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ration. Sa constante préoccupation était que justice prompte et exacte fût assurée à tous ses sujets, sans distinction de rang et de classe ; il suivait lui-même les affaires et visitait pour cela fort souvent ses provinces. On sait comment il rendait justice à Vincennes, après la messe, accoté à un chêne et faisant asseoir sa compagnie autour de lui. Qui ne connaît le récit que nous en fait Joinville (ouvr. cité, ch. xII). Mais si la dévotion de saint Louis lui inspirait, pour tout ce qui tient à l'Eglise, notamment pour le clergé régulier, un respect et un dévouement souvent exagérés, il ne lui a pourtant jamais sacrifié les intérêts de son royaume et de son peuple. Il est toujours resté roi de France et s'est appliqué à ses devoirs de roi, et de Français, avec autant de conscience et de fidélité qu'à ceux de chrétien catholique. Toujours il a défendu les droits de la France contre les empiètements de Rome et les droits des laïques contre les empiètements du clergé; mais il le faisait avec modération et avec justice, et c'est là ce qui lui donnait une si grande autorité. Dans ce temps-là, le clergé empiétait volontiers sur la juridiction séculière; il déclarait tout tribunal séculier incompétent pour juger ses affaires; mais il n'en demandait pas moins l'assistance du bras séculier pour prêter main-forte aux jugements rendus par son propre tribunal. Ainsi Joinville (ouvrage cité, ch. x) raconte qu'un jour « à Paris, tous les prélats de France mandèrent au roi qu'ils voulaient lui parler; et le roi alla au palais pour les ouïr. Et là était l'évêque Gui d'Auxerre, et il parla au roi pour tous les prélats, en telle manière: Sire, ces seigneurs qui sont ici, archevêques et évêques, m'ont chargé de vous dire que la chrétienté, qui devrait être gardée par vous, périt entre vos mains. Le roi se signa, quand il ouït cette parole, et dit: Or, dites-moi comment cela se fait? Sire, fit-il, c'est qu'on prise si peu les excommunications aujourd'hui, que les gens se laissent mourir excommuniés avant qu'ils se fassent absoudre et ne veulent point faire satisfaction à l'Eglise. Ces seigneurs vous requièrent done, sire, pour l'amour de Dieu et parce que vous devez le faire, que vous commandiez à vos prévôts et. à vos baillis que tous ceux qui resteront excommuniés un an et un jour, fussent contraints, par la saisie de leurs biens, à se faire absoudre. A cela le roi répondit qu'il le commanderait volontiers pour tous ceux dont on lui donnerait la certitude qu'ils eussent tort. Mais l'évêque dit que les prélats ne le feraient à aucun prix, qu'ils lui contestaient la juridiction de leurs causes. Le roi lui dit qu'il ne ferait pas autrement, que ce serait contre Dieu et contre raison, s'il contraignait les gens à se faire absoudre, quand le clergé leur fait tort. » Pour ce même litige, une assemblée se réunit, en 1235, à Saint-Denis, en présence du roi; les plus grands seigneurs du royaume y assistèrent, et ils y arrêtèrent les résolutions suivantes: 1° Que leurs vassaux n'auraient pas à répondre en matière civile aux ecclésiastiques ni aux vassaux de ces derniers, devant le tribunal ecclésiastique; 2° que si le juge ecclésiastique les excommuniait pour ce sujet, on le contraindrait, par la saisie de son temporel, à lever l'excommunication; 3° que les ecclésiastiques et leurs vassaux seraient

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tenus de se soumettre à la justice des laïques dans toutes les causes civiles touchant leurs fiefs, mais non leurs personnes. » L'arrêt ne fut point rendu, il est vrai, au nom du roi, mais certainement avec son approbation, puisque le pape lui écrivit peu après, à ce sujet : Sed ecce audivimus et dolemus quod tu, fil charissime, et regni barones, malorum usi consilio, Ecclesiam in servitutem cupientes redigere, etc... Ce n'était du reste que l'application du droit existant, et saint Louis ne manqua jamais de l'appliquer. En 1237, il se plaignit lui-même au pape de l'abus des excommunications, et celui-ci enjoignit aux évêques d'en user avec plus de modération. Il affirma de même son indépendance vis-à-vis de l'Eglise, dans sa conduite envers Innocent