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Près avoir traité affez amplement des monnoies des Anciens, il pourroit refter quelque chofe à défirer, fi j'omettois de parler de la maniere dont ces peuples faifoient valoir leur argent. Je préviens que je ne ferai prefque que tranfcrire ici ce que le favant & laborieux M. Dupuy a écrit fur cette matiere à la fuite de fon Mémoire fur l'état de la monnoie Romaine; je n'aurai guere d'autre mérite que celui d'y ajouter la théorie de l'ufure parmi nous.

Avant la renaissance des Lettres, on ignoroit jufqu'aux termes & aux expreffions dont les Grecs & les Romains avoient fait ufage en cette matiere. On ne favoit quelle idée fe former de l'ufure centieme, ni de fes parties. Hermolaus Barbarus fut le premier qui, guidé par Columelle, découvrit l'erreur des Jurifconfultes qui l'avoient précédé.

Budée fit enfuite briller à nos yeux une lumiere plus vive. Depuis lui, bien des Auteurs n'ont pas laiffé de s'égarer. Saumaife luimême, qui avoit fort étudié ce fujet, eft tombé dans quelques méprises; & aujourd'hui encore nous voyons des Ecrivains qui n'ont pas, fur cette matiere, des idées bien juftes ni bien nettes. A remonter aux temps les plus reculés, on ne voit pas que les Loix ayent ordinairement permis une ufure plus forte que la centéfime, c'eft-à-dire, d'un pour cent par mois, ou de douze par an. Car quoiqu'au rapport de Démofthenes, la femme répudiée fût autorisée par la loi de Solon, à retirer la centieme & demie de fa dot, fi le mari différoit à la lui rendre, ce cas particulier ne doit être regardé que comme une peine, qui prouve que cette efpece d'ufure n'étoit pas ordinaire. C'est à cette centélime que les Romains réduifirent tout leur calcul en ce genre: ils la regarderent comme un as ou un tout, & la foumirent ainfi à toutes les divifions reçues de l'as. L'ufure étoit-elle plus forte? l'expreffion qui la défignoit fe rapportoit toujours à la centésime. On di

foit donc la fefqui-centefime, ou l'ufure par mois d'un & demi pour cent, ou de dix-huit par an. La double centéfime (binæ centefimæ), ou celle de deux pour cent par mois, ce qui fait vingt-quatre par an; ainfi des autres. Etoit-elle plus foible? les parties de l'as, appliquées à la centéfime, en caractérifoient l'efpece; d'où l'on voit que l'ufure onciere (fienus unciarium) eft l'once, ou le douzieme de la centieme, c'est-à-dire, le douzieme d'un par mois.

On lit également dans les anciens Ecrivains ces autres expreffions, femunciarium foenus, fonus trientarium, ufura fextantes, quadrantes, trientes, quinamces, femiffes, feptunces, beffes, dodranses, dextantes, deunces. Les Grecs s'exprimerent fouvent d'une maniere femblable, τρίτη, τετάρτη, δωδεκάτη, &c. ἑκατοσῆς : & cette analogie fe remarque dans les autres efpeces d'ufure.

Pour n'avoir pas bien compris le principe fur lequel rouloit le calcul des Romains à cet égard, je ne fais combien d'Auteurs ont confondu l'ufure onciere avec la centéfime. Un Ecrivain célebre (M. de Montefquieu), que l'Europe entiere regrette, a bien vu que depuis le temps où les loix Romaines mirent un frein à l'avidité des créanciers, l'ufure onciere ne pouvoit pas fignifier un pour cent par mois, parce qu'autrement les Empereurs qui permirent l'ufure quarte, tierce, fémiffe, l'auroient fixée à trois quatre & fix pour cent par mois; ce qui fans doute eût été abfurde, comme il le dit: car les loix faites pour réprimer l'ufure auroient été plus cruelles que les ufuriers. Mais il s'eft perfuadé que dans les commencemens l'ufure onciere étoit d'un pour cent par mois, & qu'elle ne défigna un pour cent par an que longtemps après.

Examinons & tâchous d'approfondir cette théorie de l'ufure chez les Romains, en fuivant la route de celui qui n'en ayant encore aucune idée, chercheroit à en pénétrer le myftere. On voit bien en général que ufuræ unciaria déclare un intérêt d'une once; que ufuræ femiffes indique une ufure de fix onces; que ufuræ deunces fignifie une ufure de onze onces; mais nous ne voyons pas encore clair dans ce fyftême numérique. En effet, payer onze onces d'intérêt fur un as, ou les onze parties d'un tout, foit mois, foit par an, par an, cela n'eft cela n'eft pas admiffible. Ufura centefime paroît annoncer un intérêt d'un pour cent, mais eft-ce par an? eft-ce par mois? Par an, un pour cent feroit peu; par mois, un pour cent, ce feroit douze pour cent par an. L'intérêt paroît fort, mais

