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de l'Afie, foit de la Grece, foit de Rome. Le fyftême Asiatique fur-tout eft fi admirablement combiné & fi favant, que fon Auteur, quel qu'H foit, mérite d'être connu dans tous les fiecles. Selon Diodore de Sicile (lib. V.), ce fut Mercure, premier Miniftre d'Ofiris, qui régla les mefures & les poids, & c'eft pour cela qu'il a été regardé comme le Dieu du commerce & des négociations par tous les peuples de l'antiquité. Je ne vois rien que de très-plaufible dans cette affertion de Diodore. Car en premier lieu il eft certain que nous ne devons rechercher l'établissement des mefures fyftématiques de l'Afie, que dans les temps réputés fabuleux par les Ecrivains, puifque ces mefures ont été employées aux mefurages des plans de Babylone & de Ninive, & à ceux de la conftruction des pyramides d'Egypte; en fecond lieu, les loix métriques de l'Afie durent être promulguées non-feulement fous un Prince éclairé & zélé pour le bien du genre humain humain, mais encore fous un Prince puiffant, & dont la domination s'étendoit en même temps fur tous les pays où ces mefures furent ordonnées & établies, & par conféquent dont l'empire s'étendoit également fur l'Egypte & fur toutes les parties de l'Afie: or je ne trouve que le regne d'Ofiris fufceptible d'une légiflation auffi fage & en auffi étendue. C'eft afin que l'on juge que cette affertion n'est pas fans fondement, que je crois devoir rapporter ici, d'après Diodore de Sicile (lib. I.), un partie de l'hiftoire d'Ofiris je la prends dans la traduction françoise de cet Auteur, par M. l'Abbé Terraffon.

même temps

Suivant les Annales des Egyptiens, il y a eu des Dieux terreftres, nés mortels; mais qui, par leur propre fageffe, ou par les biens qu'ils ont faits aux hommes, ont obtenu l'immortalité. Quelques-uns de ces Dieux ont été Rois dans l'Egypte même. Hélius, dont le nom signifie soleil, a régné le premier en Egypte; quelques-uns des Prêtres donnent pourtant cet avantage à Vulcain inventeur du feu, & difent que ce fut cette invention même qui lui procura la royauté. Saturne lui fuccéda, & ayant épousé Rhéa, fa fœur, il en eut, felon quelques Mythologistes, Ofiris & Isis, ou, felon la plupart d'entr'eux, Jupiter & Junon, qui par leur vertu finguliere parvinrent à l'empire du monde entier,

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Du mariage de ces deux derniers naquirent cinq Dieux, dont la naiffance tomba dans chacun des cinq jours intercalaires de l'année des Egygtiens ces Dieux font Ofiris, Ifis, Typhon,

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Apollon & Vénus. Ofiris a été appellé Bacchus, & Isis, Déméter ou Cérès. Ofiris ayant époufé Ifis, & fuccédé au Trône de fon pere, fit plufieurs chofes utiles à la fociété humaine : il abolit la coutume exécrable qu'avoient les hommes de fe manger les uns les autres, & établit à fa place la culture des fruits. Ifis de fon côté leur donna l'ufage du froment & de l'orge, qui croissoient auparavant dans les champs comme des plantes inconnues & négligées. Leurs fujets furent charmés de ce changement, & par la douceur qu'ils trouverent dans cette nouvelle nourriture, & par l'horreur qu'ils conçurent eux-mêmes de l'ancienne. Pour autorifer cette origine, on rapporte une pratique dont les Egyptiens fe font fait une loi. Dans le temps de la moiffon, ceux qui recueillent les premiers bleds en mettent debout une gerbe, autour de laquelle ils pleurent en invoquant Ifis, & célebrent ainfi la mémoire de fa découverte dans le temps le plus convenable. Outre cela, il y a quelques Villes, où dans les fêtes d'Ifis on porte des épics de bled, en reconnoiffance du grand bienfait dont on se croit redevable à cette Déesse. On dit de plus qu'Ifis a donné les premieres loix aux hommes, & leur a enfeigné à fe rendre justice les uns aux autres, & à bannir d'entr'eux la violence par la crainte du châtiment : c'est pour cela que les Grecs ont nommé Cérès, Thefmophore ou Légiflatrice. Suivant les mêmes Auteurs, bâtit des Villes & des temples aux Dieux, régla leur culte, & établit des Prêtres pour le maintenir : outre cela Ofiris & Ifis ont chéri & protégé les Inventeurs des Arts & des autres chofes utiles à la vie. C'est pour cela que la fabrique de l'or & de l'argent ayant été trouvée dans la Thébaide, on en fit des armes pour exterminer les bêtes féroces, des inftrumens pour travailler la terre; & la Nation fe poliffant de plus en plus, des flatues & des temples entiers dignes des Dieux auxquels on les dédioit. Osiris aima aussi l'agriculture, comme ayant été élevé à Nyfa, Ville de l'Arabie heureuse, & voisine de l'Egypte, où cet art étoit en honneur. C'est du nom de Jupiter fon pere, joint à celui de cette Ville, que Grecs ont fait Dionyfius, qui eft chez eux le nom d'Osiris. On dit auffi qu'il obferva le premier la vigne dans le territoire de Nyse, & qu'ayant trouvé le fecret de la cultiver, il but le premier du vin, & apprit aux autres hommes la maniere de le faire & de le

