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pour travailler à ses ouvrages, lorsque l'université le choisit une seconde fois pour recteur: il se fit autant estimer dans cette place que la première fois. En effet il eut été difficile de trouver un homme plus estimable par la douceur du caractère, par la modération, par la candeur et par la simplicité de l'ane. Non-seulement il étoit aimé et estimé en France; mais il jouissoit encore d'une grande considération dans tous les pays de l'Europe. Le duc de Cumberland et le prince Royal, depuis roi de Prusse, étoient au nombre de ses admirateurs. Ce monarque l'honora de plusieurs lettres, dans l'une desquelles il lui disoit: Des hommes tels que vous, marchent à côté ds souverains. Quant à son mérite littéraire, si on l'a trop exalté de son temps, on l'a trop déprécié de nos jours; et on ne doit pas s'en étonner: un auteur aussi chrétien ne pouvoit être du goût de nos philosophes: il étoit naturel qu'ils cherchassent à détourner d'une lecture propre à inspirer de l'horreur pour leurs principes. Malgré leurs critiques, le cours de belles-lettres et P'histoire ancienne sont toujours lus avec autant d'utilité que de plaisir, parce que, quoiqu'il y ait des défauts, ils annoncent un écrivain sage, un esprit éclairé et une belle âme.

ROSSET (N —) il a publié un poëme sur l'Agriculture en six chants. Ila renfermé dans ce cadre tous les préceptes de la culture des terres, et toutes les opérations rurales depuis les semailles jusqu'à la bassecour, sans relever son ouvrage par aucun trait d'imagination, par aucun épisode. Il s'est borné à rendre en vers François tous les travaux champêtres, et dans plus d'un endroit il s'en est tiré avec succès. La diction en général en est correcte; mais elle manque trop souvent d'élégance, de rhythme, et de poésie. Rosset néanmoins n'étoit pas sans talent, comme on peut le voir par les morceaux insérés dans cette collection, mais le plan de son poëme n'étoit pas propre à le faire paroître avec avantage.

ROUCHER (N- -) né à Montpel lier en 17** et guillotiné à Paris en 1794. Roucher né avec du talent pour la poésie, eût pu se faire un nom, si un critique d'un gout sûr l'avoit dirigé dans ses premiers essais. Mais rempli de lui-même, il entre prit le poëme des Mois, avant d'avoir étudié l'art de faire les vers. Arrivé à Paris, il y mena d'abord une vie obscure: mais peu à peu il s'insinua auprès de quelques philosophes, dont il avoit adopté le fatras et la morgue des déclamations; il commença à avoir des prôneurs qui voyant en lui un adepte l'introduisirent dans le monde. Les lectures qu'il y fit de son poëme lui donnèrent une grande réputation dont il jouit jusqu'à son apparition: mais à cette époque tous ceux qui l'avoient loué, le déchirèrent à l'envi. En effet il est difficile de

