Images de page
PDF
ePub

Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne,
Et d'un pur mouvement...

ELMIRE.

Je le prends bien ainsi,

Et crois que mon salut vous donne ce souci.
TARTUFE prenant la main d'Elmire, et lui serrant les doigts.

Oui, madame, sans doute; et ma ferveur est telle...

ELMIRE.

Ouf! vous me serrez trop.

TARTUFE.

C'est par excès de zèle.

De vous faire aucun mal je n'eus jamais dessein,

Et j'aurais bien plutôt...

(Il met la main sur les genoux d'Elmire.)

ELMIRE.

Que fait là votre main?

TARTUFE.

Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse.

ELMIRE.

Ah! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elmire recule son fauteuil, et Tartufe se rapproche d'elle.)
TARTUFE maniant le fichu d'Elmire.

Mon Dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux!
On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux:
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire.

ELMIRE.

Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,

Et vous donner sa fille. Est-il vrai? dites-moi.

TARTUFE.

Il m'en a dit deux mots: mais, madame, à vrai dire,

Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;

Et je vois autre part les merveilleux attraits

De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE.

C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre.

TARTUFE.

Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre.

ELMIRE.

Pour moi, je crois qu'au ciel tendent tous vos soupirs,

Et que rien ici-bas n'arrête vos désirs.

TARTUFE.

L'amour qui nous attache aux beautés éternelles

N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles;

Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles :
Il a sur votre face épanché des beautés

Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés;
Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l'auteur de la nature,
Et d'un ardent amour sentir mon cœur atteint,
Au plus beau des portraits où lui-même il s'est peint.
D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit une surprise adroite;
Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, ô beauté tout aimable,
Que cette passion peut n'être point coupable,
Que je puis l'ajuster avecque la pudeur;
Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'est, je le confesse, une audące bien grande
Que d'oser de ce cœur vous adresser l'offrande;
Mais j'attends en mes vœux tout de votre bonté;
Et rien des vains efforts de mon infirmité.
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude;
De vous dépend ma peine ou ma béatitude;
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,

Heureux si vous voulez, malheureux s'il vous plaît.

ELMIRE.

La déclaration est tout à fait galante;

Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein, Et raisonner un peu sur un pareil dessein.

Un dévot comme vous, et que partout on nomme...

TARTUFE.

Ah pour être dévot, je n'en suis pas moins homme;
Et, lorsqu'on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange:
Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange;
Et si vous condamnez l'aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.
Dès que j'en vis briller la splendeur plus qu'humaine,
De mon intérieur vous fûtes souveraine;
De vos regards divins l'ineffable douceur

Força la résistance où s'obstinait mon cœur;

Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux et mes soupirs vous l'ont dit mille fois;
El, pour mieux m'expliquer, j'emploie ici la voix.
Que si vous contemplez, d'une âme un peu bénigne,
Les tribulations de votre esclave indigne;
S'il faut que vos bontés veuillent me consoler,
Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler,
J'aurai toujours pour vous, ô suave merveille
Une dévotion à nulle autre pareille.

Votre honneur avec moi ne court point de hasard,
Et n'a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,
Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles;
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer;
Ils n'ont point de faveurs qu'ils n'aillent divulguer;
Et leur langue indiscrète, en qui l'on se confie,
Déshonore l'autel où leur cœur sacrifie.

Mais les gens comme nous brûlent d'un feu discret,
Avec qui, pour toujours, on est sûr du secret.
Le soin que nous prenons de notre renommée
Répond de toute chose à la personne aimée;
Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre cœur,
De l'amour sans scandale et du plaisir sans peur.

ELMIRE.

Je vous écoute dire, et votre rhétorique

En termes assez forts à mon âme s'explique.

N'appréhendez-vous point que je ne sois d'humeur
A dire à mon mari cette galante ardeur,

Et que le prompt avis d'un amour de la sorte

Ne pût bien altérer l'amitié qu'il vous porte?

TARTUFE.

