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der à Dieu des actes d'intervention spéciale en notre faveur. Cette doctrine d'une Providence générale, nous fait reconnaître la bonté de Dieu mieux que ne le ferait la doctrine des dispensations particulières; car nous rencontrons ici-bas bien des misères, des souffrances, qu'il serait difficile d'expliquer, de justifier, si Dieu intervenait spécialement dans chaque situation; mais si ces imperfections ne sont que les conséquences naturelles d'un vaste système et en quelque sorte les ombres distribuées sur quelques parties d'une belle peinture, notre esprit juge de l'excellence de l'œuvre par l'harmonie et la simplicité des lois qui président au mouvement universel. Du reste l'optimisme est un corollaire obligé dans un système où c'est Dieu seul qui opère tout. Mais par là un autre problème devient plus difficile, c'est celui de notre liberté, de notre responsabilité. Les inclinations naturelles des esprits, dit Malebranche, sont des créations continuelles de la volonté suprême. Dieu les a toutes rapportées vers le bien, c'est-à-dire vers lui-même. La volonté est ce mouvement qui nous porte vers le bien en général; et la liberté est la force que possède l'homme de déterminer la tendance de ces inclinations vers un bien plutôt que vers un autre, de les arrêter vers un bien inférieur et restreint, au lieu de les élever vers un bien supérieur et plus général. Mais il n'explique pas comment, Dieu étant l'auteur de toute modification en nous, nous pouvons diriger notre action, nous refuser à accomplir le bien supérieur; ou du moins le philosophe se dérobe, en statuant que ce refus est quelque chose de purement négatif, dépourvu de réalité. Il est juste que la liberté de l'homme soit méconnue dans un système qui ne la reconnaît pas en Dieu. Quant à la grâce, elle est, comme le gouvernement du monde, réglée par des lois générales, elle ne rend pas de décrets particuliers et irrésistibles. La grâce est universelle, mais elle ne peut sauver tous les hommes, car Dieu aime plus les règles de sa sagesse que ses créatures, et ils n'aime celles-ci que dans la mesure où elles accueillent cette sagesse. Enfin la morale est fondée sur ce principe, que la vertu consiste dans un amour habituel et dominant de l'ordre invariable, ou de la loi divine, et cet amour naît de la connaissance intellectuelle de Dieu. Un résumé de la doctrine de Malebranche n'est pas facile, car elle est une synthèse d'éléments disparates. Du moins le cadre métaphysique en est fort simple: Dieu, c'est-à-dire l'idée infinie, principe unique et immuable de toutes les pensées et de tous les mouvements. Les diverses critiques qu'on peut adresser à cette philosophie se ramènent à cette questisn: Quelle différence essentielle sépare une telle doctrine de celle d'un autre cartésien illustre, Spinosa? Certes, le pieux oratorien avait horreur du philosophe hollandais, qu'il appelait un misérable; mais les lettres échangées avec Dortous de Mairan (publiées par M. Feuillet de Conches, 1841) montrent qu'il était embarrassé de réfuter les chimères de Spinosa. Un caractère aussi noble que celui de Malebranche devait compter de nombreux amis; ses ouvrages écrits dans le plus beau style du dix-septième siècle, eurent beaucoup de lecteurs, mais il eut bien peu de vrais disciples. Un admirateur en

thousiaste, le père André, se proposait de donner un exposé complet de sa vie et de sa doctrine, mais l'ordre des jésuites interdit la publication de cet ouvrage (voyez Cousin, Fragments de philosophie moderne, P. André). Leibnitz appréciait hautement Malebranche et écrivit un Examen de ses principes; il adopta son idée que Dieu a compris de toute éternité dans le plan du monde le germé de tous les genres d'êtres organisés, son idée d'une Providence générale et celle que les êtres particuliers n'exercent pas d'action les uns sur les autres; mais pour le philosophe de Hanovre, ce furent des matériaux empruntés à l'idéalisme pour servir à la construction d'un système bien différent. Malebranche avait été membre de l'académie des sciences et Fontenelle lui a consacré un de ses plus fins éloges. Mais, si Descartes fut promptement délaissé au dix-huitième siècle, il était naturel que la doctrine de Malebranche fût écartée plus promptement encore. De nos jours sa pensée a été étudiée avec un intérêt nouveau.-Outre les ouvrages consacrés à l'histoire de la philosophie (Damiron, M. Bouillier, etc.), il convient de mentionner : l'abbé Blampignon, Etude sur M., 1862; Ollé Laprune, Philosophie de M., 2 vol. 1870, couronné par l'Institut; OEuvres complètes de 4., par de Genoude et Lourdoueix, 2 vol. in-4°, 1837. Plusieurs traités et notamment les réponses à Arnauld ne s'y trouvent pas. A. MATTER.

