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l'âme qui se veut garder. J'ai sur le cœur tant de sang versé des nostres ce sang et vostre femme crient au ciel vers Dieu, et en ce lict, contre vous, que vous serez meurtrier de ceux que vous n'empeschez point d'estre meurtris. - L'admiral respond : Puisque je n'ai rien profité par mes raisonnements de ce soir sur la vanité des esmeutes populaires, la douteuse entrée dans un parti non formé, les difficiles commencemens, non contre la monarchie, mais contre les possesseurs d'un estat qui a ses racines envieillies, tant de gens intéressez à sa manutention, nulles attaques par dehors, mais générale paix, nouvelle et en sa première fleur, et, qui pis est, faicte entre les voisins conjurez, et faicte exprès à nostre ruine; puisque les défections nouvelles du roi de Navarre et du connestable, tant de forces du costé des ennemis, tant de foiblesse du nostre, ne vous peuvent arrester, mettez la main sur vostre sein, sondez à bon escient vostre constance, si elle pourra digérer les desroutes générales, les opprobres de vos ennemis et ceux de vos partisans, les reproches que font ordinairement les peuples quand ils jugent les causes par les mauvais succez, les trahisons des vostres, la fuite, l'exil en païs estranger, là les choquemens des Anglais, les querelles des Allemans, vostre honte, vostre nudité, vostre faim, et, qui est plus dur, celle de vos enfans: tastez encores si vous pouvez supporter vostre mort par un bourreau, après avoir veu vostre mari traîné et exposé à l'ignominie du vulgaire, et, pour fin, vos enfans infâmes valets de vos ennemis accreus par la guerre, et triomphans de vos labeurs : je vous donne trois semaines pour vous esprouver; et, quand vous serez à bon escient fortifiée contre tels accidens, je m'en irai périr avec vous et avec nos amis. L'admirale répliqua Ces trois semaines sont achevées! vous ne serez jamais vaincu par la vertu de vos ennemis; usez de la vostre, et ne mettez point sur vostre teste les morts de trois semaines je vous somme, au nom de Dieu, de ne nous frauder plus, ou je serai tesmoin contre vous en son jugement! - D'un organe bien aimé et d'une probité esprouvée, les suasions furent si violentes, qu'elles mirent l'admiral à cheval pour aller trouver le prince de Condé et aultres principaux chefs du parti à Meaux. » Sept ans plus tard, Coligny consignait dans un testament mémorable ces paroles, qui, à elles seules, constituaient un sincère hommage rendu aux conseils et aux pressantes instances de son héroïque et fidèle compagne : « Je proteste que le seul zèle de religion m'a faict prendre les armes (en 1562), avecque ce que je craignois ma vie; et fault que véritablement je confesse mon infirmité, que la plus grande faulte que j'ay toujours faicte en cela, c'est que je n'ay pas assez ressenti les injustices et meurtres que l'on faisoit de mes frères. » — Dès le début de l'occupation d'Orléans par les chefs réformés, Charlotte de Laval vint sur la recommandation de son mari, dans cette ville avec ses enfants. Son fils aîné, Gaspard, faisait toute sa joie et celle de l'amiral, par le développement précoce de son intelligence et de son cœur, par sa piété touchante et ses qualités aimables. Sur lui reposaient leurs plus douces espérances, auxquelles, en un point surtout, s'associaient.

