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On a

sans doute un remaniement de ce texte, exécuté vers 539. cru jusqu'à ces derniers temps que le Liber Pontificalis avait été rédigé officiellement, sous l'inspiration des papes et d'après des documents autorisés. Le contraire est vrai. Si les vies du huitième et du neuvième siècle doivent être considérées comme ayant été écrites sous l'œil des pontifes et à l'aide de documents empruntés aux archives de l'Eglise romaine, il en est tout autrement des notices anciennes. « Deux raisons, dit M. Duchesne, écartent absolument toute plume trempée dans l'encre des chancelleries pontificales: d'abord le style grossier et la langue barbare de ces vies, qu'il est facile de comparer avec les lettres et autres documents contemporains rédigés par les secrétaires des papes; ensuite, comment croire que des souverains pontifes, faisant écrire sous leurs yeux une histoire de leurs prédécesseurs, eussent consenti à laisser flétrir leur mémoire ? C'est cependant ce qui est arrivé pour deux d'entre eux, Libère et Anastase II... L'auteur ne sait pas le grec et ne connaît pas l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe et de ses continuateurs; il ignore les anciens Pères latins, Tertullien, saint Cyprien, saint Augustin et saint Jérôme; il n'a même pas ouvert l'histoire ecclésiastique de Rufin ni celle de Paul Orose; les décrétales authentiques dont plusieurs, depuis Siricius, nous ont été conservées, il n'en a qu'une connaissance vague et imparfaite. C'est à peine s'il a cru devoir emprunter quelques chiffres à la chronique de saint Jérôme, » Et néanmoins le Liber Pontificalis nous a conservé des documents d'une valeur inappréciable. Quelles sont donc ses sources? D'abord nous rencontrons le Chronographe de 354. Cette collection chronologique, véritable manuel de l'habitant de Rome au quatrième siècle, qui a été l'objet d'une savante étude de M. Mommsen (Abhandlungen de l'Académie de Leipzig, I, 1850), contient un catalogue des papes jusqu'à l'avènement de Libère, en 352 (reproduit dans Lipsius et de Smedt), et était écrite de la main du calligraphe de Damase, Filocalus. Ce Catalogue libérien, qui est en partie emprunté à la chronique perdue d'Hippolyte, ajoute aux années de règne conservées par la tradition des dates consulaires qui sont sans autorité, mais il contient des détails remarquables, puisés peut-être à l'archivium de l'Eglise romaine ou aux registres de la préfecture urbaine. Le catalogue libérien forme le noyau du Liber Pontificalis, la chronologie en a été corrigée d'après la chronique de saint Jérôme. Les inscriptions dédicatoires des églises, les chartes de donations conservées sur le marbre ou sur le bronze, les sépultures pontificales, indiquées d'après la tradition, très vivante encore à la fin du cinquième siècle, et la depositio episcoporum qui se trouve dans le Chronographe de 354, telles furent, après le catalogue philocalien et avec les écrits apocryphes contemporains auxquels nous avons déjà fait allusion, et avec la littérature clémentine, les sources du Liber Pontificalis. Nous devons y ajouter certains actes de martyrs, non moins légendaires, mais qui du moins peuvent nous renseigner sur la topographie des sépultures et le culte dont elles étaient l'objet. Lorsque les renseignements de la tradition et des mo

