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Coligny, elle le représentait dans la gestion du patrimoine commun et dans la répartition de libéralités largement affectées, sous diverses formes, à l'exercice d'un bienfaisant patronage. — L'austère épreuve que traversaient les deux époux leur concilia de nobles sympathies; Calvin les soutint par sa correspondance: « Madame, écrivait-il à Charlotte, si la tristesse que vous avez reçue de la prise de monsieur votre mary a esté dure et amère, toutesfois j'espère que vous aurez desjà en partie cogneu par ce fruict, que Dieu ne vous a point envoyé une telle affliction que pour votre bien et salut; et voilà ce qui doit adoucir toutes nos fascheries, pour nous rendre patiens et pour nous assubjectir paisiblement à la bonne volonté de Dieu : c'est de cognoistre que non seulement il examine nostre foy, mais aussy, qu'en nous retirant des allèchements et délices du monde, qui nous trompent, il nous fait gouster sa bonté, nous fait sentir son ayde et nous recueille comme sous ses ailes... Je supplie nostre bon Dieu de vous tenir en sa saincte garde, vous gouverner par son esprit, vous augmenter en tous biens spirituels et vous fortifier en constance invincible. >> Vers la fin de 1558, Coligny fut autorisé à traiter de sa rançon s'il en avait le moyen; après quoi, il serait statué sur son sort. Les exigences relatives au chiffre de cette rançon étaient énormes il fallut les subir, et, pour y satisfaire, réunir à grand peine les cinquante mille écus d'or au soleil que le cupide duc de Savoie demandait. Charlotte de Laval se chargea de ce soin; et pour suppléer à l'insuffisance des seules ressources que présentât alors la fortune de son mari, elle s'empressa de faire appel, de sa part, aux vassaux relevant des terres et seigneuries qu'il possédait en Bresse, en Bourgogne et en Gâtinais. Tandis que se tenaient, au CateauCambrésis, les conférences dans lesquelles des courtisans intéressés, tels que le connétable, Saint-André et Charles de Lorraine secondaient servilement les vues d'intolérance et de dépression personnelle de leur souverain, Coligny, fidèle à son Dieu et à sa patrie, rentrait en France tête levée, l'honneur intact, et le cœur ému à la pensée de serrer bientôt dans ses bras sa femme et ses enfants. Quel jour béni, que celui où le château de Châtillon fut témoin des touchantes scènes du revoir! Si la solennelle épreuve d'une longue captivité subie à l'Ecluse et à Gand avait contribué à mûrir la piété de l'amiral, elle n'avait pas moins influé sur le développement spirituel de sa digne compagne, « dame des plus chrestiennes et vertueuses quy ayent esté de son temps. » Lorsque, au terme de cette épreuve, les deux époux furent rendus l'un à l'autre, et qu'ils purent, dans d'intimes entretiens, donner un libre cours à la mutuelle expression de leurs sentiments religieux, ils eurent la joie de reconnaître que leurs cœurs étaient à l'unisson devant Dieu. Plus leur était précieux le privilège d'une communauté de convictions et de suprêmes espérances, plus impérieuse apparut à leurs yeux l'obligation de professer publiquement la foi qui les animait. Or, en présence des événements contemporains, les plus grands dangers s'attachaient à l'accomplissement de cette obligation sacrée. Prêt à affronter,

quant à lui, ces dangers, dont il avait une pleine connaissance, Coligny ne pouvait consentir à ce que Charlotte de Laval, qu'il supposait les ignorer en partie, s'y exposât sans en avoir préalablement mesuré, de sang-froid, l'étendue. Plein de sollicitude pour elle, il désirait que rien, à cet égard, ne fût précipité, ni dans les appréciations auxquelles elle se livrerait, ni dans la résolution définitive à laquelle elle croirait devoir s'arrêter. Aussi avait-il, plus d'une fois, opposé aux élans de son zèle, qu'il admirait, une hésitation, une froideur apparente qu'elle ne s'expliquait pas et qu'elle cherchait à dissiper par d'affectueuses paroles et par une touchante insistance, qu'accompagnaient de délicats ménagements, quand enfin il sortit de la réserve dans laquelle il s'était maintenu jusque-là. «Se voyant estre