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SCÈNE V.

DOM JUAN, UN SPECTRE en femme voilée, SGANARELLE "").

LE SPECTRE.

Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.

SGANARELLE.

Entendez-vous, Monsieur?

DOM JUAN.

Qui ose tenir ces paroles? Je crois connoître cette voix.

SGANARELLE.

Ha! Monsieur, c'est un spectre; je le reconnois au marcher.

DOM JUAN.

Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.

(Le Spectre change de figure, et représente le Temps avec sa faux à la main (2).)

SGANARELLE.

Ô Ciel! voyez-vous, Monsieur (3), ce changement de figure?

DOM JUAN.

Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur; et je veux éprouver, avec mon épée, si c'est un corps ou un esprit. (Le Spectre s'envole, dans le temps que Dom Juan le veut frapper.)

(1) ~ D. Juan, un Spectre, une Femme voilée, Sganarelle.» (Éd. 1683, 1694.) (2) Ce jeu de scène et celui qui est quelques lignes plus bas manquent dans les éditions de 1683, 1694.

(3)Ô Ciel! voyez, Monsieur. (Éd. 1683, 1694.)

SGANARELLE.

Ah! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.

DOM JUAN.

Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable (1) de me repentir. Allons, suis-moi.

SCÈNE VI.

LA STATUE, DOM JUAN, SGANARELLE.

LA STATUE.

Arrêtez, Dom Juan, vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi.

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Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste; et les grâces du Ciel (2) que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre (3).

(") il ne sera pas dit que, quoi qu'il arrive, je sois capable. (Éd. 1683, 1694.) (2) une mort funeste; les grâces du Ciel.» (Éd. 1694.)

(3) à la foudre. (Éd. 1683, 1694.)

DOM JUAN.

Ô Ciel! que sens-je? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus. et tout mon corps devient (1) un brasier ardent. Ah!

(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan. La terre s'ouvre et l'abîme; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.)

SGANARELLE.

Voilà, par sa mort, un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content; il n'y a que moi seul de mal-heureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde.

(1) Les éditions de 1683, 1694 s'arrêtent à devient et remplacent par des points les mots un brasier ardent. Ah!» Elles omettent tout le jeu de scène : « Le tonnerre,» etc., mettent avant Voilà: « Ah! mes gages! mes gages!» puis remplacent encore ce qui suit mal-heureux par : « Mes gages, mes gages, mes gages!»

FIN DE DOM JUAN.

III.

15

APPENDICE À DOM JUAN.

Le comédien Charles Chevillet, sieur de Champmesté, a publié, en 1682, une comédie en trois actes, intitulée les Fragments de Molière, où il a tâché de coudre ensemble quelques scènes du grand comique : quatre de Dom Juan et une des Fourberies de Scapin. Les quatre de Dom Juan sont les scènes I, II et i de l'acte II, et la scène i de l'acte IV: elles forment, dans la comédie des Fragments, les scènes III, IV et v de l'acte I, et la scène v de l'acte II. La première et la troisième desdites scènes se rapprochent beaucoup de notre texte; la seconde et la quatrième s'en écartent sensiblement. Nous les donnons toutes les quatre en appendice. Jusqu'à quel point la copie d'où Champmeslé les a tirées différait-elle de celle dont les éditeurs français et étrangers se sont servis? Quelles modifications s'est-il permises? C'est ce qu'il est impossible de savoir. « Cette rhapsodie, disent les frères Parfaict (tome XII, p. 439)..., a eu une espèce de succès et a resté longtemps au théâtre. Le Registre de la Grange mentionne un bon nombre de représentations, la première au 30 septembre 1681; et le Mercure nous apprend que la pièce fut donnée, dès 1677, à Fontainebleau, par la troupe de l'Hôtel de Bourgogne.

ACTE II, SCÈNE I.

(Acte I, scène 1, des Fragments.)

CHARLOTE, PIERROT.

CHARLOTE.

Pargué, Pierrot, tu t'es donc trouvé là bien à point?

PIERROT.

Parguenne, il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplingue qu'ils ne se sayent nayés tous deux.

CHARLOTE.

C'est donc le coup de vent da matin qui les a renvarsés dans la mar.

PIERROT.

Aga quien, Charlote, je m'en vas te conter tout fin droit comme cela est venu. Car, comme dit l'autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin j'esquions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifo

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