Images de page
PDF
ePub

Hautement d'un chacun elles blâment la vie,
Non point par charité, mais par un trait d'envie
Qui ne saurait souffrir qu'une autre ait les plaisirs
Dont le penchant de l'âge a sevré leurs désirs.

MADAME PERNELLE à Elmire.

Voilà les contes bleus qu'il vous faut pour vous plaire,
Ma bru. L'on est chez vous contrainte de se taire :
Car madame, à jaser, tient le dé tout le jour.
Mais enfin je prétends discourir à mon tour:
Je vous dis que mon fils n'a rien fait de plus sage
Qu'en recueillant chez soi ce dévot personnage;
Que le ciel au besoin l'a céans envoyé

Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé ;
Que, pour votre salut, vous le devez entendre;
Et qu'il ne reprend rien qui ne soit à reprendre.
Ces visites, ces bals, ces conversations,
Sont du malin esprit toutes inventions.
Là jamais on n'entend de pieuses paroles;
Ce sont propos oisifs, chansons, et fariboles:
Bien souvent le prochain en a sa bonne part,
Et l'on y sait médire et du tiers et du quart.
Enfin les gens sensés ont leurs têtes troublées
De la confusion de telles assemblées :
Mille caquets divers s'y font en moins de rien;
Et, comme l'autre jour un docteur dit fort bien,
C'est véritablement la tour de Babylone,

Car chacun y babille, et tout du long de l'aune:
Et, pour conter l'histoire où ce point l'engagea...
(montrant Cléante.)

Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà !

Allez chercher vos fous qui vous donnent à rire,

(à Elmire.)

Et sans... Adieu, ma bru; je ne veux plus rien dire.
Sachez que pour céaus j'en rahats de moitié,
Et qu'il fera beau temps quand j'y mettrai le pied.
(donnant un soufflet à Flipote.)

Allons, vous, vous rêvez et bayez aux corneilles (1).
Jour de Dieu! je saurai vous frotter les oreilles.

Marchons, gaupe, marchons.

(1) Bayer, regarder en tenant la bouche ouverte du vieux mot beer.

21

SCÈNE II.

CLEANTE, DORINE.

CLÉANTE.

Je n'y veux point aller,

De peur qu'elle ne vint encor me quereller;

Que cette bonne femme...

DORINE.

Ah! certes, c'est dommage

Qu'elle ne vous ouît tenir un tel langage:
Elle vous dirait bien qu'elle vous trouve bon,
Et qu'elle n'est point d'âge à lui donner ce nom.
CLÉANTE.

Comme elle s'est pour rien contre nous échauffée!
Et que de son Tartufe elle paraît coiffée !

DORINE.

Oh! vraiment, tout cela n'est rien au prix du fils:
Et, si vous l'aviez vu, vous diriez : C'est bien pis!
Nos troubles l'avaient mis sur le pied d'homme sage,
Et, pour servir son prince, il montra du courage :
Mais il est devenu comme un homme hébété,
Depuis que de Tartufe on le voit entêté :

Il l'appelle son frère, et l'aime dans son âmé

Cent fois plus qu'il ne fait mère, fils, fille, et femme.
C'est de tous ses secrets l'unique confident,

Et de ses actions le directeur prudent;

Il le choie, il l'embrasse; et pour une maîtresse
On ne saurait, je pense, avoir plus de tendresse:
A table, au plus haut bout il veut qu'il soit assis
Avec joie il l'y voit manger autant que six;
Les bons morceaux de tout, il faut qu'on les lui cède;
Et, s'il vient à roter, il lui dit: Dieu vous aide!
Enfin il en est fou, c'est son tout, son héros;
Il l'admire à tous coups, le cite à tous propos;
Ses moindres actions lui semblent des miracles,
Et tous les mots qu'il dit sont pour lui des oracles.
Lui, qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir,
Par cent dehors fardés a l'art de l'éblouir;
Son cagotisme en tire à toute heure des sommes,
Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sommes.
Il n'est pas jusqu'au fat qui lui sert de garçon

Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon;

Il vient nous sermonner avec des yeux farouches,
Et jeter nos rubans, notre rouge, et nos mouches.
Le traître, l'autre jour, nous rompit de ses mains
Un mouchoir qu'il trouva dans une Fleur des Saints,
Disant que nous mêlions, par un crime effroyable,
Avec la sainteté les parures du diable. ⠀

SCÈNE III.

ELMIRE, MARIANE, DAMIS, CLEANTE, DORINE.

ELMIRE à Cléante.

Vous êtes bien heureux de n'être point venu

Au discours qu'à la porte elle nous a tenu.

Mais j'ai vu mon mari; comme il ne m'a point vue,
Je veux aller là-haut attendre sa venue.

CLÉANTE.

Moi, je l'attends ici pour moins d'amusement;
Et je vais lui donner le bonjour seulement.

SCÈNE IV.

CLÉANTE, DAMIS, DORINE.

DAMIS.

De l'hymen de ma sœur touchez-lui quelque chose.
J'ai soupçon que Tartufe à son effet s'oppose,
Qu'il oblige mon père à des détours si grands;
Et vous n'ignorez pas quel intérêt j'y prends...
Si même ardeur enflamme et ma sœur et Valère,
La sœur de cet ami, vous le savez, m'est chère;
Et s'il fallait...

DORINE.

Il entre.

SCÈNE V.

ORGON, CLÉANTE, DORINE.

ORGON.

Ali! mon frère, bonjour.

CLÉANTE.

Je sortais, et j'ai joie à vous voir de retour.

19

La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie.

(à Cléaute.)

ORGON.

Dorine... Mon beau-frère, attendez, je vous prie.
Vous voulez bien souffrir, pour m'ôter de souci,
Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici.

(à Dorine.)

Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte? Qu'est-ce qu'on fait céans? comme est-ce qu'on s'y porte?

DORINE.

Madame eul avant-hier la fièvre jusqu'au soir,
Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Et Tartufe?

ORGON.

DORINE.

Tartufe! il se porte à merveille,

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.

Le pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

Le soir elle eut un grand dégoût,
Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,
Tant sa douleur de tête était encor cruelle!

[blocks in formation]

Il soupa, lui tout seul, devant elle;

Et fort dévotement il mangea deux perdrix,
Avec une moitié de gigot en hachis.

Le pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

La nuit se passa tout entière Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière; Des chaleurs l'empêchaient de pouvoir sommeilier, Et jusqu'au jour, près d'elle, il nous fallut veiller.

EL Tartufe ?

ORGON.

DORINE.

Pressé d'un sommeil agréable,
Il passa dans sa chambre au sortir de la table;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

[graphic]
« PrécédentContinuer »