celles de leurs intimes amis, M. et Mme de Soubize, dont la fille, Catherine, était fiancée à ce fils chéri. Tout à coup il succomba aux atteintes d'un épouvantable fléau qui venait d'éclater à Orléans. Ecoutons Coligny, tout brisé qu'il est, ainsi que sa femme, par une émotion indicible, exhorter Charlotte de Laval à la résignation; il l'a quittée récemment; il est au camp, sous satente, en face de l'ennemi; c'est de là qu'il lui écrit : « Encores que tu ayes raison de supporter avec douleur la perte de nostre fils bien-aimé, si pourtant suis-je obligé de te rémémorer qu'il estoit plus à Dieu qu'à nous : et puisqu'il a voulu le retirer à soi, c'est à toi et à moi à obéir à sa sainte volonté. Il est vrai qu'il estoit déjà amateur du bien, et que nous pouvions espérer grande satisfaction d'un fils tant bien né; mais rémémore-toi, ma bien-aimée, qu'on ne peut vivre sans offenser Dieu, et qu'il est bien heureux d'estre mort dans un âge où il estoit exempt de crime. Enfin, Dieu l'a voulu; je lui offre encore les aultres, si c'est son vouloir; fais-en de même, si tu veux qu'il te bénisse, car c'est en lui que nous. devons mettre tout nostre espoir. Adieu, ma bien-aimée; j'espère te voir dans peu, qui sera toute ma joie. >> Charlotte de Laval se reprit à l'existence comme s'y reprend, sous le coup d'une immense épreuve, toute âme chrétiennement résignée, que pénètrent le sentiment du devoir et la filiale confiance en la miséricorde divine. Pendant quatre mois et demi, de juillet à novembre 1562, Orléans fut le théâtre de scènes de souffrance et de deuil, au milieu desquelles se déploya, dans une sphère d'activité incessante, la charité évangélique. Au premier rang des femmes qui, sous son inspiration, prodiguèrent leurs soins et leurs consolations aux malades, aux mourants, figurèrent Mme l'amirale et sa nièce, la princesse de Condé. Aux désastres d'une cruelle épidémie succédèrent, à Oriéans, les rigueurs d'un siège. La défense de la place avait été confiée à d'Andelot qui, miné par la fièvre, n'en opposait pas moins aux efforts des assiégeants une énergique résistance. Le soin des pauvres, des blessés, des malades, et la direction de l'assistance spirituelle étaient plus particulièrement le partage de Charlotte de Laval et d'Eléonore de Roye, qui, l'une et l'autre, malgré l'état chancelant de leur santé, se prodiguaient au dehors et utilisaient, pour le bien commun, l'auxiliarité de plusieurs femmes dévouées, qui s'inspiraient de leurs nobles exemples. La conclusion de la paix d'Amboise ramena l'amiral à Orléans. Au bout de quelques jours, accompagné de sa femme, de ses enfants, de ses jeunes neveux et de d'Andelot, leur père, il se retira dans son domaine de Châtillon. Il en reprit possession, en chef de famille et en seigneur chrétien, participant avec les siens à la saintecène le jour de Pâques, et imprimant presque aussitôt, pour l'avenir, une consécration religieuse à l'exercice de la justice seigneuriale dont il était investi. Quatre années s'écoulèrent durant lesquelles Charlotte de Laval, à dater du printemps de 1563, résida avec continuité au château de Châtillon et eut le bonheur d'y posséder son mari, qui ne s'en absenta que lorsque de graves circonstances lui en firent une loi. Entre Renée de France, habitant alors son château de Montargis,

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et Charlotte, ainsi que Coligny, existaient des relations suivies, dont témoigne la correspondance, à peu près inconnue jusqu'ici, de ces derniers. L'amiral, tout en traitant de graves sujets avec Renée, lui donnait, avec un confiant abandon, des nouvelles « de tout son petit mesnage. » Un jour, en l'absence de son mari, Charlotte écrivait à la duchesse: « Je vous remercie très humblement de ce qu'il vous plaist me visiter si soigneusement. J'espère, Dieu aidant, après ces festes, aller moy mesme vous remercier de tant d'honneur et d'obligation que me faictes. Cependant, madame, je vous diray que j'ay esté bien fort ayse d'avoir entendu des nouvelles de M. l'amyral, et, pour l'expérience que nous avons eue de l'assistance de Dieu jusqu'à maintenant, cela fait que nous nous remectons du tout en Dieu de toutes nos affaires. » Dans d'autres lettres, Charlotte parlait à la duchesse de ses enfants, de sa santé devenue languissante, de certains évenements du jour, ou recourait à sa bienveillance en faveur de quelque infortuné. Ses