trouver un poëme qui pêche plus par le sujet qui est trop vague, par le plan, par la marche, par le choix et la distribution des matériaux, par les épisodes, par les idées, par les transitions, par l'abus des enjambe mens, par la manière de placer la césure; enfin par le style, qui est tantôt boursoufflé, tantôt plat, et presque toujours gáté, même dans les beaux morceaux, par des expressions impropres. Néanmoins, malgré tous ces défauts, on y trouve de temps en temps de beaux vers, des tableaux animés, et des tirades même assez longues d'une grande beauté. Les morceaux insérés dans cette collection sont de ce nombre et on auroit pu en rapporter d'autres. ROUSSEAU (Jean-Baptiste) né à Paris en 1671, et mort à Bruxelles en 1741. Rousseau reçut une excellente éducation dans les meilleurs colléges de Paris, où il ne tarda pas à se faire un nom par de petites pieces de poésie, pleines d'esprit et d'imagination. Il avoit à peine 20 ans, qu'il étoit déja recherché par les personnes du plus haut rang et du goût le plus délicat. Entré dans différentes maisons où l'on admiroit ses talens, il y cultivoit les muses, et songeoit peu à sa fortune. Il étoit parvenu au comble de la gloire, lorsque les fameux couplets qu'on lui attribua, quoique sans preuve, le firent bannir du royaume à perpétuité. Il se retira en Suisse où le comte du Luc, ambassadeur de France auprès du corps Helvétique, lui rendit la vie douce et agréable. Ce fut à Soleure qu'il publia la première édition de ses œuvres. A Bade, il fit connoissance avec le prince Eugène qui l'emmena à Vienne. Il y passa trois ans, mais s'étant brouillé avec ce héros, il se retira à Bruxelles. Ce fut dans cette ville que commencèrent ses brouilleries avec Voltaire. Ces deux poëtes s'étoient estimés jusqu'alors. Dès ce moment, ils ne cessèrent de se déchirer, et voulurent inspirer au public un mépris qu'ils n'avoient pas l'un pour l'autre. De Bruxelles Rousseau passa en Angleterre, où il fit imprimer à Londres le recueil de ses œuvres en 2 volumes in 4to. Cette édition lui rapporta dix mille écus qu'il plaça sur la compagnie d'Ostande: mais cette compagnie n'ayant pas réussi, il les perdit, et retomba dans sa misère. De retour à Bruxelles, il trouva de nouvelles ressources dans la générosité du duc d'Aremberg dont il fut encore privé par une vengeance de Voltaire. Depuis cette époque jusqu'à sa mort, ce grand poëte mena la vie la plus agitée et la plus malheureuse. Avant de recevoir le Saint Viatique, il protesta qu'il n'étoit pas l'auteur des infâmes couplets qui avoient empoisonné sa vie. Les ouvrages qui assurent à

Rousseau le rang le plus distingué parmi nos poëtes sont ses odes sacrées, où à l'élégance, à la noblesse, à l'harmonie, à la richesse, il a su joindre cette onction qu'il

avoit puisée dans les livres saints; ses Odes héroïques et morales, où il a porté au plus haut point l'enthousiasme lyrique, et ses Cantates qui sont des morceaux achevés; celle de Circé est un des chefs-d'œuvre de la poésie Françoise. En général dans le lyrique ce grand poëte n'a point d'égal parmi nous. Néanmoins il a beaucoup de fautes, mais qui disparoissent devant le grand nombre de beautés. Rousseau n'est pas moins supérieur dans l'épigramme que dans l'ode. Tout homme d'esprit peut en faire une bonne; mais en faire un si grand nombre sur tous les sujets et les faire si bien, est l'ouvrage d'un talent particulier et d'un grand talent. Quant à ses épitres et autres ouvrages, on y trouve de temps en temps des passages dignes de lui; mais on s'accorde assez généralement à les regarder comme des productions médiocres. On n'a pas besoin d'observer que Voltaire, dans son temple du goût n'a pas rendu justice à ce grand poëte.

en

ROUSSEAU (Jean-Jacques) né à Genève er 1712, et mort en 1778 à Ermenonville, terre de M. de Girandin à dix lieues de Paris. Rousseau montra dès l'enfance un esprit penseur et un caractère bouillant: ses premières lectures furent Plutarque et Tacite. Une étourderie de jeune homme lui fit abandonner la maison paternelle. L'évêque d'Anneci, à qui il demanda un asile, chargea de son éducation Mde. de Warens qui lui servit de mère et d'amie, et qui finit par prendre pour lui un sentiment plus vif. Il aimoit la musique, et y avoit fait des progrès. Il en donna des leçons à Chamberi. Ayant enfin quitté cette ville, il vint à Paris, où il passa deux ans dans la plus grande détresse. Ses amis réussirent à le placer auprès de M. de Montaigu, ambassadeur à Venise; mais la mésintelligence se mit bientôt entre l'ambassadeur et son secrétaire. De retour à Paris, la place de commis qu'il obtint chez un fermier-gé néral, homme d'esprit, lui donna quelque aisance, et il s'en servit pour aider Mde. de Warens, sa bienfaitrice. Rousseau étoit dans