conferver.

Ofiris

les

Il honora Hermès ou Mercure, parce qu'il le vit doué d'un

talent extraordinaire pour tout ce qui peut aller au bien de la société humaine. En effet, Mercure forma le premier une langue exacte & réglée, des dialectes groffiers & incertains dont on fe servoit; il impofa des noms à une infinité de chofes d'ufage qui n'en avoient point; il inventa les premiers caracteres, & régla jufqu'à l'harmonie des mots & des phrases; il inftitua plufieurs pratiques touchant les facrifices & les autres parties du culte des Dieux, & il donna aux hommes les premiers principes de l'aftronomie. Il leur propofa enfuite pour divertiffement la lutte & la danse, & leur fit concevoir quelle force & même quelle grace le corps humain peut tirer de ces exercices. Il imagina la lyre, dans laquelle il mit trois cordes, par allusion aux trois faifons de l'année: car ces trois cordes rendant trois fons, le grave, l'aigu & le moyen, le grave répond à l'hiver, le moyen au printemps, & l'aigu à l'été. C'est lui qui apprit l'interprétation ou l'élocution aux Grecs, qui pour cette raifon l'ont appellé Hermès ou Interprete: il a été le confident & l'ame du confeil d'Ofiris, qui lui communiquoit tous fes fecrets, & qui faifoit un grand cas de fes confeils. C'est enfin lui qui, felon les Egyptiens, a planté l'olivier, que les Grecs croient devoir à Minerve.

Ofiris étant né bienfaifant & amateur de la gloire, affembla, ditune grande armée dans le deffein de parcourir la terre pour y porter toutes fes découvertes, & fur-tout l'ufage du bled & du vin, jugeant bien qu'ayant tiré les hommes de leur premiere férocité, & leur ayant fait goûter une fociété douce & raifonnable, il participeroit aux honneurs des Dieux; ce qui arriva en effet car non-feulement les hommes qui reçurent de fa main ces divins préfens, mais leurs defcendans même ont regardé comme les plus grands des Dieux ceux auxquels ils devoient leur nourriture. Avant que de partir, il laiffa à Ifis l'adminiftration générale de fon Etat déja parfaitement réglé ; il lui donna pour Confeiller & pour Miniftre Hermès, le plus fage & le plus fidele de fes amis, & pour Général de fes troupes Hercule, qui tenoit à lui par la naiffance, homme d'ailleurs d'une valeur & d'une force de corps prodigieufe. Il établit auffi Bufiris & Antée pour Gouverneurs, l'un de tout le pays maritime qui eft tourné vers la Phénicie, & l'autre des lieux voifins de l'Ethiopie & de la Libye. Toutes chofes étant ainsi disposées, il fe mit en marche à la tête de fes armées, emmenant avec lui fon frere, que les Grecs nom

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ment Apollon. Ofiris fut auffi accompagné dans cette expédition de deux de fes fils, Anubis & Macédon. Il prit encore avec lui Pan, fort refpecté dans le pays. Il fe fit fuivre enfin par deux hommes experts en agriculture; l'un nommé Maron, qui s'entendoit parfaitement à la vigne; & l'autre appellé Triptoleme, qui favoit tout ce qui regarde les bleds & le labourage. Tout étant prêt, & Ofiris ayant fait un vou folemnel de ne fe point raser la tête qu'il ne fut revenu dans fa patrie, il prit fon chemin par l'Ethiopie. — Ayant donc mis l'agriculture en ufage dans l'Ethiopie, & y ayant bâti plufieurs Villes confidérables, il traversa I'Arabie le long de la mer Rouge, & continua fa route jufqu'aux Indes & aux extrêmités de la terre. Il bâtit dans les Indes de grandes Villes, & entr'autres Nyfa, à laquelle il donna ce nom en mémoire de la Ville d'Egypte où il étoit né. Enfin Ofiris fit dreffer des colonnes pour faire reffouvenir ces peuples des chofes qu'il leur avoit enfeignées, & il laiffa plufieurs autres marques de fon paffage favorable dans cette contrée : deforte que les Indiens, qui le regardent comme un Dieu, prétendent qu'il eft originaire de leur pays.

