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l'ex-veuve Scarron: « Si elle était morte il y a trente ans, écrivait Madame (13 mai 1719), tous les pauvres réformés seraient encore en France, et leur temple de Charenton n'aurait pas été rasé. La vieille. sorcière a été, avec le jésuite le père La Chaise, la cause de tout cela; à eux deux ils ont produit tout le mal. » A ce duo malfaisant, Rulhière ajoute un troisième personnage: Louvois, pour former le triumvirat de la Révocation. Le Bulletin de l'histoire du protestantisme y a joint Bossuet en particulier, et tout le clergé en général. M. le duc de Noailles, au contraire, a écrit son Histoire de Mme de Maintenon pour disculper sa parente de toute participation à un acte auquel il s'efforce de donner une couleur politique bien plus que religieuse, et qui, d'après lui, fut une grande faute, « plus grande toutefois par l'exécution que par la pensée. » M. Th. Lavallée s'écarte beaucoup moins de la réalité : « Toute l'influence de Mme de Maintenon se porta réellement, dit-il, sur les affaires d'Eglise et de conscience, et cette influence ne fut pas de tout point heureuse et éclairée. » Godet Desmarets, poursuit-il, fit trop de sa pénitente « la femme d'affaires des évêques et une sorte de mère de l'Eglise. » Puis, sans remarquer la contradiction dans laquelle il tombe, il ajoute : « Mme de Maintenon n'eut qu'une part très indirecte à la Révocation, la part de toute la France catholique, c'est-à-dire qu'elle n'eut pas à la conseiller, mais qu'elle l'approuva, croyant comme tout le monde que ce serait un acte très louable et de facile exécution. » Il ne remarque point que, si, d'un côté, l'applaudissement de toute la France est une circonstance atténuante pour les coupables, il constitue en même temps un véritable acte d'accusation contre le catholicisme; car la France catholique, c'est lui qui l'avait faite et imprégnée de cette erreur capitale, que la tolérance est une hérésie, et l'intolérance, un devoir.

M. Geffroy, qui, sans preuve suffisante à notre avis, déclare inauthentiques les lettres à Me de Saint-Géran, d'après lesquelles la participation de Mme de Maintenon à la Révocation serait évidente, n'a point vu que cette participation résulte tout aussi clairement des faits que de ces lettres, dont nous n'avons du reste fait aucun usage: «S'il est très probable, dit-il, que Mme de Maintenon n'a point concouru à la préparation de l'acte funeste de 1685, « elle s'en est rendue solidaire pour l'avoir sans nul doute approuvé... et ensuite pour avoir trempé dans les violences qui en furent la suite. » Nous pensons, au contraire, que la Révocation, vers laquelle convergea tout le siècle et qui se fût accomplie sans Mme de Maintenon, mais sans doute un peu plus tard, a été hatée par elle : une femme d'un grand cœur et d'un esprit tout à fait supérieur eùt seule été capable d'essayer de l'empêcher et s'y serait brisée. Non seulement Mme de Maintenon n'eut pas cette gloire; mais les conversions furent pour elle un moyen de succès; son zèle fit sa fortune; c'est par là qu'elle plut, fit sa cour au roi, aux évêques, au pape, qui lui écrivait pour la prier << d'accorder son assistance à tout ce qui concerne la religion. » Elle a collaboré aux préliminaires de la Révocation, à l'édit lui-même et à ses suites, exploitant en faveur de son crédit la destruction du pro