mœurs

sa trente-neuvième année lorsqu'il commença à se montrer sur la scène littéraire. L'académie de Dijon avoit proposé cette question: si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les Rousseau voulut d'abord soutenir l'affirmative. C'est le pont aux ànes, lui dit un philosophe alors son ami; soutenez la négative, et je vous promets le plus grand succès. En effet son discours fut couronné. Jamais paradoxe ne fut soutenu avec plus d'éloquence. Le discours qui suivit fut encore plus éloquent. Les maximes les plus hardies, les idées les plus bizarres, y furent revêtues des couleurs les plus brillantes, du style le plus enchanteur. Sa lettre à d'Alembert contre le spectacle offrit, à côté de quelques paradoxes, les vérités les plus im

portantes et les mieux développées. Ce fut l'époque de sa brouillerie avec Voltaire. Il avoit déjà donné son devin du village, admirable par l'accord parfait des paroles et de la musique. Il publia peu de temps après une lettre sur la musique dans laquelle i attaqua sans ménagement nos opéras. Elle excita un soulevement presque général. Les partisans de la musique Françoise se déchaînèrent contre lui, et portèrent la fureur jusqu'à le pendre en effigie. A ces différens ouvrages succéda sa nouvelle Hétoïse, roman absurde pour le fonds, et dont aucun personnage n'est ni intéressant ni dans la nature, mais qui étincelle de beautés de détails. Quoique le style en soit guindé et exagéré, quelques lettres attachent par la chaleur de l'expression, par cette effervescence de sentimens, par ce désordre d'idées qui caractèrisent une passion portée à son comble. Ce roman si dangereux avoit fait beaucoup de bruit; mais Emile en fit bien davantage. Cet ouvrage sur l'éducation renfermoit une infinité de choses sages, bien vues, et dignes de Platon: mais comme il falloit que Rousseau mit dans tous ses ouvrages des paradoxes plus ou moins hardis, il introduisit dans son troisième volume un vicaire Savoyard qui après avoir parlé d'une manière sublime de l'évangile et de son divin auteur, attaqua sans ménagement les miracles et les prophéties qui établissent sa mission. Le parlement de Paris condamna ce livre et en poursuivit criminellement l'auteur, qui fut obligé de prendre la fuite à la hâte. Génève lui ferma ses portes. Il se retira dans la principauté de Neuf-châtel, d'où, malgré la protection du roi de Prusse, il fut forcé de sortir. Il chercha un asile dans le canton de Berne, mais on refusa de l'y recevoir. Le célèbre Hume, touché de son sort, le mena en Angleterre où il lui procura un établissement très-agréable à la campagne : mais le philosophe de Génève ne se plut pas long-temps dans sa nouvelle retraite." Il s'attendoit à faire sur les Anglois la même sensation que sur les Parisiens. Les feuilles publiques de Londres ne parlèrent pas toujours avantageusement de lui. On y imprima une prétendue lettre du roi de Prusse à Rousseau, dans laquelle les principes et la conduite de ce Diogène moderne étoient tournés en ridicule. Rousseau crut que c'étoit une conspiration de Hume et de quelques philosophes de Paris contre sa gloire et son repos; il ni écrivit une lettre de reproche, pleine d'expressions outrageantes. Il le regarda dès-lors comme un homme méchant et perfide, qui ne l'avoit attiré dans son île que pour l'immoler à la risée publique. Il quitta l'Angleterre, rentra en France, et obtint la permission de demeurer à Paris à condition qu'il n'écriroit ni sur les matières de la religion, ni sur celles du gouvernement. I vécut de

puis cette époque en philosophe paisible, borné à la société de quelques amis sûrs, fuyant celle des grands, détrompé de toutes les illusions, et n'affichant ni la philosophie ni le bel-esprit. Les différens morceaux qu'on trouve de lui dans cette collection suffisent pour faire connoître les grands talens de cet écrivain véritablement original.