Je sais que vous avez trop de bénignité,

Et que vous ferez grâce à ma témérité;

Que vous m'excuserez, sur l'humaine faiblesse,

Des violents transports d'un amour qui vous blesse,

Et considérerez, en regardant votre air,

Que l'on n'est pas aveugle, et qu'un homme est de chair.

ELMIRE.

D'autres prendraient cela d'autre façon peut-être;
Mais ma discrétion se veut faire paraître.

Je ne redirai point l'affaire à mon époux;

Mais, je veux en revanche, une chose de vous:

C'est de presser tout franc, et sans nulle chicane,

L'union de Valère avecque Mariane,

De renoncer vous-même à l'injuste pouvoir

Qui veut du bien d'un autre enrichir votre espoir;

Et...

SCÈNE IV.

ELMIRE, DAMIS, TARTUFE.

DAMIS sortant du cabinet où il s'était retiré. Non, madame, non; ceci doit se répandre. J'étais en cet endroit, d'où j'ai pu tout entendre; Et la bonté du ciel m'y semble avoir conduit Pour confondre l'orguel d'un traître qui me nuit, Pour m'ouvrir une voie à prendre la vengeance De son hypocrisie et de son insolence,

A détromper mon père, et lui mettre en plein jour L'âme d'un scélérat qui vous parle d'amour.

ELMIRE.

Non, Damis; il suffit qu'il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce où je m'engage.
Puisque je l'ai promis, ne m'en dédites pas.
Ce n'est point mon humeur de faire des éclats:
Une femme se rit de sottises pareilles,
Et jamais d'un mari n'en trouble les oreilles.

DAMIS.

Vous avez vos raisons pour en user ainsi;
Et pour faire autrement j'ai les miennes aussi.
Le vouloir épargner est une raillerie;
Et l'insolent orgueil de sa cagoterie

N'a triomphé que trop de mon juste courroux,
Et que trop excité de désordre chez nous.

Le fourbe trop longtempsa gouverné mon père,
Et desservi mes feux avec ceux de Valère:

Il faut que du perfide il soit désabusé;

Et le ciel pour cela m'offre un moyen aisé.
De cette occasion je lui suis redevable,
Et, pour la négliger, elle est trop favorable:
Ce serait mériter qu'il me la vînt ravir,
Que de l'avoir en main et ne m'en pas servir.

Damis...

ELMIRE.

DAMIS.

Non, s'il vous plaît, il faut que je me croie.

Mon âme est maintenant au comble de sa joie;
Et vos discours en vain prétendent m'obliger
A quitter le plaisir de me pouvoir venger.
Sans aller plus avant, je vais vider l'affaire;
Et voici justement de quoi me satisfaire.

SCÈNE V.

ORGON, ELMIRE, DAMIS, TARTUFE.

DAMIS.

Nous allons régaler, mon père, votre abord
D'un incident tout frais qui vous surprendra fort.
Vous êtes bien payé de toutes vos caresses,
Et monsieur d'un beau prix reconnaît vos tendresses.
Son grand zèle pour vous vient de se déclarer :

Il ne va pas à moins qu'à vous déshonorer;
Et je l'ai surpris là qui faisait à madame
L'injurieux aveu d'une coupable flamme.
Elle est d'une humeur douce, et son cœur trop discret
Voulait à toute force en garder le secret;
Mais je ne puis flatter une telle impudence,

Et crois que vous la taire est vous faire une offense.

ELMIRE.

Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos
On ne doit d'un mari traverser le repos;
Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépendre,
Et qu'il suffit pour nous de savoir nous défendre;
Ce sont mes sentiments; et vous n'auriez rien dit,
Dámis, si j'avais eu sur vous quelque crédit.

SCÈNE VI.

ORGON, DAMIS, TARTUFE.

ORGON.

Ce que je viens d'entendre, o ciel! est-il croyable?

TARTUFE.

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été.
Chaque instant de ma vie est chargé de souillures;
Elle n'est qu'un amas de crimes et d'ordures;
Et je vois que le ciel, pour ma punition,

« PrécédentContinuer »