testantisme, comme elle avait exploité les fourneaux économiques. Evidemment, au début, elle voulait convertir, non persécuter, et n'avoir recours qu'à une « contrainte un peu plus que morale. » La possibilité d'une contrainte modérée était l'illusion générale; quelques esprits durs et inflexibles, comme Godet Desmarets, directeur de la grande dame, admettaient seuls toutes les conséquences logiques des principes de la Politique tirée de l'Ecriture sainte. Mais quand l'entreprise fut visiblement manquée et que chacun en déclina la responsabilité, Mme de Maintenon s'accoutuma aux violences et y applaudit. A la fin d'une lettre au duc de Noailles, elle jette négligemment ces mots relatifs à l'insurrection camisarde, que, de concert avec Louvois, elle avait d'abord cachée au roi : « On tue beaucoup de fanatiques; on espère en purger le Languedoc. » Consultée auparavant sur le projet de rappel des protestants présenté par Vauban, qui songeait à dissoudre par là la ligue d'Augsbourg, elle avait rédigé un mémoire où elle établissait que ce procédé serait considéré comme l'effet de la crainte, que ceux qui rentreraient seraient mauvais Français et affaibliraient la nation, mais où elle blåmait les communions forcées et demandait qu'on s'appliquât à convertir avec modération ceux qui étaient restés en France. Bâville voulait, de son côté, qu'on achevât promptement et à la hâte ce qu'on avait commencé imprudemment. La passion de Mme de Maintenon pour l'enseignement, le besoin fréquent qu'elle éprouvait d'échapper à la cour pour se retirer dans la maison de Noisy, et y oublier les soucis de sa grandeur dans des conversations et des leçons familières, l'amenèrent à fonder le magnifique établissement de Saint-Cyr, destiné à l'instruction gratuite des filles pauvres de la noblesse, et où elle transporta d'abord ses élèves de Noisy. La fondation de cette maison, dans laquelle nous voyons figurer des noms protestants (Miles de Villette (Caylus), de Sainte-Hermine de Chenon, de Sainte-Hermine de Cireuil, de Mornay, de Mornay-Montchevreuil. de Jaucourt, de Fauquembergue, de Vieilmaison, etc.), fut certainement sa meilleure inspiration. Elle voulait que l'éducation y fût plus forte et plus éclairée que celle qu'on donnait dans les maisons religieuses, et le roi posa pour condition que les maîtresses seraient des dames ou demoiselles laïques; mais ici encore elle s'égara, fit de Saint-Cyr une succursale de la Comédie française et de l'Opéra, par les représentations d'Esther et d'Athali“, composées tout exprès par Racine converti. L'immense succès de ces représentations auxquelles assista toute la cour, tourna, exalta ces jeunes têtes, y développa une vanité et des prétentions qui ne convenaient nullement à leur état de fortune. Bossuet et Fénelon avaient applaudi; mais Godet se facha, fit entendre un blâme énergique. Aussitôt, par un brusque changement, Mme de Maintenon se jeta dans l'excès contraire, rabattit tout, tomba dans la platitude, et finit par imiter purement et simplement les institutions qu'elle avait prétendu surpasser: elle exigea que toutes les maîtresses de Saint-Cyr prissent le voile. Voici un autre spécimen de cette pondération d'esprit tant vantée. Mme Brinon, supérieure de l'établissement et amie plus

qu'intime de la fondatrice, reçut un beau jour une lettre de cachet qui lui ordonnait de se retirer sur-le-champ dans un couvent. En somme, à part les vues d'ambition et les pratiques de dévotion sur lesquelles elle demeura ferme, et la persistance qu'elle mit à pousser et enrichir les membres de sa famille nouveaux convertis, la marquise de Maintenon fut un esprit léger, facile à l'engouement et sans fixité dans ses attachements. La même irréflexion qu'elle avait montrée à l'égard des conversions, la jeta dans le quiétisme de Me Guyon et de Fénelon, qui régnèrent un moment à Saint-Cyr. Mais Bossuet, qui dénonça au roi l'hérésie de son rival, et surtout Godet, qui n'entendait rien aux mystiques raffinements du pur amour, y mirent honordre et rudement. Mme de Maintenon abandonna ses amis avec une facilité déplorable et, par trois lettres de cachet, purgea Saint-Cyr du quiétisme qu'elle y avait elle-même introduit. Excitée contre les jansénistes par les jésuites qu'elle n'aimait pas, elle abandonna également son ami de Noailles, archevêque de Paris. - Nonobstant son admiration pour Esther et Athalie, et quoiqu'elle écrivît aussi bien que toutes les femmes célèbres de son temps, Mme de Maintenon, en qui M. Lavallée a voulu voir « le plus grand moraliste de la fin du siècle de Louis XIV,» avait le goût faux et choyait les plus plates compositions d'auteurs dont les noms sont à peine connus. Il suffit de citer son protégé, l'abbé Pellegrin, dont on a dit avec trop de raison:<«< Le matin catholique et le soir idolâtre, Il dînait de l'autel et soupait du théâtre. » Pellegrin faisait chanter sa traduction des Psaumes et ses cantiques spirituels sur des airs d'opéra, prétendant que les airs sont indifférents d'eux-mêmes. Son psaume 54 a pour timbre: « Qu'il est doux d'être amant d'une bergère aimable! » Mme de Maintenon aimait ce mélange choquant et antiartistique du profane et du sacré, et le mit à la mode à Saint-Cyr. Enfin, bien qu'elle ait dit d'elle-même : « J'étais née franche, et il m'a fallu toujours dissimuler, » est-il juste de l'accuser d'hypocrisie? Sa conversion au catholicisme nous paraît avoir été réelle, en ce sens que la néophyte admit l'autorité de l'Eglise et celle du directeur spirituel, qu'elle dirigeait elle-même tant qu'il ne s'appela pas Godet; or, en ce siècle d'absolutisme, le besoin d'une autorité religieuse extérieure, assurément plus grand que de nos jours, était poussé si loin, que Fénelon alla jusqu'à lui sacrifier, du moins en apparence, sa persuasion intérieure. Condamné par le pape, il se soumit et se rétracta publiquement avec une bonne grâce fort admirée, tout en restant certain qu'il avait raison, et en le démontrant point par point dans des lettres d'une admirable finesse, qui font plus d'honneur à son talent qu'à son caractère. Sans aller aussi loin, Mme de Maintenon, catholique en gros, resta huguenote dans le détail et sur quelques points particuliers, par exemple: certaines habitudes de langage empruntées à l'Ecriture sainte, l'usage qu'elle faisait de celle-ci et une véritable antipathie pour la messe. Ses ennemis l'accusaient de protestantisme et elle avoue qu'elle n'aurait jamais assisté à la messe, si elle eût suivi à ce sujet son mauvais penchant. En revanche, elle aimait beaucoup les psaumes; aussi à