IV. Ce pontife, fuyant devant l'empereur Frédéric II, désirait aller résider à Reims; il demanda donc l'hospitalité à saint Louis. Le roi, rapporte Matthieu Paris, lui répondit « qu'il défendrait l'Eglise autant qu'il serait juste et convenable contre toute injure de l'empereur, et qu'il recevrait volontiers le pape dans ses Etats, si c'était l'avis du conseil des grands, qu'aucun roi de France ne peut négliger. » Or, ce ne fut point l'avis de ce conseil, qui pensait que le pape serait un hôte trop dangereux et trop coûteux, et Innocent IV dut se rabattre sur Lyon, ville libre située aux portes du royaume de France, où il convoqua, le 25 juin 1245, un concile œcuménique, pour faire condamner Frédéric II. Il le dénonça à la chrétienté comme un excommunié et fit publier cette déclaration dans toutes les églises de France, pendant le carême. Matthieu Paris rapporte qu'un curé de Paris, devant donner lecture de cette excommunication, dit à son prône, que, ne sachant lequel des deux (du pape ou de l'empereur), avait raison, il excommuniait celui d'entre eux qui était coupable, et absolvait l'innocent; ce qui nous montre que sous le règne de saint Louis, on conservait en ces affaires une certaine liberté d'appréciation. ces principes essentiellement gallicans ont été formulés officiellement dans la Pragmatique-Sanction. Voici les six articles de cet acte célèbre ... «Par cet édit mûrement délibéré et valable à toujours, nous statuons et ordonnons: 1° Que les prélats des églises de notre royaume les patrons et les collateurs ordinaires des bénéfices jouissent pleinement de leur droit et qu'à chacun sa juridiction soit conservée; 2 Item que les églises, cathédrales et autres de notre royaume aient intégralement les élections libres et tous leurs effets; 3 Item que les promotions, collations, provisions et dispositions de prélatures, dignités et autres bénéfices et offices quelconques de notre royaume, se fassent conformément aux prescriptions, ordonnance et règlement du droit commun, des sacrés conciles de l'Eglise de Dieu et des anciens décrets des saints pères; 4° Item nous défendons que les impôts et les charges très lourdes d'argent mis ou à mettre par la cour romaine sur les églises de notre royaume et dont notre royaume est misérablement appauvri, ne soient levés et recueillis en aucune sorte, si ce n'est pour cause raisonnable, pieuse et urgente, ou pour nécessité inévitable et de libre et exprès consentement de nous et de l'Eglise de notre royaume; 5° Item les libertés, franchises, prérogatives,

droits et privilèges accordés par les rois, nos prédécesseurs d'illustre mémoire, et depuis par nous-même aux églises, monastères, lieux saints et aux religieux et ecclésiastiques de notre royaume, nous les renouvelons, louons, approuvons et confirmons par les présentes... Donné à Paris, l'an du Seigneur 1268, au mois de mars. » — L'authenticité de cette pièce a été défendue par Bossuet (Défense de la déclaration du clergé de France de 1682) qui s'appuyait sur elle; elle a été soutenue de nos jours par Daunou (Histoire littéraire de la France, continuée p ir des membres de l'Institut, t. XVI, p. 75 et t. XIX, p. 169) et en Allemagne par Soldan. Elle est contestée par contre par M. Gérin (Les deux pragmatiques attribuées à saint Louis), par Félix Faure et M. Wallon dans leurs histoires de saint Louis. Nous ne pensons pas que le dernier mot ait été dit sur cette question ni qu'elle puisse être aujourd'hui définitivement tranchée. Quoiqu'il en soit, nous ferons remarquer, avec M. Guizot, que si l'on peut mettre en doute l'authenticité de la Pragmatique Sanction, cet acte n'a au fond rien que de très vraisemblable et de conforme à la conduite générale de Louis IX. En 1270, saint Louis entreprit sa seconde croisade, qu'il dirigea sur Tunis, pour servir la politique de son frère Charles d'Anjou. Joinville ne vit pas sans appréhensions partir son roi, qu'il refusa cette fois. d'accompagner: « Je pensai, dit-il, que tous ceux-là firent un péché mortel qui lui conseillèrent ce voyage, parce que au point où il était en France, tout le royaume était en bonne paix au dedans et avec tous ses voisins; et depuis qu'il partit, l'état du royaume