numents se trouvent en contradiction avec les écrits populaires et apocryphes, l'auteur, il faut le reconnaître, suit la tradition de préférence à l'histoire. Quant aux données relatives à la patrie des papes, au nom de leurs pères, aux ordinations qu'ils ont faites, et surtout aux décrets que le Liber Pontificalis leur attribue, nous ne sommes pas en droit de leur reconnaître une autorité historique. Pour ce qui est des dispositions liturgiques et disciplinaires contenues dans les notices des divers papes, tout ce qu'on en peut affirmer, c'est qu'elles témoignent des usages établis dans l'Eglise romaine au commencement du sixième siècle. A cet égard, l'œuvre du compilateur inconnu de la chronique papale n'est pas, dit M. Duchesne, sans analogie avec celle du faux Isidore, et celui-ci s'est si bien reconnu dans son prédécesseur, qu'il a forgé un grand nombre de ses pseudo-décrétales sur les indications du Liber Pontificalis. A partir du commencement du sixième siècle, la rédaction du Liber Pontificalis se rapproche de plus en plus de la personne des papes. Les Vies des papes du huitième siècle surtout présentent un intérêt historique considérable; on ne peut douter, dit l'auteur que nous suivons, qu'il n'y eût, vers les années 757 à 858, dans les bureaux de la chancellerie apostolique, sinon un emploi d'historiographe, au moins une tradition d'écrire la vie des papes et certains usages sur la manière de la rédiger. De la fin du neuvième à la seconde moitié du onzième siècle, le Livre des Papes n'est représenté que par un simple catalogue. Après la renaissance hildebrandienne, le cardinal Pierre de Pisc, qui fut engagé dans le schisme d'Anaclet, rédige ou recueille par ordre des papes les vies des pontifes, de Léon IX à Pascal II (1048-1118); après lui, Pandulphe d'Alatri, lui-même cardinal et créature d'Anaclet, continue l'œuvre désormais reprise à nouveau de rédiger le Liber Pontificalis, et en l'an 1132, un bibliothécaire de Saint-Gilles, Pierre-Guillaume, transcrit, dans le manuscrit du Vatican 3762, le Livre des Papes avec les notices dues aux deux cardinaux, en y insérant une page sur Jean VIII. Plus tard, le cardinal Boson (1178) refond et continue l'œuvre de Pierre de Pise et de Pandulphe, et son recueil, inséré en 1192 par le camérier Censius, qui fut Honorius III, dans son fameux Liber Censuum (voyez-en les mss. dans Watterich I, p. LXXV; cf. Duchesne, p. 94), retouché plus tard par le cardinal d'Aragon, Niccolo Roselli (1362), figure dans le volume III des Scriptores de Muratori. On ne peut oublier, parmi les sources de ces auteurs plus récents, le livre de l'évêque hildebrandien Bonizo de Sutri. Toutes ces questions ont été tirées au clair par la critique du sobre et modeste M. Watterich, qui a publié tous les textes. Pour parler des continuations postérieures, dues à Martin le Polonais (Pertz, Scr. XXII, 1872), à Ptolémée de Lucques (1313), à Amalric Auger (1321), à Bernard Gui († 1331; voyez Delisle, Sur les mss. de B. G., Notices et Extraits des mss., XXVII, 1879), à Thierry de Niem et à Pierre de Herenthals, et de la recension du quinzième siècle, il faudrait trop étendre cette notice (voyez les textes dans Muratori, III, 2, et Baluze; les mss. dans Duchesne). Il suffira de dire que Bartolomeo Sacchi, de Piadena (nous l'appelons

Platina), a substitué au quinzième siècle son œuvre plus littéraire à l'antique Livre des Papes. S. BERGER.