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Delà il vint vifiter les autres peuples de l'Afie; l'on dit même qu'il traverfa l'Hellefpont, & qu'il aborda en Europe, où il tua Licurgue, Roi de Thrace, qui s'oppofoit à fes defleins. Il donna les Etats de ce Roi barbare à Maron, qui étoit déja vieux, pour y maintenir les loix & les connoiffances qu'il leur avoit apportées comme aux autres Nations: il voulut même que Maron bâtit une Ville dans ce pays, & qu'il l'appellât Maronée. Il laiffa Macédon fon fils, Roi de cette Province, qui a pris le nom de Macédoine, & il chargea Triptoleme de cultiver tout le territoire de l'Attique: en un mot, parcourant toute la terre, il répandit par-tout les mêmes bienfaits. Nous n'oublierons pas de dire ici qu'en faveur des peuples dont le terroir n'eft pas propre à la vigne, il inventa une boiffon faite avec de l'orge, & qui pour l'odeur & pour la force n'eft guère différente du vin : c'eft ainfi qu'Ofiris laiffa fur toute fa route les fruits heureux de fa fageffe & de fa bonté. Revenu en Egypte, il fit part à fes peuples d'une infinité de chofes curieuses & utiles qu'il rapportoit de fes longs voyages, & s'attira par tant de bienfaits le nom de Dieu & le culte qu'on rend aux Dieux. Ainfi ayant paffé de la terre au ciel, Ifis & Mercure lui firent des facrifices, & inftituerent des initiations avec des cérémonies fecretes & myftérieufes en fon honneur.

Nous ne nous permettrons pas d'autres réflexions fur ce récit de Diodore; nous nous contenterons d'ajouter que s'il eft une époque dans l'antiquité la plus reculée favorable à l'établissement d'un fyftême de mefures raifonné, c'est le regne d'Ofiris; & que s'il a exifté un Géometre affez habile pour concevoir ce fyftême, & le rédiger, cet homme ne femble pouvoir être que Mercure Trifmégifte, appellé Thouth par les Egyptiens, Thoth par les Alexandrins, & Hermès par les Grecs. C'eft une fable que ce que rapporte Eutrope dès le commencement du premier Livre de fon Hiftoire, que ce fut Sidonius ou un Sidonien qui inventa les mefures & les poids, vers le temps que Procas régnoit fur les Albains, Aza fur les Juifs, Jéroboam à Jérufalem. Il eft certain que cette invention eft beaucoup plus ancienne.

Selon Pline (lib. VII, cap. LVI.), ce fut Phidon d'Argos, ou Palamede, fuivant le témoignage d'Aulugelle, qui régla le systême métrique & pondéral de la Grece : Strabon (lib. V.) attribue ce mérite à Phédon d'Elide; Diogene Laerce veut que les Grecs en aient l'obligation à Pythagore; mais tout ce que fit Pythagore, ce fut de rapporter de l'Egypte, où il voyagea, des modeles de mefures plus exacts que ceux que l'on confervoit à Samos & dans les autres Ifles de la mer Egée, voisines de l'Afie, où l'on se servoit des mêmes mesures qu'en Egypte.

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CHAPITRE V I.

De la monnoie des Anciens.

A monnoie est une mesure, mais d'un autre genre que les précédentes; c'est une ingénieuse & funefte invention, moins ancienne que celle des mefures abfolues & proprement dites, moins naturelle, moins nécessaire, très-utile au commerce dont elle a rendu les opérations faciles, mais deftructive du bonheur de l'efpece humaine, en favorifant l'inégalité des fortunes.

Dans les anciens temps on ne faifoit point ce qu'on appelle des achats & des ventes; on échangeoit les marchandifes fuperflues que l'on poffédoit, contre les marchandifes fuperflues qu'un

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