ne fit jamais qu'empirer. Ils firent un grand péché ceux qui lui conseillèrent le voyage, dans la grande faiblesse là où son corps était; car il ne pouvait supporter d'aller en char, ni de chevaucher. Sa faiblesse était si grande, qu'il souffrit que je le portasse dans mes bras depuis l'hôtel du comte d'Auxerre, là où je pris congé de lui, jusques aux Cordeliers. Et pourtant, faible comme il était, s'il fût demeuré en France, il eût pu encore vivre assez et faire beaucoup de bien et de bonnes œuvres » (N. de Wailly, Joinville, ch. CXLIV, 736 et 737). A peine eutil abordé sur la terre d'Afrique, qu'il tomba malade, « et senti bien, dit Joinville, que il devoit par tens trespasser de cest siècle à l'autre. » C'est alors qu'il adressa à Philippe, son fils, l'admirable exhortation que chacun connait, et dont nous reproduirons quelques passages, qui mettent en lumière la foi et la piété du roi (même ouvrage, ch. CXLV): « Biaus fiz, la premiere chose que je t'enseing, si est que tu mettes ton cuer en amer Dieu; car sans ce nulz ne puet estre sauvez. Garde-toy de faire chose qui à Dieu desplaise, c'est à savoir pechié mortel; ainçois (au contraire), devroies soufrir toutes manieres de tourmens, que faire mortel pechié. Se Diex t'envoie adversité, si le reçoif en patience et en rent graces à Notre-Seigneur, et pense que tu l'as deservi (mérité), et que il te tournera tout à preu (profit). Se il te donne prospérité, si l'en merci humblement, si que tu ne soies pas pires ou par orgueil ou par autres manieres, dont tu doies miex. valoir; car l'on ne doit pas Dieu de ses dons guerroier. Confesse-toy souvent, et esli confesseur preudome, qui te sache enseignier que tu

doies faire et de quoy tu te doies garder; et te doiz avoir et porter en tel maniere, que tes confesserres et ti ami te osient reprenre de tes mesfaiz..... Escoute volontiers la parole Dieu et la retien en ton cuer; et pourchace volentiers proieres (prières) et pardons... Nulz ne soit si hardis devant toy que il die parole qui atraie et esmeuve à pechié, ne qu'i mesdie d'autrui par derieres en detractions; ne ne seuffre que nulle vileinie de Dieu ne de ses sains soit dite devant toy. Rent graces à Dieu souvent de touz les biens que il t'a faiz, si que tu soies dignes de plus avoir... Travaille toi que tuit vilain pechié soient osté de ta terre; especialement vileins sermens et heresie fai abatre à ton pooir (pouvoir)... Et en la fin, très-douz fiz, que tu fasses messes chanter pour m'ame et oroisons dire par tout ton royaume; et que tu m'otroies especial part et planiere (entière) en touz les biens que tu feras. Biaus chiers fiz, je te doing (donne) toutes les benéissons que bons peres puet donner à fil. Et la benoite Trinités et tuit li saint te gardent et deffendent de touz maus; et Diex te doint grace de faire sa volenté touzjours, si que il soit honorez par toy, et que tu et nous puissiens, après cette mortel vie, estre ensemble avec li, et li loer (louer) sans fin. Amen. » Il reçut ensuite les sacrements, ayant sa pleine connaissance; il se joignit aux prières que l'on disait autour de lui, et, «< après, se fist le sains roys couchier en un lit couvert de cendre, et mist ses mains sus sa poitrine, et en regardant vers le ciel rendist à notre Createur son esprit, en celle hore maismes que li Fiz Dieu morut pour le salut dou monde en la croiz» (même ouvrage, ch. CXLVI). C'était le 25 août 1270; il n'avait que cinquante-six ans. Saint Louis fut un catholique dans le sens le plus strict de ce mot; il observa toutes les ordonnances de son Eglise et alla même au delà, par les macérations exagérées qu'il s'imposait; il y eut des ecclésiastiques qui s'en moquèrent; on l'appela Rex papellardus (roi piétiste). Néanmoins ce roi, d'un catholicisme si étroit, fut un modèle de souverain sage et juste. Sa dévotion servile n'anéantit aucunement la force de son esprit ni de son caractère ; c'est qu'il avait un sentiment indestructible de justice, qui lui donna le courage qu'il fallait, en son siècle, pour résister à toute iniquité, d'où qu'elle vînt. En 1282, Martin IV ouvrit officiellement l'enquête pour sa canonisation, déjà préparée peu après la mort du roi ; les historiens de son