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Saint-Cyr, dont l'église se faisait remarquer par sa nudité et sa sévérité pour ainsi dire puritaines, cé n'étaient pas les offices du matin, mais ceux du soir qui étaient célébrés avec pompe. L'ambition et la nécessité où elle s'était mise de faire oublier son origine par un grand déploiement de zèle, eurent certainement plus de part à son prosélytisme que le désir de sauver des âmes, à la damnation desquelles elle ne crut sans doute jamais réellement. Elle n'eut pas l'excuse du fanatisme et persécuta moins par conviction que par inté rêt. Elle resta étrangère à cet entier dévouement à une idée ou à une personne, qui ennoblit le caractère et fait oublier bien des fautes; sa sécheresse de cœur ne fit que s'accroître avec les années : on sait comment elle récompensa son complice Bâville quand il fut hors d'état de rendre des services; elle n'attendit pas la fin de l'agonie du roi pour l'abandonner et se retira dès la veille à Saint-Cyr, laissant expirer seul le despote dont le peuple, trop longtemps et cruellement opprimé, allait lapider le cercueil. Elle s'éteignit elle-même quatre ans après (1719). Durant la tourmente révolutionnaire, les restes de Mme de Maintenon furent outragés à leur tour, et son tombeau, relevé en 1802 par le directeur du Prytanée français, disparut quelques années plus tard de la cour de Saint-Cyr, par ordre du général Duteil, qui ne lui pardonnait pas sa participation au grand crime de la révocation de l'édit de Nantes. Voir les Histoires de France de Michelet et Henri Martin; Théodore Lavallée, Mme de Maintenon et la maison royale de Saint-Cyr, Paris, 1862, in-8°; De Noailles, Hist. de Mme de Maintenon, 1849, in-8°; La Baumelle, Lettres de Mme de Maintenon; Geffroy, Revue des deux mondes du 15 janvier 1869; Bullet. de l'hist. du prot., III, 77; Chastel, Nouvelles lettres de Mme de Maintenon, apud Le Temps du 15 avril 1875; Ch. Read, Bossuet dévoilé par un prêtre de son diocèse, Paris, 1875, in-8°; Mme de Caylus, Souvenirs; l'abbé de Choisy, Mémoires; Mme de La Fayette, Mem. de la Cour de France; Lettres de Mme de Sévigné ; Mme Suard, Mme de Maintenon peinte par elle-même; Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome IV; Lavallée, OEuvres de Mme de Maintenon publiées pour la première fois d'après les ms. et copies authentiques, Paris, 1854, in-8°; Victor Fouque, Quatre lettres inédites de Mme de Maintenon, etc., Paris, 1864, in-8°.