RUE (Charles de la) né à Paris en 1643, et mort à Paris en 1723. Entré de bonne heure chez les jésuites, il y professa avec éclat les humanités et la rhétorique, et s'y fit connoître en même temps par son talent pour la poésie. Le grand Corneille traduisit en vers François son poëme Latin sur les conquêtes de Louis XIV. Ses supérieurs l'avoient destiné à la chaire; il s'y consacra et remplit avec applaudissement celles de la cour et de la capitale. Ses panégyriques, ses oraisons funèbres et ses sermons brillent de tout ce que peuvent leur donner d'éclat P'heureuse distribution des parties, la vérité des tableaux, la véhémence du style, et les grâces de la facilité; mais quelquefois il s'y montre plus poëte que prédicateur. On a encore du père de la Rue, outre beaucoup de poesies Latines, deux tragédies en vers François qui méritèrent les suffrages de Corneille. Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne se préparoient à jouer Sylla, mais le père de la Rue qui en fut instruit eut assez de crédit pour les en empêcher. Tout le monde lui attribúa de son temps l'Andrienne, et l'homme à bonnes fortunes, comédies publiées sous le nom de Baron, son ami. Pour faire en un mot l'éloge du père de la Rue, il suffit de dire qu'il a été un des meilleurs littérateurs que les jésuites aient eus.

SABATIER (Antoine) né à Castres en 1742. Sabatier annonça de bonne heure son goût pour la littérature: après avoir commencé d'écrire en province, il se rendit à Paris où il publia quelques petits ouvrages, qui l'aidèrent à subsister. On l'engagea à écrire contre les philosophes, et c'est ce qu'il fit dans les trois siècles de la littérature Françoise, avec un courage qui étonna ses adversaires. Il y juge bien les ouvrages, et démasque avec vérité les vues et les cabales des philosophes; mais égaré quelquefois par l'esprit de parti, il ne rend pas justice à leurs talens, tandis qu'il exalte avec enthousiasme tout ce qui leur est opposé. Avant de lire l'article d'un auteur, on sait ce qu'il en dira, si l'on connoît ses liaisons avec tel ou tel parti. Néanmoins les trois siècles méritent d'être lus, et consultés dans l'occasion quand on veut être fixé sur le mérite d'un auteur.

SACY (Louis-Isaac le Maistre de.) né à Paris en 1613 et mort à Pompone en 1684. Après avoir fait d'excellentes études sous les yeux de l'abbé de Saint-Cyran, il fut élevé au sacerdoce, et aussitôt après choiri pour diriger les religieuses et les solitaires de

Port-Royal des champs. Son attachement au jansénisme lui suscita bien des affaires et le fit enfin enfermer à la Bastille. C'est dans cette prison qu'il composa les figures de la bible, et la traduction de toute la bible. Ce dernier ouvrage fut achevé la veille du jour où il recouvra sa liberté. On le présenta au roi et au ministre, à qui il demanda pour toute grâce d'envoyer plusieurs fois l'année à la Bastille pour examiner l'état des prisonniers. I consacra le reste de ses jours à la composition des nombreux ouvrages qu'il nous à laissés.

SACY (Louis de) né en 16** et mort à Paris en 1727. Sacy débuta par le barreau où il parut avec un succès distingué, Sa voix étoit touchante, sa physionomie heureuse, sa mémoire fidèle, son esprit juste et pénétrant. Il avoit tout pour réussir dans cette profession, qu'il exerça avec autant de noblesse que d'applaudissement. Fait pour la société, il y étoit utile. Il avoit autant de douceur dans les manières que dans les mœurs. Il nous reste plusieurs ouvrages de lui. Celui qu'on lit le plus est sa traduction des lettres de Pline le jeune, ouvrage aussi agréable à lire que l'original, et moins fatigant, parce que le traducteur en rendant toute la finesse de l'auteur Latin, la rend avec plus de simplicité que lui.

SAINT-ANGE (Fariau-de) l'éditeur de cet article ne connoît de M. de Saint-Ange que sa traduction en vers des Métamorphoses d'Ovide. Ce poëme, un des plus beaux présens que l'antiquité nous ait faits, est une suite de tableaux toujours divers, tantôt simples jusqu'à la familiarité, les uns horribles, les autres tendres, ceux-ci effrayans, ceux-là gais, rians et doux. Quelle flexibilité d'imagination et de style n'a-t-il pas fallu à Ovide pour leur donner à tous des couleurs qui leur convenoient, et c'est ce qu'Ovide a fait avec une supériorité de talent que la lecture de ses autres ouvrages n'auroit pas fait soupçonner en lui. Il étoit bien difficile que son traducteur pût faire passer cette foule de beautés dans une langue moins poétique: il devoit nécessairement

rester au dessous. Néanmoins on trouve dans la traduction des fables bien rendues, et l'on sent, en la lisant, que si M. de SaintAnge n'avoit pas si souvent, par sa diffusion, ajouté à l'abondance de son auteur, cet ouvrage lui auroit fait plus d'honneur.

ans.