recommandations étaient essentiellement simples et touchantes; en voici un exemple : « Madame, ceste pauvre femme, qui est de ce lieu, grandement affligée d'une maladie dont elle en a perdu un œil, se retirant à Montargis, sur la promesse de quelque personnage dudit lieu de la guérir ou donner allègement à son mal, m'a requis, avec quelque moïen que je luy ai donné, de la vouloir accompaigner de ceste lettre, pour vous supplier très humblement qu'il vous plaise d'user, en son endroict, de vostre bonté et charité accoustumée. Je vous puis bien asseurer, madame, que la pauvre femme a toujours vescu honnestement; mais, comme l'on se trouve bien souvent environné des afflictions qu'il plaist à ce bon Dieu envoier, et sans y penser, ainsy elle s'est trouvée saisie de ceste calamité, qui est si grande, que l'aulmosne qu'il vous plaira luy faire sera fort bien emploiée; et, parce que je m'asseure que les pauvres affligez se ressentent continuellement de vostre largesse, ceste recommandation y servira de quelque chose. » - Amie fidèle, Charlotte de Laval savait souffrir et pleurer avec ses amis affligés ; elle savait aussi les consoler. La preuve en est dans ces lignes adressées, le 12 septembre 1566, à Mme de Soubize, devenue veuve : « Je crois que ne doubtez point combien les nouvelles que nous avons eues de la visitation et affliction qu'il a pleu à Dieu de vous envoyer, et à nous aussy, nous ont esté ennuyeuses; car, après vous, il n'y a personne qui l'ait avec occasion plus ressentie, pour estre l'amitié entre nous non point seulement d'amis, mais de frères, si elle ne peult estre meilleure ne plus grande. Je vous prieray donc, madame, croire que je voudroys que nous fussions un peu plus près voysines, car moy mesmes m'iroys offrir et essayer à vous servir et assister de tout ce qui seroit en ma puissance. Ce que je vous offre par ceste lettre, j'aimeroys beaucoup mieulx vous le pouvoir dire et monstrer par effet que le vous escrire. Disposez donc de tout ce qui y est, pour en faire comme du vostre propre. Je m'assure, madame, que Dieu vous assiste de telle façon, et tant de gens de bien, que vous pratiquez la doctrine que Dieu nous donne, de telle sorte qu'en faites

vostre proffit en ceste affliction, et qu'après avoir senti la force qu'a encore la chair sur nous, vous retournerez à cognoistre que Dieu vous est père et qu'il visite ses enfants comme il luy plaist, et qu'il ne fault point murmurer contre luy, mais recognoistre que nous sommes ses créatures, et nous mettre entre ses mains pour non seulement marchander à Dieu, mais afin qu'il dispose de nous entièrement; et il est si bon et si sage, qu'il sçaura mieulx ordonner de nous que nous ne ferions nous-mesmes, » etc., etc. La seconde guerre civile, provoquée par les ennemis de la Réforme, imposa à Coligny et à sa femme une nouvelle séparation : tous deux se rendirent là où les appelait le devoir. --- En 1568, tandis que l'amiral était à la tête de ses troupes, Charlotte de Laval se trouvait avec ses enfants à Orléans, où elle prodiguait ses soins aux soldats blessés ou malades qu'on y avait amenés. En présence du typhus qui sévissait parmi eux, son dévouement, déjà si grand, sembla s'accroître encore. Le 12 février, elle écrivit à Renée de France, pour lui rendre compte de ce qu'elle avait fait dans l'intérêt de deux protégés de cette princesse; peu de jours après elle tomba malade, et, le 3 mars, elle rendit le dernier soupir. Un contemporain, digne de foi, rapporte à ce sujet ce qui suit : « Durant qu'il était occupé au siège de Chartres, l'amiral, étant averti, soudain partit du camp et emmena tous les médecins qu'il put, qui lui vint rendre toute l'assistance d'un affectionné et fidèle mary; mais voyant que tous les remèdes et l'art de la médecine cédoient à la force du mal, après avoir recommandé son âme à Dieu, il se retira en sa chambre, où plusieurs de ses amis le suivirent pour le consoler. Alors il se prit à dire avec larmes et soupirs, comme la plupart s'en peuvent souvenir: Mon Dieu, que t'ai-je fait ? Quel péché ai-je commis pour être si rudement châtié et accablé de tant de maux? A la mienne volonté que je puisse vivre plus saintement et donner un meilleur exemple de piété! Père très saint, regarde-moi, s'il te plaît, en tes miséricordes, et allège mes peines!! Puis s'étant relevé par les chrétiennes exhortations de ses amis, il se fit amener ses enfants, et leur représenta