d'embrasser monsieur le comte votre fils. On ne peut pas aimer le tronc, qu'on n'aime aussi les branches. LA COMTESSE. Mon Dieu! monsieur Tibandier, de quelle comparaison vous servez-vous là ? JULIE. En vérité, madame, monsieur le comte a tout à fait bon air. LE VICOMTE. Voilà un jeune gentilhomme qui vient bien dans le monde. JULIE. Qui dirait que madame eût un si grand enfant ? LA COMTESSE. Hélas! quand je le fis, j'étais si jeune, que je me jouais encore avec une poupée ! JULIE. C'est monsieur votre frère, et non pas monsieur votre fils. LA COMTESSE. Monsieur Bobinet, ayez bien soin au moins de son éducation. MONSIEUR BOBINET. Madame, je n'oublierai aucune chose pour cultiver cette jeune plante, dont vos bontés m'ont fait l'honneur de me confier la conduite; et je tâcherai de lui inculquer les semences de la vertu. LA COMTESSE. Monsieur Bobinet, faites-lui un peu dire quelque petite galanterie de ce que vous lui apprenez. MONSIEUR BOBINET. Allos, monsieur le comte, récitez votre leçon d'hier au matin. LE COMTE. Omne viro soll quod convenit esto virile, LA COMTESSE. Fi! monsieur Bobinet, quelles sottises est-ce que vous lui apprenez là. MONSIEUR BOBINET. C'est du latin, madame, et la première règle de Jean Des pautère. (1) Littéralement : « Tout ce qui convient à l'homme seul est du genre masculin. » C'est, comme va le dire Bobinet, la première règle de Jean Despautère. LA COMTESSE. Holà! monsieur le receveur, que voulez-vous donc dire avec l'action que vous faites? Vient-on interrompre, comme cela, une comédie? MONSIEUR HARPIN. Morbleu! madame, je suis ravi de cette aventure; et ceci me fait voir ce que je dois croire de vous, et l'assurance qu'il y a au don de votre cœur; et aux serments que vous m'avez faits de sa fidélité. LA COMTESSE. Mais, vraiment, on ne vient point ainsi se jeter au travers d'une comédie, et troubler un acteur qui parle. MONSIEUR HARPIN. Hé! têtebleu! la véritable comédie qui se fait ici, c'est celle que vous jouez; et, si je vous trouble, c'est de quoi je me soucie' peu. LA COMTESSE. En vérité, vous ne savez ce que vous dites. MONSIEUR HARPIN. Si fait, morbleu! je le sais bien; je le sais bien, morbleu! et... (Monsieur Bobinet, épouvanté, emporte le comte, et s'enfuit; il est suivi par Criquet.) LA COMTESSE. Hé! fi, monsieur! que cela est vilain, de jurer de la sorte! MONSIEUR HARPIN. Hé! ventrebleu ! s'il y a ici quelque chose de vilain, ce ne sont point mes jurements, ce sont vos actions; et il vaudrait mieux que vous jurassiez, vous, la tête, la mort, et le sang, que de faire ce que vous faites avec monsieur le vicomte. LE VICOMTE. Je ne sais pas, monsieur le receveur, de quoi vous vous plaignez; et si... MONSIEUR HARPIN au vicomte. Pour vous, monsieur, je n'ai rien à vous dire : vous faites bien de pousser votre pointe, cela est naturel, je ne le trouve point étrange, et je vous demande pardon si j'interromps votre comédie; mais vous ne devez point trouver étrange aussi que je me plaigne de son procédé; et nous avons raison tous deux de faire ce que nous faisons. LE VICOMTE. Je n'ai rien à dire à cela, et ne sais point les sujets de plainte que vous pouvez avoir contre madame la comtesse d'Escarbagnas. LA COMTESSE. Quand on a des chagrins jaloux, on n'en use point de la sorte; et l'on vient doucement se plaindre à la personne que l'on aime. MONSIEUR HARPIN. Moi, me plaindre doucement! LA COMTESSE. Oui. L'on ne vient point crier de dessus un théâtre ce qui doit se dire en particulier. MONSIEUR HARPIN.KATOR J'y viens, moi, morbleu ! tout exprès; c'est le lieu qu'il me faut; et je souhaiterais que ce fût un théâtre public, pour vous dire avec plus d'éclat toutes vos vérités. VOLA COMTESSE. Faut-il faire un si grand vacarme pour une comédie que monsieur le vicomte me donne? Vous voyez que monsieur Tibaudier, qui m'aime, en use plus respectueusement que vous. MONSIEUR HARPIN. Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît. Je ne sais pas de quelle façon monsieur Tibaudier a été avec vous; mais monsieur Tibaudier n'est pas un exemple pour moi, et je ne suis point d'humeur à payer les violons pour faire danser les autres. LA COMTESSE. Mais vraiment, monsieur le receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites. On ne traite point de la sorte les femmes de qualité; et ceux qui vous entendent croiraient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous et moi. MONSIEUR HARPIN. Hé! ventrebleu ! madame, quittons la faribole. LA COMTESSE. Que voulez-vous donc dire avec votre : Quittons la faribole? MONSIEUR HARPIN. Je veux dire que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de monsieur le vicomte; vous n'êtes pas la première femme qui joue dans le monde de ces sortes de caractères, et qui ait auprès d'elle un monsieur le receveur, dont on lui voit trahir et la passion et la bourse pour le premier venu qui lui donnera dans la vue. Mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité aussi ordinaire aux coquettes du temps, et que je vienne vous assurer devant bonne compagnie que je romps commerce avec vous, et que monsieur le receveur ne sera plus pour vous monsieur le donneur. 1134 LA COMTESSE. Cela est merveilleux comme les amants emportés deviennent à la mode! on ne voit autre chose de tous côtés. Là, là, monsieur le receveur, quittez votre colère, et venez prendre place pour voir la comédie. MONSIEUR HARPIN. Moi, morbleu, prendre place! (montrant monsieur Tibaudier.) Cherchez vos benêts à vos pieds. Je vous laisse, madame la comtesse, à monsieur le vicomte; et ce sera à lui que j'enverrai tantôt vos lettres. Voilà ma scène faite, voilà mon rôle joué. Serviteur à la compagnie. MONSIEUR TIBAUDIER. Monsieur le receveur, nous nous verrons autre part qu'ici; et je vous ferai voir que je suis au poil et à la plume. MONSIEUR HARPIN en sortant. Tu as raison, monsieur Tibaudier. LA COMTESSE. Pour moi, je suis confuse de cette insolence. LE VICOMTE. Les jaloux, madame, sont comme ceux qui perdent leur procès; ils ont permission de tout dire. Prêtons silence à la comédie. SCÈNE XXII. LA COMTESSE, LE VICOMTE, JULIE, JEANNOT au vicomte. Voilà un billet, monsieur, qu'on nous a dit de vous donner vite. LE VICOMTE lisant. << En cas que vous ayez quelque mesure à prendre, je vous << envoie promptement un avis. La querelle de vos parents « et de ceux de Julie vient d'être accommodée; et les condi«<tions de cet accord, c'est le mariage de vous et d'elle. << Bonsoir.» (à Julie.) Ma foi, madame, voilà notre comédie achevée aussi. (Le vicomte, la comtesse, Julie et monsieur Tibaudier se lèvent.) JULIE. Ah! Cléante, quel bonheur! Notre amour eût-i! osé espérer un si heureux succès ? LA COMTESSE. Comment donc ? Qu'est-ce que cela veut dire? |