sy souvent et avec tant d'affection pressé d'elle, il résolut de lui en parler une seule fois, comme il feit, luy représentant bien au long, que depuis tant d'années il n'avoit veu ny ouy dire qu'aucun, soit en Allemagne (Angleterre) ou en France, qui eût fait profession ouverte de la religion, ne se fûst trouvé accablé de maux et de calamitez; que par les édits des roys François Ier et Henri II, rigoureusement observez par les parlemens, ceux qui en estoient convaincus devoient estre bruslez vifs, à petit feu, en place publique, et leurs biens confisquez au roy. Toutesfois, si elle estoit disposée avec tant de confiance à ne refuser la condition commune de ceux de la religion, que, de son côté, il ne manqueroit point à son devoir. Sa response fut que ceste condition n'estoit pas autre que celle qui avoit toujours esté en l'Eglise de Dieu, et ne doubtoit point qu'elle n'y demeurast jusques à la fin du monde. Ensuite de quoy, ils se donnèrent la foy l'un à l'autre. » Tel est, dans son expressive simplicité, le récit d'un homme qui, parfois accueilli sous le toit hospitalier de Coligny et de Charlotte de Laval, connut de près leur vie de famille et qui nous a transmis divers détails d'un haut intérêt sur leurs habitudes de piété. Résolus, d'un commun accord, à tout sacrifier pour rendre à Dieu, soit dans le secret du foyer domestique, soit au dehors, devant les hommes, le culte en esprit et en vérité qui lui était dù, Coligny et sa compagne confondirent leurs aspirations et leurs efforts, sur le seuil d'une même voie à suivre, et aussitôt, au château de Châtillon, retentit l'écho de cette parole des anciens temps : « Pour moi et ma maison, nous servirons l'Eternel. » La foi chrétienne qui, chez les maîtres de ce château, se traduisait par de pieuses habitudes, ne pouvait manquer d'être, en même temps, « opérante par la charité. » Soin des pauvres, des malades, des affligés de toutes sortes, secours assurés à la vieillesse, services rendus à quiconque, réclamant un généreux appui, méritait de l'obtenir, moyens d'instruction libéralement mis à la portée de l'enfance et de la jeunesse, diffusion de l'enseignement religieux tels furent les principaux aspects sous lesquels se manifesta la vertu par excellence que Gaspard et Charlotte s'appliquèrent constamment à pratiquer, à Châtillon et dans leurs autres domaines du Gâtinais, comme ailleurs. La pieuse et ferme attitude que venaient de prendre l'amiral et sa femme, comme chefs de

famille chrétiens, ieur franche profession de la religion réformée, à la vue de leurs vassaux, les bienfaits répandus sur ceux-ci, furent autant de sujets d'encouragement pour des frères tels que d'Andelot et Odet, pour des sœurs telles que la comtesse de Roye et Claude de Rieux, pour des neveux et nièces tels que le prince et la princesse de Condé, le comte et la comtesse de Larochefoucauld, qui tous avaient voué une affection profonde et accordé une confiance illimitée à Coligny et à Charlotte de Laval. L'influence de l'exemple donné par ces derniers s'étendit rapidement du cercle de leur famille à celui de leurs amis, et resserra même les liens qùi unissaient à l'amiral des hommes tels, notamment, que Soubize, Rohan, Antoine de Croy, Briquemault, Téligny, Lanoue, et à Charlotte de Laval, des femmes telles, entre autres, que MMmes de Soubize, de Rothelin, de Crussol, de Seninghen, de Montpensier. Jamais, peut-être, la foi de Gaspard et de Charlotte ne se manifesta avec plus de simplicité et d'énergie, qu'aux heures du danger; en voici un premier exemple. Voulant, à Orléans, en 1560, se défaire d'autres personnes encore que de Condé, les Guises avaient organisé un vaste système de compression morale et matérielle, qui devait entraîner finalement, ici par l'assassinat, là par des condamnations arbitraires, la perte de la vie pour des hommes considérables, tels que le roi de Navarre, les Châtillons et le connétable, unis à Louis de Bourbon par des liens de famille. A la destruction du prince, de sa femme et de ses parents, les Lorrains se proposaient d'ajouter celle de tous les réformés français, à quelque rang de la société qu'ils