qu'une si grande perte que celle de leur mère leur devoit enseigner qu'il ne leur restoit plus d'appui en ce monde ; que les maisons et châteaux, quoique bien fortifiés et somptueux, ne nous avoient point été donnés pour une demeure et possession perpétuelle, mais comme une hôtellerie et par emprunt, enfin que toutes choses humaines étoient périssables et caduques, hors la miséricorde d'un seul Dieu, à laquelle se remettant et rejetant toute autre aide humaine, ils ne debvoient point doubter de l'y trouver. Le lendemain il fit venir leur précepteur, nommé Le Gresle, et lui dit qu'il lui falloit retourner à l'armée, ne sachant pas ce qui lui pourrait arriver, et le pria d'avoir soin de ses enfants et de les instruire comme il lui avait souvent commandé, en toute piété et bonnes sciences. » Le véritable ami, nous dit la Parole sainte, aime en tous temps, et il naîtra comme un frère, dans la détresse; tel se montra Th. de Bèze pour Coligny, en lui disant : «Monseigneur, si depuis que vous avez embrassé la querelle du roi

des rois, mille afflictions vous sont survenues, ne vous esbahissez pas, mais vous souvienne qu'il fault que les membres soyent faicts conformes au chef. Si en la première guerre, vous avez perdu vostre fils aisné, en la seconde, celle que vous aimiez comme vous-mesmes, et le tout comme si Dieu luy-mesme vous faisoit la guerre, souvenezvous qu'Abram a bien perdu son père, Jacob a bien perdu sa femme bien aymée, en suyvant le Seigneur comme pas à pas. Tels événements doncques ne sont pas arguments nécessaires de l'ire de Dieu contre nous, combien que ne puissions faillir de nous humilier et de chercher la raison de nos afflictions en nous-mesmes, mais sont aultant d'espreuves pour nous apprendre à nous congnoistre, afin aussy que le Seigneur soit glorifié par la force qu'il nous donne... Je loueray Dieu de la grâce qu'il vous a faite de ne succomber à une telle et si grande affliction, et plustost d'y proffiter, comme je l'ai congneu dès la première lettre qu'il vous a pleu m'en escrire, à laquelle vous avez adjousté de vostre main, que par cela le Seigneur vous advertissoit de vous desdier du tout à luy mieux que jamais, parole pour certain venant de Dieu et digne de vous, monseigneur, qui estes du petit nombre de ceux auxquels je puis appliquer ceste tant belle et précieuse sentence de l'apostre, à savoir qu'il vous a esté donné non seulement de croire au Seigneur, mais aussy d'estre affligé pour luy. Car la mort (ou plus tost l'heureux repos de feu madame vostre bonne partie) est tellement advenue selon le cours de nature, tel qu'il a pleu à Dieu l'ordonner, que cependant nul n'ignore que l'estat présent de l'Eglise du Seigneur qu'elle a tousjours aymée sur toutes choses, et ce qu'elle prévoyoit estre prochain à icelle, ne luy ayent grandement advancé ses jours, oultre la peine qu'elle prenoit et de corps et d'affection entière pour les pauvres et navrés ou aultrement affligés pour la querelle du Seigneur. Et je ne doubte point aussy que cela, entr'autres choses, n'aye beaucoup servy et serve encore désormais à vous consoler. » Les pleurs que versa Coligny à la mort de sa fidèle compagne sont le plus bel éloge qui puisse être fait de celle-ci ; et le nom de Charlotte de Laval demeure indissolublement uni, dans les annales de l'histoire, à celui du héros chrétien qu'elle aima plus qu'elle-même et dont elle sut toujours comprendre et seconder le noble cœur. - Voyez Lettres de Charle de Laval à divers, Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3180, 3196, 3211, 3218; Bull. de la Soc. d'hist. du prot. fr., II, 551. TOJ. DELABORDE

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LA VALLETTE (Antoine de), jésuite français du dix-huitième siècle, connu par ses entreprises commerciales et le procès devant le Parlement dans lequel il engagea sa compagnie. Né le 21 octobre 1707, à Sainte-Affrique dans l'Aveyron, La Vallette, après avoir pris, le 10 octobre 1725, son noviciat à Toulouse, se livra à l'enseignement; en 1731 nous le trouvons au Puy, en 1732 à Rodez, tenant une classe de rhétorique, en 1737 à Paris, au collège Louis-le-Grand, comme professeur de théologie. Ordonné prêtre en 1740, il partit l'année suivante pour la Martinique, où ses capacités administratives attirèrent l'attention de ses supérieurs : aussi ne tarda-t-il pas à échanger ses

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