temps firent le récit de ses miracles. Bonifiace VIII rendit le décret de sa canonisation le 11 août 1297. On le trouve dans le Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXIII, p. 149. Le Nain de Tillemont a écrit une Histoire de saint Louis très complète et où l'on trouve toutes les informations que l'on peut désirer. Voir aussi les ouvrages de Félix Faure, Wallon, Guizot, Boutaric et Violet. CH. PFENDER. LOUIS D'ORLÉANS, premier prince du sang, fils de Philippe, régent de France, naquit à Versailles, le 4 août 1703 et mourut à Paris, le 4 février 1752. Doué d'une intelligence peu commune, d'un esprit péné. trant, susceptible d'embrasser toutes les branches de la science, il eut, dès ses premières années, une grande ardeur pour l'étude. Il passa, toutefois, sa jeunesse dans la dissipation et dans les égare

ments d'une cour licencieuse. La mort de son père, et celle de sa femme, la princesse de Bade qu'il avait épousée en 1724, le détachèrent des séductions du monde. Dès lors, il mena une vie retirée jusqu'au moment de sa conversion qui eut lieu en 1726. A partir de cette époque, il se soumit à des austérités et à un genre de vie qui abrégèrent ses jours, « couchant sur la dure, nous dit Barral, jeûnant rigoureusement, ne buvant que de l'eau, se privant toujours de feu, même dans les hivers les plus rudes, donnant plusieurs heures à la prière, vêtu d'une manière commune, » le prince Louis d'Orléans s'imposait toutes ces pénitences en les estimant trop douces. Il s'était réservé en 1730, un appartement à l'abbaye de Sainte-Geneviève, où il venait pour étudier et se livrer aux exercices de la pitié ; plus tard, en 1742, il vint s'y fixer d'une manière définitive. Il poursuivit dans cette paisible retraite les travaux qu'il aimait, jusqu'au temps où, miné par les jeûnes et les veilles, il s'éteignit dans les sentiments d'une piété profonde, mais à laquelle on eût pu désirer plus de lumières. Au moment de mourir, les derniers sacrements lui furent pourtant refusés par ordre de l'archevêque de Paris, le terrible M. de Beaumont, devant lequel la religion du prince ne put trouver grâce, étant, à ses yeux, entachée de jansénisme. Le malade faisant alors un effort sur lui-même, et se soutenant à peine, se traîna jusqu'à l'hôtel, et reçut cette communion qu'il désirait avec tant d'ardeur. Ces faits sont racontés par Barral qui, on le sait, était bien renseigné sur toutes les circonstances de cette nature. Il fut enterré au Val-de-Grâce. Depuis que le prince Louis d'Orléans s'était adonné à la religion avec tant de ferveur, il avait pris l'habitude d'aller visiter lui-même les pauvres et les malades qu'il secourait et consolait, allant les découvrir jusque dans leurs mansardes. Employant ses richesses à procurer une éducation à des enfants, à doter et marier des filles honnêtes, il s'occupait en outre à fonder des écoles et des collèges, à secourir des institutions de bienfaisance et à aider les établissements d'utilité publique. Il a laissé un grand nombre d'ouvrages manuscrits, que son esprit d'humilité l'empêcha toujours de publier, et parmi lesquels nous citerons les suivants : 1° Traduction littérale des Psaumes, faite sur l'hébreu. Le prince Louis d'Orléans avait appris l'hébreu, le chaldéen, le syriaque et le grec, pour pouvoir étudier les saintes Ecritures dans les originaux. A cette version des Psaumes, l'illustre traducteur. joignit une paraphrase et des notes. Elle est en outre enrichie d'explications savantes faites avec une critique judicieuse, et de dissertations pleines d'érudition, dans l'une desquelles il établit avec évidence que « les notes grecques sur les Psaumes, qui se trouvent dans la chaîne du père Cordier, et qui portent le nom de Théodore d'Héraclée, sont de Théodore de Mopsueste, découverte que ce princeéclairé a faite le premier, et qui est due à sa grande pénétration et à ses recherches » (Chaudon); 2o Des Traductions littérales de plusieurs livres de l'Ancien Testament; 3° Une Traduction littérale des Epitres de S. Paul, faite sur le grec, accompagnée d'une paraphrase, de notes littérales et de réflexións de piété ; 4o Un Traité sur les Spec

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