appartinssent. L'histoire a conservé la trace de ces projets atroces. Tramés de longue date, ils avaient été, .en dernier lieu, définitivement arrêtés à Orléans, théâtre désigné de l'exécution sanglante qui devait inaugurer tant d'autres forfaits. Ils étaient, sinon positivement connus de Coligny, du moins pressentis par lui, à Châtillon-sur-Loing, au moment où il y apprit l'arrestation de sa sœur et celle du prince. Aussitôt, sans illusion sur le sort qui l'attendait à Orléans, il résolut de se rendre dans cette ville. «< Au partir de sa maison, il ne voulut dissimuler à sa femme le danger où il s'allait envelopper, sans en attendre aucune bonne issue pour son corps, selon l'apparence humaine, disant toutesfois avoir telle confiance en Dieu, qu'il auroit pitié de sa pauvre Eglise et du royaume, exhortant ladite dame, ensemble sa famille, de demeurer constans en la doctrine de l'Evangile, où ils avoient esté droitement enseignez, puisque Dieu leur avoit fait connoistre que c'estoit la vraye et certaine pasture céleste, estimant ne pouvoir recevoir plus grand heur que de souffrir pour son saint nom. Au reste, il enchargea très estroitement à ladite dame, soit qu'elle entendist sa prison ou sa mort, de ne laisser à poursuyvre sa course, et de faire baptiser son enfant duquel elle estoit enceinte et preste d'accoucher, en l'Eglise réformée, et par les vrais ministres de la parole de Dieu, et que plustôt elle endurast la mort, que de souffrir iceluy estre pollué aux superstitions de la papauté. Somme, il luy disoit que si elle demeuroit ferme en cette résolution, elle en devoit espérer bonne issue mesmement que

Dieu avoit accoustumé de desployer ses merveilles lorsque les hommes avoyent perdu toute espérance de salut et de vie. Voilà quel fut son partement de sa maison. » La mort de François II ruina les projets des Guises; et, lorsqu'après la session des Etats généraux, la cour quitta Orléans pour se transporter à Fontainebleau, où elle arriva le 5 février 1561, Coligny se rendit à Châtillon. Il lui tardait de s'y retrouver auprès de Charlotte de Laval et d'appeler, de concert avec elle, les bénédictions de Dieu sur le fils auquel, le 24 décembre précédent, elle avait donné le jour. Le baptême de cet enfant eut lieu dans les premiers jours de février 1561, selon le rite usité à Genève. Catherine de Médicis cherchait alors un point d'appui contre les Guises dans la noblesse réformée; et, pour mieux se la concilier, elle commença à tolérer, de sa part, l'exercice public du culte sur divers points du royaume. Elle fit plus, à Fontainebleau, dès l'arrivée dans cette ville de Coligny et de sa femme, du prince et de la princesse de Condé et de Renée de France, duchesse de Ferrare; elle laissa ces hauts personnages tenir ostensiblement des réunions affectées à la célébration de leur culte, dans les parties du château qu'ils occupaient. Le même fait se reproduisit, lors du colloque de Poissy, avec plus de suite et d'éclat, au château de Saint-Germain. Le culte réformé s'y célébra, portes ouvertes dans les appartements de Coligny, de Condé et de la reine de Navarre. Ces appartements étaient autant de centres d'activité religieuse vers lesquels convergeaient tour à tour la noblesse protestante, les ministres et délégués des Eglises, et nombre d'autres personnes de conditions diverses, auxquelles le seul titre de coreligionnaires assurait d'avance, de la part de leurs hôtes, un bienveillant accueil. L'amiral et sa femme consacraient sans relâche leur temps et leurs forces à l'accomplissement des devoirs que leur imposait la profession de l'Evangile. Ils recevaient de Calvin des lettres sympathiques. L'une d'elles, adressée à madame l'amirale, contenait ces mots : « Je n'ay pas laissé de remercier Dieu de ce qu'il a tellement continué sa grâce en vous, qu'au milieu de beaucoup de tentations et grandes difficultés vous avez constamment persévéré en son service, voire pour estre un exemple et patron à ceux qui estoient trop foibles et timides. » Les douces joies du foyer domestique, que la rigueur des circonstances permit trop rarement à Coligny de goûter, surtout dans la dernière