LIBÈRE (352-366). Le règne de ce pape nous met en présence d'un problème des plus intéressants, tant au point de vue de l'histoire, que de la légende. Nous rechercherons d'abord l'histoire, puis nous étudierons la légende. Constance, seul maître de l'empire, avait pris énergiquement parti pour l'arianisme. Au synode d'Arles, en 353, les légats de Libère avaient eu la faiblesse de signer la condamnation d'Athanase. Libère les biâma vivement. Nous savons qu'en une autre occasion il refusa l'argent que l'impératrice Eusébia, arienne, offrait à ses pauvres. Un synode tenu à Milan en 355 ayant encore condamné Athanase, Libère qui refusait d'y souscrire, fut conduit devant l'empereur et exilé à Bérée en Thrace, et Félix, diacre de l'Eglise romaine, fut nommé évêque de Rome par l'empereur. Pendant l'exil de Libère, les semi-ariens surent gagner Constance à leur cause. Celui-ci étant venu à Rome, l'indignation publique obtint de lui le rappel de Libère. On lui expose que les églises de Félix sont vides. L'empereur, disent les historiens, aurait voulu que les deux évêques demeurassent l'un à côté de l'autre : « C'est bien! s'écria le peuple, nous aurons donc deux partis, comme au cirque, et chacun aura son évêque» (Théodoret, II, 17; Socrate, II, 37; Sozomène, IV, 15; Sulpice Sévère, Hist. sacra, II, éd. de Vienne). Néanmoins Libère ne revint qu'un an après, et en achetant le retour au prix d'un acte qui, d'après le meilleur des historiens, Hefele (Conciliengesch., I, 2° éd.. 1873), « a fait peser sur lui le soupçon de l'apostasie. » Libère a-t-il signé un credo semi-arien ? Les défenseurs du pape (Stilting, A 4. SS., 23 sept., VI; Zaccaria, Diss. de commentitio Liberii lapsu; Palma, Prælect. Hist. eccl., I, 2, R., 1838; cf. Reinerding, Beitr. 3. Hnoriusu. Liberius frage, 2" éd., Münster, 1870) font remarquer que plusieurs auteurs ne parlent d'aucune condition et d'aucune faiblesse. Mais Athanase (Hist. Arianor. al monachos, c. 41) dit formellement : « Après deux ans d'exil,il faiblit,oxλzce, et signa, par peur de la mort. »> Dans l'Apologia contra Arianos, c. 89, il dit encore: « Quand même il n'a pas supporté jusqu'à la fin les peines de l'exil... » Les apologistes soutiennent que ces passages sont interpolés, mais les critiques ont pour eux l'autorité du bollandiste Papenbroek, qui a reconnu (AA. SS., mai, I), que s'il y a addition, elle provient d'Athanase lui-même. Saint Hilaire de Poitiers dit avec plus de force encore, en invectivant l'empereur: «N'était-ce pas une plus grande impiété de rappeler Libère que de l'exiler? O te miserum, qui nescio utrum majore impietate releg veris, quam remiseris!» D'après Sozomène, l'évêque accepta, au troisième. synode de Sirmium (358), le livre des semi-ariens, c'est-à-dire le symbole du synode semi-arien d'Antioche (341), qui condamna Athanase; il repoussa le mot d'homoousios, qu'on lui présenta comme un prétexte pour l'hérésie, et se borna à maintenir formellement l'homéousie, c'est à-dire l'affirmation que le Fils est semblable (et non égal) au Père en toutes choses: le tout, nous dit-on, sans quitter l'orthodoxie pour le fond même. Désormais, Libère entretint la com

munion avec les semi-ariens. Saint Jérôme, dans sa Chronique, s'exprime sur Libère avec moins de ménagement (éd. Schoene, p. 194; cf. Catal., c. 97): « Libère, vaincu par l'ennui de l'exil, souscrivit à l'hérésie, in hæretica pravitate suscribens. » Ces témoignages ne peuvent être écartés. Nous renverrons à Hefele, qui a été jusqu'ici notre guide, pour la discussion de certaines lettres prétendues de Libère, qui se trouvent dans les fragments IV et VI conservés dans les OEuvres de saint Hilaire. Ces documents, qui tendraient à présenter Libère comme lâchement arien, et de longue date, sont apocryphes, au jugement de notre auteur (cf. Hefele, Quartalschrift, 1853). Nous abordons maintenant la légende. Le liber Pontificalis, pour commencer par ce document qui a fait la loi à l'histoire (et à partir de maintenant nous suivons la déduction de M. Duchesne, El. sur le Lib. Po t.. 1877, p. 181), contient sur l'exil de Libère et la retraite de Félix II, qui y trouve place comme pape légitime, un récit contraire à tous les témoignages de l'histoire : « Après le départ de Libère et avec son agrément, le clergé romain élit pour le remplacer le prêtre Félix, qui ne tarde pas à excommunier deux prêtres, Ursace et Valens (c'est le nom de deux célèbres évèques ariens), convaincus d'être d'accord avec Constance. Ceux-ci intriguent alors auprès de l'empereur, et parviennent à faire rappeler Libère, qui revient en effet de l'exil, et fait d'abord quelque séjour au cimetière Sainte-Agnès, puis finit par rentrer à Rome. Des prêtres et des diacres sont massacrés en voulant s'opposer à son rétablissement sur le siège pontifical. Cependant Félix, retiré dans une propriété qu'il possède sur la Voie de Porto, y meurt tranquillement le 29 juillet. »> » Il nous suffira de dire que cette légende, devenue presque officielle, mais qui contient encore d'autres contradictions, telles que deux récits différents et opposés de la mort de Félix, est extraite de deux apocryphes, les Gesta Liberii Papæ (à la fin du recueil de Coustant, Ep. Rom. Pont.) et les Acia Eusebii presbyteri (dans les 4A. SS., août, III). M. de Rossi (R. Sott, II, p. 107) et M. Duchesne ont démontré comment cet'e histoire a été fabriquée d'après des monuments et des inscriptions apparentes encore au commencement du sixième siècle, et cela, au milieu de la compétition de Symmaque et de Laurentius. Il serait trop long de faire voir comment la confusion de Félix avec un saint inconnu de la Voie de Porto a prêté à la formation de la légende. Avant que le Liber Pontificalis, ce document par trop. légendaire, lavât l'antipape Félix du reproche d'hérésie et de schisme, on avait admis, à Rome, le rival de Libère dans le catalogue des papes légitimes; son portrait fut placé entre ceux de Libère et de Damase, dans la série des médaillons des papes, peinte vers 500 sur les murs de la basilique de Saint-Paul. «En cherchant, dit M. Duchesne, sur quelle autorité on a pu se fonder pour 1 y introduire, je n'en vois d'autre que la Chronique de saint Jérôme, où Félix est dit (1. 1.) avoir occupé le siège romain pendant un an. » Saint Jérôme, il faut le dire, n'est peut-être pas impartial. Il avait été secrétaire de Damase, et dans les tristes scènes de violence qui marquèrent le commencement du règne de ce pontife, qui