SAINT-AULAIRE (François-Joseph de Beaupoil, marquis de) né dans le Limousin, et mort à Paris en 1742, âgé d'environ 98 Le marquis de Saint-Aulaire porta les armes pendant sa jeunesse, et quitta le service dans un âge plus avancé, pour être tout entier à la société et à la littérature. La duchesse du Maine l'appela à sa cour, dont il fit les délices pendant 40 ans par les charmes de son esprit et de sa conversation. Ce fut pour cette princesse qu'il fit, en jouant au secret, l'impromptu si connu

La divinité qui s'amuse

A me demander mon secret,
Si j'étois Apollon, ne seroit pas ma muse:
Elle seroit Thétis....et le jour finiroit.

Anacréon moins vieux, dit Voltaire, fit de moins jolies choses. Il avoit fait ses premiers vers à 60 ans. Il fit les plus délicats qu'on ait de lui, lorsqu'il étoit plus que nonagénaire. Il a été de l'académie Françoise.

SAINT-EVREMONT (Charles de SaintDenis, Seigneur de) né à Saint-Denis-leGouast, à 3 lieues de Coutances en 1613 et mort à Londres en 1703 où il fut enterré à Westminster au milieu des rois et des grands hommes d'Angleterre, et où ses amis lui firent ériger un monument. Cet écrivain eut, de son temps, une réputation prodigieuse; il en a perdu beaucoup et peut-être trop dans celui-ci. Après s'être distingué dans sa jeunesse où, par sa fidélité à la cause du roi, il avoit mérité le grade de maréchal de camp et une pension de trois mille livres, il eut l'imprudence d'écrire au maréchal de Créqui une lettre qui étoit une satire du traité des Pyrénées. Le roi irrité donna des ordres pour qu'on l'enfermât à la bastille; mais en ayant été averti, il se retira en Angleterre où Charles II l'accueillit comme il le méritoit, et où il passa le reste de sa vie. C'est là qu'il a coniposé la plupart des ouvrages qui nous restent de lui. Quoique né dans un temps où le goût n'étoit pas entièrement formé, il sut éviter l'enflure de Balzac et l'affectation de Voiture. Il avoit réellement un caractère de style qui étoit à lui, et qui tenoit à celui de son esprit. Sa philosophie étoit douce et mesurée. Son goût pour le plaisir étoit celui de ce qu'on appelle honnêtes gens; il rejetoit tout excès. Son style, quoique inégal, trop peu correct et trop peu soigné, prouve généralement le talent d'écrire. Les expressions ne lui manquent point, et quelquefois elles sont heureuses; il saisit sur plusieurs objets des rapprochemens d'idées, qui, sans être rigoureusement justes, ont un fonds de vérité ingénieusement aperçu. Si, à sa mort, au lieu de grossir le recueil de ses œuvres d'une foule d'écrits indignes de lui, on eût fait dans ce qui étoit sorti de sa plume un choix judicieux, ce philosophe seroit encore lu et avec plaisir: mais à présent qui pourroit supporter la lecture de vers qui ne sont qu'une mauvaise prose rimée; de prétendues comédies, dénuées de toute apparence de comique; et de plusieurs morceaux en prose actuellement sans intérêt pour nous. Ses lettres qu'on y a rassemblées avec un soin minutieux sont au dessous du médiocre. Il ne reste donc à Saint-Evremont que ses considérations sur les Romains, et ses dissertations morales, politiques et historiques, où l'on trouve des

idées fines, des caractères bien saisis, et des vues en général assez justes.

