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jet pour lequel on veut avoir des élus, c'est pour que certaines choses soient bien gérées, bien administrées, bien faites en un mot.

Pour qu'une chose soit bien faite, il faut que l'individu qui en est chargé ait d'abord la volonté de la bien faire, et en outre la capacité nécessaire pour cela; or il ne peut en être ainsi que lorsque cet individu est choisi par des personnes en état de juger de sa capacité, et intéressées à faire un bon choix. Ces idées sont simples, triviales même ; cependant rien n'est plus rare que de les voir appliquées.

Dans un grand état, il est une multitude de choses différentes à faire; des places fortes à élever ou à défendre, des vaisseaux et des ponts à construire, des routes à percer ou à entretenir, des lois à discuter, des procès à juger, des sommes immenses à percevoir et à payer, des comptes à entendre et à apurer, des chemins, des rues, des fontaines, des temples à entretenir, et une foule d'autres choses plus ou moins importantes.

Tous les citoyens sont intéressés à ce que ces choses soient bien faites; mais ils ne sont pas tous en état de juger de la capacité qu'il faut pour les bien exécuter. Si tous les habitans d'un étaient appelés à élire les personnes

pays

par lesquelles chacune de ces choses doit être faite, ils s'y prendraient probablement assez mal. Il ne suffit donc pas que des hommes soient intéressés à ce qu'une affaire soit bien traitée, pour qu'ils doivent choisir par euxmêmes ceux qui doivent la traiter il faut qu'ils s'en remettent, à cet égard, à d'autres hommes dignes de leur confiance.

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Du moment qu'il est reconnu que les mêmes personnes ne peuvent pas élire avec discernement pour toute sorté d'emplois, il faudrait autant de modes d'élection qu'il y aurait de fonctions exigeant une capacité spéciale; il faudrait appeler à élire tous ceux qui connaîtraient le mieux les éligibles, et qui seraient intéressés à bien choisir; mais il n'y faudrait appeler que ceux-là.

Toutes les fois donc qu'il s'agit d'établir un mode d'élection, il faut se faire les questions suivantes et ne jamais s'en écarter: quelles sont les choses que nous avons à faire exécuter? quelles sont les personnes les plus disposées et lé mieux en état de les bien exécuter? quels sont les citoyens les plus aptes et les plus intéressés à choisir ces personnes? La solution de la première question fixera la compétence de l'autorité à créer ; la solution de la seconde établira

les conditions de l'éligibilité; la solution de la troisième fera connaître quelles sont les personnes auxquelles il faut attribuer la qualité d'électeur.

. Si l'on procédait de cette manière, et surtout si l'on procédait de bonne foi, on rencontrerait peu de difficulté dans la formation et dans l'exécution des lois. Mais ces idées sont trop simples, trop communes, trop vulgaires pour le génie de nos hommes d'état. On veut des conceptions originales et des systèmes qui n'appartiennent qu'à soi; on se croirait un homme au-dessous du commun, si l'on s'abaissait jusqu'à consulter le simple bon sens.

Le nombre des systèmes d'élection peut être infini lorsqu'au lieu de se régler par la nature des choses, on ne veut suivre que les règles de son imagination. Non-seulement il peut y avoir alors autant de systèmes que de têtes, mais chaque individu peut en avoir plusieurs. Ce serait donc un travail sans fin que l'examen des projets qu'on a faits, et qu'on pourrait faire encore sur cette matière. Notre dessein n'est pas de l'entreprendre; nous voulons seulement examiner celui de ces systèmes auquel les hommes du pouvoir paraissent se rallier le plus volontiers, , parce que, tenant en apparence le

milieu entre deux extrêmes, il semble fait pour concilier toutes les prétentions.

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Il est des hommes qui voient dans les élections populaires, non un moyen de conservation pour leurs propriétés et de sûreté pour leurs personnes, mais l'exercice de certains droits. En conséquence comme tous les hommes ont les mêmes droits, ils pensent que chacun doit concourir directement ou indirectement à l'élection de ses magistrats, et que tout individu qui n'est pas appelé à donner sa voix, est privé de l'un de ses droits. Ce système, qui compte un assez grand nombre de partisans, et qui séduit d'autant plus qu'il flatte ou console une multitude de petites vanités, est fondé sur cette idée qu'on élit pour le seul plaisir d'élire. L'élection n'est pas un moyen', elle est un but; quand elle est terminée, tout est accompli.

Pour être conséquent dans ce système, il faudrait établir le suffrage universel; il faudrait 'admettre dans les élections les femmes, les enfans de tout âge, et même les insensés; car si F'on fait tant que d'en exclure un seul individu sur le fondement qu'il est incapable, on est obligé d'admettre en principe que, pour être électeur, il faut être doué d'une certaine capa

cité; il faut alors examiner quel est le genre de capacité convenable; et dès qu'on entre dans cette recherche, il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour reconnaître qu'il faut avoir une capacité analogue à la chose qu'il s'agit de faire. Cela étant reconnu, on ne peut plus avoir à agiter que des questions de fait, questions qui ne peuvent être bien résolues que lorsqu'on a des données positives et sûres.

Le système opposé à celui-là est celui qui place dans les mains d'un seul individu la nomination de tous les fonctionnaires d'un pays : ce système, sous quelque nom qu'on le déguise, est celui de la conquête. En effet, lorsqu'un peuple a été conquis, et qu'il va être soumis à l'exploitation au profit du conquérant ou de son armée, la première chose à faire est de le dissoudre et de le réduire en une multitude d'individus sans liaison entre eux. Il s'agit bien moins alors de lui donner des magistrats pour le protéger, que de lui empêcher d'en avoir qui le protègent. Pour l'en priver, le moyen le plus sûr est de donner aux agens de l'exploitation les noms que portaient les magistrats qu'on lui ravit.

Entre ces deux systèmes, il en est un qui paraît moins mauvais et qui cependant est le

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