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comptait parmi ses électeurs les sectateurs de Félix, Damase fut accusé par les partisans outrés de Libère, les lucifériens, de trop de douceur pour ceux qui revenaient de l'hérésie; en tous cas, il se peut que Damase ait particulièrement ménagé la mémoire de Félix. C'est ainsi que la légende a fait de l'antipape un pape; la fraude en a fait un saint. Après que Baronius avait démontré que Félix n'a été ni saint ni pape, il se trouva, en 1582, sous un autel de l'église de SaintCôme et Saint-Damien, un corps avec une inscription qui disparut bientôt après avoir été découverte Corpus s. Felicis Papæ et martyris qui condemnavit Constantium. Baronius et les cardinaux s'inclinèrent devant ce témoignage, et c'est ainsi que Félix II trouva sa place dans le martyrologe corrigé. P.-A. Paoli a composé en 1790 un livre de 400 pages (Di S. Fel. II, R., in-4°) pour démontrer la légitimité de Félix, tout en justifiant Libère. Comparez Tillemont II, et Dællinger, Papstfabeln, Munich, 1863.

S. BERGER.

LIBERTÉ. Il n'est pas de mot de la langue philosophique qui prête plus à l'équivoque que le mot de liberté. Une simple remarque le prouve: de tous les grands philosophes qui se sont succédé, depuis Socrate jusqu'à Hegel, il n'en est pas un qui ne parle de liberté, qui ne prétende faire, dans son système, une place à la liberté. Or combien en est-il qui admettent réellement la liberté, cette liberté que le sens commun affirme, tout en étant incapable de la bien définir? Il est aisé de les compter: Aristote et Epicure dans l'antiquité, Descartes et Kant dans les temps modernes. Encore y aurait-il bien des réserves à faire au sujet de ces deux derniers. Il importe donc au plus haut point de bien distinguer les différentes acceptions possibles du mot liberté. 4. Liberté naturelle ou droit naturel: c'est l'ensemble des droits que l'homme tient de sa nature (liberté de la personne, liberté des actions, etc...). C'est cette liberté que Rousseau, le premier peut-être, affirme si nettement dans la discussion célèbre par laquelle débute le Contrat Social. « Un peuple, avait dit Grotius, ne peut-il pas, comme un particulier, aliéner sa liberté et se rendre esclave d'un maître? Non, répond Rousseau renoncer à la liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de la liberté, même à ses devoirs... Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme. » Après Rousseau, c'est Kant qui a le mieux compris la nature et le fondement de cette liberté. « L'homme, écrit-il dans la Métaphysique des mœurs, et, en général, toute créature raisonnable existe comme « fin en soi », et non pas seulement comme « moyen » pour l'usage arbitraire de telle ou telle volonté. Les objets de nos inclinations n'ont qu'une valeur conditionnelle et relative, celle de moyens c'est pourquoi on les appelle des « choses. » Au contraire, on donne le nom de « personnes » aux êtres raisonnables qui ne peuvent être employés comme moyens, et qui, par conséquent, restreignent la liberté de chacun et lui sont un objet de respect. Tout l'esprit de la philosophie morale du dix-huitième siècle se trouve en résumé dans ces deux passages. 2. Liberté civile: c'est la consécration par les lois de la liberté naturelle. L'homme possède la liberté

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