SAINT-LAMBERT (Charles-François de) né à ** et mort à Paris en 1803, dans un âge très-avancé. Saint-Lambert étoit entré de bonne heure au service, mais la vie militaire ne l'empêcha pas de cultiver les lettres. Il s'étoit déjà fait connoître par de petites pièces de vers où l'on remarquoit du talent, lorsqu'il publia le poëme des saisons, une des productions originales, dans le genre descriptif, qui font le plus d'honneur au dix-huitième siècle. En effet on y rencontre ou les détails charmans de la nature pittoresque, décrits avec une pompe qui ne dégénère jamais en luxe, ou les teintes d'une mélancolie aimable et réfléchissante qui attache des idées, des souvenirs et des sentimens à tous les objets. On n'y trouvera rien de vague, rien d'embarrassé, rien de pénible: mais on y apercevra partout une marche sûre, une propriété de termes bien choisis, qui se rélèvent l'un par l'autre; un intérêt de style, qui réside toujours dans des tournures faciles et naturelles; des exemples fréquens d'harmonie imitative; un coloris toujours vrai; des réflexions intéressantes, et des contrastes ménagés avec art. La seule chose qui manque à ce beau poëme, c'est une sorte d'élan et de jet, et pour ainsi dire ce feu central qui doit échauffer l'ensemble d'un poëme descriptif, pour suppléer un peu à cet intérêt d'action qui soutient d'autres sujets. Outre les ouvrages en vers dont on vient de parler, Saint-Lambert a publié en prose des fables orientales dont le style est trop soigné, et dont le fonds est infecté du poison du philosophisme, mais néanmoins assez déguisé pour ne pas effaroucher. Auroit-on dú s'attendre qu'un homme qui avoit annoncé de la modération, se seroit déshonoré, dans sa vieillesse, par la publication d'un ouvrage, où le délire du philosophisme est porté à son comble.

SAINT-PIERRE (Bernardin de) né à Honfleur vers 1727. M. de Saint-Pierre s'est appliqué de bonne heure à l'étude de l'histoire naturelle, et a profité de son séjour dans l'Inde pour s'y perfectionner; mais égaré par l'esprit de systéme, il n'est pas aussi utile à ses lecteurs qu'il auroit pu l'être. Ses études de la nature qui renferment une infinité d'observations justes, de rapprochemens ingénieux, et de vérités bien saisies et bien développées, portent trop souvent sur de pures conjectures, et le style n'en est pas celui du genre. bien qu'il s'est proposé J. J. Rousseau pour modèle; mais il n'est pas aisé d'imiter un écrivain aussi original. Un autre ouvrage qui fera plus d'honneur à M. de Saint-Pierre, c'est Paul et Virginie, un des romans de ce siècle où l'amour honnête est peint avec le plus d'intérêt et de vérité, et qui sera lu

On voit

et relu dans tous les temps. Bien des per sonnes de goût auroient désiré que M. de Saint-Pierre y eût évité dans ses belles descriptions un si fréquent usage des mots techniques dont il les a hérissées, et qui sans donner plus de force à ses traits, leur ôtent la rapidité, l'élan et le feu.

SAINT-REAL (César Vichart de) né à Chamberi, et mort dans la même ville en 1692. Saint-Réal vint de bonne heure à Paris, où les agrémens et la vivacité de son esprit le firent rechercher. De retour dans sa patrie, il eut occasion de voir la duchesse de Mazarin qui le goûta et l'emmena avec elle en Angleterre. Ce voyage ayant dérangé ses études, il vint jouir de la tranquillité à Paris. C'est là qu'il composa les différens ouvrages qu'il a publiés. On y trouve quelquetois des vues bien saisies, mais trop souvent des paradoxes historiques qui font du tort a son jugement, ou qui annoncent une imagination bizarre. On ne lit guères plus à présent que sa conjuration de Venise, dont les détails peuvent paroître romanesques, mais dont on n'est pas en droit de contester la vérité. (Voyez la préface de l'édition publiée chez M. M. Dulau et Co.) c'est le seul ouvrage de Saint-Réal qui annonce un grand talent. Tout le reste est médiocre ou mauvais.

SARAZIN (Jean-François) né à Hermanville sur la mer dans le voisinage de Caen et mort à Pezenas en Languedoc en 1654. Sarazin étoit né avec beaucoup d'esprit, et une imagination brillante. il donna dans tous les genres de poésie, et de tous ses vers on ne connoit que quelques strophes de son ode sur la bataille de Lens; et quelques passages de grande poésie qui offrent de vraies beautés. Tout le reste est mauvais. Pélisson fit la préface de ses ouvrages en prose recueillis par Ménage. On y trouve l'histoire de la conspiration de Walstein; production pleine d'esprit, mais dénuée de cette simplicité noble qui est le premier ornement du style historique.

