mettre en garde; car il n'en est aucune dont les résultats soient plus funestes; et nous ne concevons pas qu'un peuple chez lequel elle serait généralement admise, pût arriver jamais à un régime tolérable.

De tous les sentimens, la peur est celui sur le quel le raisonnement a le moins d'influence. Il est rare que les hommes qui ont été fortement

frappés par les malheurs qu'a produits un excès, ne se précipitent pas dans un excès contraire; et il faut qu'ils aient ressenti les inconvéniens de celui-ci pour l'abandonner; quelquefois même ils n'y renoncent que pour se rejeter dans celui qu'ils avaient fui d'abord. Qu'une loi, dans la vue de prévenir le vol, oblige tout individu qui se trouvera dans un lieu públic, à tenir constamment ses mains dans ses poches sous peine d'être puni comme voleur; à l'instant il se présentera une multitude de bons citoyens qui demanderont, non l'abrogation d'une loi ridicule et tyrannique, ou une loi qui réprime les actions criminelles, mais une loi qui crée la liberté des mains et qui les fasse jouir de cette liberté précieuse. Si des châtimens fréquens et non mérités leur ont inspiré de fortes craintes, c'est en vain qu'on détruira les entraves dont ils auront été long-temps enchaînés; parce qu'ils les auront senties une fois, ils croiront les sentir toujours; ils s'obstineront à demander des lois qui les fassent jouir de la liberté, et qui déterminent les mouvemens qu'ils peuvent se permettre sans être punis; peut-être même s'en trouvera-t-il qui voudront que, dans aucun eas, l'action des mains ne puisse donner lieu à aucune peine, tandis que d'autres voudront Cens. Europ. TOM. XII.

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par

de fortes peines réprimer toute espèce de

mouvement.

La faculté de divulguer ses opinions est aussi naturelle à l'homme que la faculté de faire usage de ses mains; mais elle a été plus long-temps et plus fortement comprimée. Il est peu de gouvernemens au monde qui n'y aient porté plus ou moins atteinte; aussi lorsqu'il arrive que la compression s'affaiblit ou cesse d'exister, il est beaucoup de personnes qui s'imaginent que cette faculté est un don qui leur est fait par leurs dominateurs, et qui demandent en conséquence qu'on détermine la manière dont elles doivent en jouir. Des lois ont long-temps interdit le libre usage de l'imprimerie : c'en est assez pour qu'on demande non l'abrogation de ces lois, mais une législation qui règle comment on pourra user de ce moyen de publicité sans être punissable. On a vu punir des imprimeurs comme complices, quoique aucune complicité de leur part n'eût été prouvée ; cela suffit pour qu'on demande que les imprimeurs ne puissent pas être punis, même quand on prouverait clairement qu'ils sont coupables.

Nous l'avons déjà dit, et nous ne saurions trop le répéter, la qualité d'un individu et les instrumens dont il fait usage ne changent ni la

nature de ses actions, ni les effets qui en sont la suite. Le législateur qui veut réprimer le mal, n'a donc à s'occuper ni des qualités des personnes, ni des moyens qu'elles emploient. Il doit rechercher quelles sont les actions qui peuvent être nuisibles au public, et les réprimer ensuite, quels qu'en soient les auteurs, et de quelque manière qu'elles soient commises. Ce n'est pas à lui qu'il appartient de régler l'usage que nous devons faire des facultés que la nature

nous a données. Il doit s'abstenir au contraire de tout ce qui pourrait y porter atteinte, et prendre des mesures pour que nul ne puisse se permettre ce qu'il est obligé de s'interdire luimême. C'est à chacun de nous à tirer de nos moyens le meilleur parti possible: ce serait trop exigerdu législateur, si,après qu'il a détruit tous les obstacles qui s'opposent à notre liberté, on lui demandait de nous enseigner comment nous devons en faire usage. Une loi sur la liberté des opinions ou sur la liberté de la presse serait donc aussi ridicule qu'une loi sur la liberté de la voix, sur la liberté de la plume, ou sur la liberté des mains: il n'y a qu'une longue tyrannie qui ait pu faire demander des lois sur un tel sujet.

Les gouvernemens ont en général assez bien

لہ

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