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O. DOUEN.

MAISTRE (Marie-Joseph, comte de) est au premier rang des écrivains qui entreprirent, après la période révolutionnaire, dans les vingt premières années du siècle, de ramener leurs contemporains, par la philosophie, à la religion et à la foi. De Bonald, avec un système peut-être plus original et moins inacceptable, n'avait ni la fécondité, ni l'esprit, ni surtout le style vif et brillant du comte de Maistre. Lamennais s'éloigna peu à peu et finit par se séparer entièrement de ses anciens amis de l'école ultramontaine. De Maistre resta donc à la première place. Le système qu'il développait dans ses diverses publications, système qui lui avait été inspiré trop visiblement et d'une manière trop directe par les événements de l'époque, était condamné par là-même, à tout perdre en perdant l'actualité, et à n'être étudié

plus tard qu'avec curiosité sans grand intérêt. Chacun sait aujourd'hui qu'il y a, dans les livres où on le trouve exposé, autant de sophismes et de paradoxes que de vérités. Mais ce qu'on ne peut oublier c'est l'influence du comte de Maistre, son rôle assez important dans l'histoire religieuse contemporaine. Comme théoricien de la théocratie dans ce siècle, et comme écrivain, l'auteur du Pape et des Soirées de Saint-Pétersbourg ne saurait inspirer à personne une médiocre estime. Né à Chambéry le 1er avril 1754, fils du président du sénat de Savoie qui appartenait lui-même à une famille originaire du Lant guedoc, Joseph de Maistre fut élevé sous la direction des jésuites. Personne, en écrivant sa biographie, n'a signalé un seul trait d'étourderie, de jeunesse. Il est déjà, avant la dix-huitième ou la vingtième année, ce qu'il sera pendant toute sa vie, l'homme qui observe et respecte jusqu'à l'exagération, la règle, la tradition, le devoir, aimant à sentir peser sur lui des responsabilités ; l'homme qui n'est jamais sorti « pour se promener, » qui s'est fait fabriquer exprès un fauteuil tournant pour aller, sans se lever, de la table sur laquelle il prend son repas à la table où il travaille, qui refuse (en Russie) de venir au soleil « parce qu'il peut se faire un soleil dans sa chambre avec un chassis huilé et une chandelle derrière.» Qu'importe, a-t-on dit, si mal gré tout il aimait la causerie animée, la plaisanterie même ? Oui, le trait toujours cherché, la moquerie, l'invective, en un mot l'espèce de plaisanterie qui peut se concilier avec une pareille humeur. Marié en 1786, sénateur comme son père en 1788 après avoir terminé ses études de droit à l'académie de Turin, dans le petit royaume arriéré de Victor-Amédée III, nid d'aristocrates ayant tous les préjugés et toutes les prétentions, s'ils n'ont pas la fortune et la réputation. de ceux de leur caste dans les grands pays voisins, il se croit d'abord condamné (c'est lui qui parle), « à vivre et mourir en Savoie, en Piémont, comme une huître attachée à son rocher. » Mais le 22 septembre 1792, l'armée française, sous les ordres de Montesquiou, envahit la Savoie. De Maistre, avec sa famille, se retire à Lausanne, revoit le Piémont après trois ans de séjour en Suisse, s'impose en 1798 un nouvel exil à Venise, quand les Français ont occupé Turin, et, rap pelé en 1800, devient pendant deux ans régent de la chancellerie royale en Sardaigne. Vers 1803, il quittait Cagliari, se rendant à Saint-Pétersbourg en qualité d'envoyé extraordinaire et plénipotentiaire, et là, pendant quinze ans, n'ayant à peu près rien à faire comme représentant de Charles-Emmanuel IV, il écrivait en français presque tous ses livres, attendant la fin de sa mission pour les publier. Son vrai début comme écrivain eut lieu en 1796: Considérations sur la Révolution française,1 vol. in-8°. C'est, pour employer l'expression consacrée en critique littéraire, son « coup d'éclat. » Jusqu'alors, il n'avait fait, comme magistrat, comme sénateur, que des discours et un pamphlet contre la domination française, Jean-Claude Tétu, maire de Montagnole, district de Chambéry, à ses chers concitoyens les habitants du Mont-Blanc, 1795. Non seulement le livre des Considérations contient en germe tout ce qui doit être développé plus tard

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