partie de son héroïque carrière, ne lui furent pas refusées, lors du colloque. S'il était, à cette époque, privé de la satisfaction de voir d'Andelot qu'un deuil récent retenait en Bretagne, il jouissait du moins de la présence à ses côtés de Mme l'amirale et de ses enfants, de celle du cardinal de Châtillon, de la comtesse de Roye, de ses filles, de Condé et de Larochefoucauld. Profondément attaché à sa • sœur, il étendait à ses deux nièces l'affection qu'il avait vouée à leur mère. Charlotte de Laval suivait, à l'égard de toutes trois, son exemple. Aussi, d'incessantes communications avaient-elles lieu, au château, entre les divers membres, si fortement unis les uns aux autres, d'une famille dont l'amiral était le chef vénéré. Toutes les pensées

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échangées par ces belles âmes, au sein d'une confiance réciproque, avaient pour but le soulagement des maux qu'endurait la France, l'éloignement des périls qui la menaçaient, et le pacifique triomphe de la liberté religieuse. L'édit du 17 janvier 1562 consacra en partie ce triomphe c'en était trop pour les Guises et leurs suppôts qui y insultèrent par le massacre de Vassy et déchaînèrent sur la France le fléau de la guerre civile. Condé, contraint de quitter Paris, venait de prendre le chemin de Meaux. « D'autre costé, dit le véridique d'Aubigné (Hist. univ., liv. III, ch. 11), que nous tenons à laisser parler ici, s'estoient assemblez à Chastillon-sur-Loing, près l'amiral, le cardinal d'Andelot, ses frères, Genlis, Boucard, Briquemaut et autres pour le presser de monter à cheval. Ce vieil capitaine trouvoit le passage de ce Rubicon si dangereux, qu'ayant par deux jours contesté contre cette compagnie, et par doctes et spécieuses raisons rembarré leur violence, il les avoit estonnez de ses craintes, et n'y avoit comme plus d'espérance de l'esmouvoir, quand il arriva ce que je veux donner à la postérité, non comme un intermèze de fables bien séantes aux poètes seulement, mais comme une histoire que j'ai apprise à ceux qui estoient de la partie. Ce notable seigneur, deux heures après avoir donné le bonsoir à sa femme, fut resveillé par les chauds soupirs et sanglots qu'elle jettoit; il se tourna vers elle, et après quelques propos, il lui donna occasion de parler ainsi : « C'est à grand regret que je trouble vostre repos par mes inquiétudes; mais estans les membres de Christ déchirez comme ils sont, et nous de ce corps, quelle partie peut demeurer insensible? Vous n'avez pas moins de sentiment, mais plus de force à le cacher. Trouverez-vous mauvais de vostre fidelle moitié si, avec plus de franchise que de respect, elle coule ses pleurs et ses pensées dans vostre sein? Nous sommes ici couchez en délices, et les corps de nos frères, chair de nostre chair et os de nos os, sont les uns dans les cachots, les autres par les champs, à la merci des chiens et des corbeaux. Ce lict m'est un tombeau, puisqu'ils n'ont point de tombeaux; ces linceux me reprochent qu'ils ne sont pas ensevelis. Pourrons-nous ronfler en dormant, et qu'on n'oye pas nos frères aux soupirs de la mort? Je me remémo:ois ici les prudents discours desquels vous fermez la bouche à messieurs vos frères; leur voulezvous aussi arracher le cœur et les faire demeurer sans courage comme sans response ? Je tremble de peur que telle prudence soit des enfants du siècle, et qu'estre tant sage pour les hommes ne soit pas estre sage à Dieu qui vous a donné la science de capitaine. Pouvezvous en conscience en refuser l'usage à ses enfans? Vous m'avez advoué qu'elle vous resveilloit quelquefois : elle est le truchement de Dieu. Craignez-vous que Dieu vous face coulpable en le suivant? L'espée de chevalier que vous portez est-elle pour opprimer les affligez ou pour les arracher des ongles des tyrans? Vous avez confessé la justice des armes contre eux pourroit bien vostre cœur quitter l'amour du droict pour la crainte du succez? C'est Dieu qui osta le sens à ceux qui lui résistèrent, sous couleur d'espargner le sang; il sait sauver l'âme qui se veut perdre, et perdre

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