Ils ne

coup écrit: mais sa réputation est princi-
palement fondée sur ses sermons.
sont pas tous également bons: mais il y'en
a dans le nombre, d'écrits avec beaucoup
de force, de génie et d'éloquence. Les
calvinistes de ce temps-là en furent mécon-
tens parce qu'ils n'y trouvoient pas des dé-
clamations contre le Pape et l'église Ro-
maine; mais ceux de nos jours, en adoptant
l'esprit de modération qui les caractérise,
les ont pris pour modèles.

Em

SCARRON (Paul) né à Paris en 1610 ou 1611 et mort dans la même ville en 1660. Le père de Scarron qui s'étoit marié en secondes noces, le força d'embrasser l'état ecclésiastique: il obéit; mais en changeant d'état, il ne changea pas de mœurs. porté par la fougue de ses passions, il se livra, soit pendant son voyage en Italie, soit après son retour à Paris à des excès de plaisir qui affoiblirent sa santé. Une folie la ruina sans ressource. Il étoit allé passer le carnaval au Mans, dont il étoit chanoine. Un jour s'étant masqué en sauvage, cette singularité le fit poursuivre par tous les enfans de la ville. Obligé de se réfugier dans un marais, le froid le saisit, et le rendit perclus de tous ses membres. Gai malgré ses souffrances, il se fixa à Paris et attira bientôt chez lui la meilleure compagnie. Il vit Mile. d'Aubigné; elle lui plut, et il l'épousa. Lorsqu'il fut question de dresser le contrat de mariage, Scarron dit qu'il reconnoissoit à l'accordée deux grands yeux fort mutins, un très-bean corsage, une paire de belles mains, et beaucoup d'esprit. Le notaire demanda quel douaire il assuroit? l'immortalilé, répondit Scarron, le nom des femmes des rois meurt avec elles: celui de la femme de Scarron vivra éternellement. Mde. Scarron réussit à reformer les saillies indécentes de son mari, mais non pas à lui inspirer l'esprit d'économie: il eut bientôt mangé le peu de bien qu'il avoit et fut réduit à vivre du produit de ses ouvrages, et d'une pension que lui donna le surintendant Fouquet. Sa gaieté ne l'abandonna pas au lit de la mort; peu de temps avant d'expirer, il dit à ses parens et à ses domestiques qui pleuroient au chevet de son lit: Mes enfans, je ne vous ferai jamais autant pleurer que je vous ai fait rire. De tous les ouvrages de Scarron, on ne lit plus que son Roman Comique, et il le mérite par la gaieté qui y règne, et par la pureté avec laquelle il est écrit.

SAURIN (Jacques) né à Nimes en 1677 et mort à la Haie en 1730. Saurin fit d'excellentes études, qu'il interrompit pendant quelque temps pour suivre le parti des armes. I servit en Savoye, mais le Duc ayant fait sa paix avec la France, il retourna à Genève et y reprit ses études de philosophie et de théologie, qu'il acheva avec un Succès distingué. I alla de Génève en Hollande, puis en Angleterre où il se maria. Deux ans après il retourna à la Haie et y SCUDERI (Magdelène de) née au Havreprêcha avec un applaudissement extraordi-de-Grâce en 1607 et morte à Paris en 1701. naire. La première fois que le célèbre Mlle. de Scuderi vint de bonne heure à Abbadie l'entendit, il s'écria: est-ce un ange Paris où elle devint auteur par nécessité: cu un homme qui parle? Cet homme qui elle s'y fit bientôt un grand nom, par une faisoit tant d'honneur à son parti, y fut foule d'ouvrages dont à peine aujourd'hui persécuté avec fureur. On ne pouvoit lui on connoît les titres. On la célébra, on lui pardonner son penchant à la tolérance, son donna le nom de Sapho, l'académie des amour pour la société, et la douceur de son Ricovrati de Padoue se l'associa, et les plus Caractère et de ses mœurs. Saurin a beau- beaux-esprits de l'Europe étoient en com

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