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il peut avoir eu lieu en certaines circonftances. Suppofant donc que ufuræ centefimæ énonce des intérêts à douze pour cent par an, on eft porté à croire que les Romains auroient bien pu tirer généralement les intérêts d'une fomme à tant pour cent par an, ou par mois, en prenant pour base de tout leur calcul un centieme ou la centieme partie de cent. Dans ce cas, il feroit très-probable qu'ils auroient confidéré comme un as, ou une unité, cette centieme partie, centefima ufura; c'est-à-dire, que fur cent ils auroient pris un, l'auroient appellé as, & qu'ils auroient divifé cet as en douze onces, comme la livre & leurs autres entiers; de maniere que centefima ufura fignifiant un ou pour cent un ou pour cent, deunces ufuræ fignifieroient pour cent, femiffes ufuræ pour cent, unciaria ufuræ pour cent, ufuræ femunciaria pour cent, le tout à raifon de l'efpace d'un mois. Ce fyftême paroît affez plausible: car fi centefima ufuræ femblent une ufure un peu forte dans cette hypothefe ; d'un autre côté, ufura unciaria paroiffent un intérêt trop modique. Mais eft-ce-là véritablement la théorie de l'usure chez les Romains? & fi ce l'eft, eft-il certain que c'étoit à raifon du mois qu'elle étoit due? Columelle (lib. 111, cap. III.), par le calcul qu'il en fait, va nous l'apprendre. Cet Ecrivain traitant de la culture de la vigne, après avoir ajouté ensemble les prix d'un esclave vigneron, de fept jugeres de de terre, des marcottes néceffaires pour le plant de ce terrein, des échalas & des ofiers, fait monter cette somme à vingt-neuf mille fefterces, dont il tire les ufuræ femiffes qu'il évalue à trois mille quatre cents quatre-vingts fefterces deux années: Fit tum in affem confummatum pretium feftertiorum xxix millium. Huc accedunt femiffes ufurarum feftertia tria millia & quadringinti octoginta numi biennii temporis, quo velut infantia vinearum ceffat à fructu. Fit in affem fumma fortis & ufurarum xxxij millium quadringentorum lxxx numorum. Prenant donc la moitié de 3480, nous aurons 1740 fefterces pour les femiffes ufurarum d'un an fur un capital de 29000 fefterces; faifant cette proportion: 29000 fefterces donnent par an 1740 fefterces d'intérêt, comme 100 fefterces donnent un quatrieme terme, c'eft 6: donc ufura femiffes exprime un intérêt à fix pour cent par an pour cent par an, & ou fix onces de l'as centéfime par mois. Voilà le développement du fyftême numérique de l'ufure chez les Romains; & je ferois furpris que l'Auteur d'un Livre intitulé: Recherches fur la valeur des monnoies & fur le prix des grains avant & après le Concile de Francfort;

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en eût imaginé un tout différent, fi dans le refte de fon Ouvrage

il m'eût paru plus judicieux, & plus inftruit des usages de l'antiquité.

Voici à préfent une Table des différentes fortes d'ufures ou d'intérêts chez les Romains.

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Il fe préfente ici une queftion qu'on peut faire fur la maniere de percevoir l'ufure chez les Romains; c'eft de favoir si le débiteur étoit obligé de payer fon créancier tous les mois, ou fi ce n'étoit qu'au bout de l'an. Car payer chaque mois, c'eft un véritable anatocifme, par comparaifon au payement ufuraire qui ne fe fait qu'au bout de l'an; c'est payer en quelque forte l'intérêt de l'intérêt, parce que le débiteur en gardant fon argent jusqu'à la fin de l'année peut le faire profiter, & en retirer lui-même une ufure proportionnée à celle qu'il paye à fon créancier fur fon capital; au lieu qu'en payant chaque mois il s'ôte cette faculté. Cette différence dans les termes du payement ne laifferoit pas que de mériter de la considération. Je fuppofe, par exemple, deux hommes également induftrieux qui ont des moyens pour faire valoir leur argent à un pour cent par mois; ces deux perfonnes font obligées chacune à une redevance annuelle de douze livres intérêt de cent livres; mais le premier eft tenu d'en faire le payement à douze termes, savoir, à la fin de chaque mois ; & le fecond

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n'eft obligé de payer qu'au bout de l'an: il eft clair que la condition de ces deux perfonnes n'est pas la même ; on trouve par le calcul que la premiere payera réellement environ deux livres onze fous cinq deniers de plus que la feconde. Columelle, dans le calcul que nous avons vu de lui, ne comprend pas les intérêts compofés; mais cela ne me paroît pas décider la question. Je ne fais fi ce que dit M. Dupuy de l'anatocifme est plus concluant fur ce qui concerne les échéances d'ufure.

On voit, dit ce Savant, par les Lettres de Cicéron à Atticus (lib. V, epift. 21 ; & lib. VI, epift. 1, 2, 3.), que l'anatocisme étoit en ufage de fon temps, & pendant qu'il fut Proconful de Cilicie; il le permet lui-même, non à la vérité pour chaque mois, mais pour la fin de chaque année; deforte que fi pour lors l'ufure centieme du prêt n'étoit pas payée, elle s'ajoutoit au principal, & produifoit dès ce moment le même intérêt. Cet anatocifme, qui ne fatisfaifoit pas Scaptius, comme Cicéron s'en plaint, fut enfuite réprouvé, avec la note d'infamie, par une loi de Dioclétien & de Maximien en 284 mais on chercha bientôt à éluder cette loi par une fubtilité. Le créancier faifoit avec le débiteur un nouveau traité, par lequel les ufures non perçues étoient incorporées au principal, comme fi c'eût été un nouveau prêt, & commençoient dès-lors à produire. Juftinien défendit abfolument de réunir au principal les ufures, foit paffées, foit à venir, & ftatua que l'ancien prêt feroit le feul qui porteroit intérêt. Tel fut le fort de l'anatocifme.

Mais ce qui prouve plus formellement qu'on payoit chaque mois l'intérêt de l'argent, c'eft le paffage fuivant de Cicéron (lib VI, Epift. ad Attic. ep. I.): Et tamen fic nunc folvitur, tricefimo quoque die talenta Attica xxxiij, & hoc ex tributis, nec id fatis efficitur in ufuram menftruam. Cela pofé, il y a une petite correction à faire à la Table précédente pour rapprocher l'ufure qui fe perçoit chaque mois, de celle qui fe perçoit chaque année.

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