MALESHERBES (Chrétien-Guillaume de Lamoignon de), né à Paris en 1721, était fils du chancelier Guillaume II de Lamoignon, et arrière neveu de l'intendant Bâville. Il fut élevé par les jésuites, notamment par le père Porée, ancien maître de Voltaire. Nommé substitut du procureur général, son parent, en 1741, conseiller au parlement en 1744, premier président de la cour des aides en 1750, et directeur de la librairie, Malesherbes porta dans toutes ses fonctions la passion du bien public, et le dévouement à toutes les réformes inspirées par les principes généreux de la philosophie du dix-huitième siècle. Il adoucit les rigueurs de la censure, et indiqua pius d'une fois aux gens de lettres le moyen d'éluder les lois qui restreignaient la liberté de la pensée. C'est à son persévérant courage que l'Encyclopédie doit d'avoir vu le jour. « M. de Malesherbes, a dit Voltaire, n'avait pas laissé de rendre service à l'esprit humain, en donnant à la presse plus de liberté qu'elle n'en avait jamais eu. Nous étions déjà presque à moitié chemin des Anglais. » Rousseau lui rend le même témoignage. Malesherbes présenta à Louis XV de sévères Remontrances sur l'établissement de nouveaux impôts, et fut exilé dans une de ses terres, en 1771, lorsque la cour des aides fut dispersée par le chancelier Maupeou. Rappelé, en 1774, par Louis XVI, qui l'estimait, sa rentrée fut un véritable triomphe. D'accord avec son ami Turgot, il travailla à la réforme du régime fiscal, et quinze années avant la Révolution, il insista auprès du roi sur la nécessité prochaine d'une constitution et d'une représentation nationale. Maurepas, premier ministre, ajourna les réformes et en critiqua si vertement les projets, que Malesherbes donna sa démission en 1775; puis, cédant aux instances de Louis et de Turgot, il accepta de remplacer le duc de la Vrillière, comme mi

nistre de la maison du roi, à condition qu'on n'y signerait plus de lettres de cachet. Il vida les prisons d'Etat (Turgot avait relâché en 1774 les deux derniers galériens protestants) et tempéra les sévérités du pouvoir; mais de nouveau rendu impuissant par Maurepas, il quitta le ministère avec Turgot, en 1776, et composa dans la retraite ses deux Mémoires sur le mariage des protestants, ouvrages qui à eux seuls suffiraient à sa gloire, quand même il ne serait pas redevenu ministre pour les traduire en une loi bienfaisante quoique encore incomplète. Cette question fut presque constamment agitée dans la seconde moitié du siècle. En 1751, le bruit s'était répandu que le gouvernement de Louis XV songeait à rappeler les protestants émigrés. Bien que ce bruit n'eût aucun fondement, le clergé bondit de fureur à la seule pensée que le pouvoir pût s'émanciper à ce point, et ne justifia que trop par sa conduite l'accusation que les persécutés avaient naguère portée contre lui, dans une supplique envoyée au maréchal de Saxe « Des dragons érigés en missionnaires, des ecclésiastiques plus cruels que des dragons, ne nous laissent vivre, ni mourir, sans nous contraindre à faire des actes dont nos consciences ont horreur. »> M. de Chabannes, évêque d'Agen, prit la plume, et, par une lettre imprimée, adressée au contrôleur général, protesta avec indignation contre le rétablissement de factieux et de révoltés, ennemis nés de l'Eglise et de la monarchie, mauvais sujets que l'Etat avait tout gagné à perdre. De son côté, M. de Monclus, évêque d'Alais, écrivit pour exhorter la cour à prendre des mesures plus énergiques envers des hérétiques dont l'émigration n'était plus à craindre, et pour se plaindre de ce que les magistrats s'étaient relâchés de la sévérité des ordonnances. Là-dessus, la cour envoya l'ordre de rebaptiser tous les enfants et de faire réhabiliter tous les mariages (1751). La dragonnade était recommencée, ainsi que l'émigration, lorsque quelques coups de fusil, tirés dans les Cévennes, firent reculer les persécuteurs (10 août 1752), et ramenèrent la cour à l'opinion à demi tolérante des légistes et des jansénistes (D'Aguesseau, Joly de Fleury, le maréchal de Richelieu, etc.) qui, partant du point de droit chimérique formulé dans la déclaration de 1715 à savoir qu'il n'y avait plus de protestants dans le royaume, voulaient qu'en conséquence les prêtres mariassent les nouveaux convertis en fermant les yeux, et sans exiger des abjurations répétées et des épreuves qui duraient ici quelques mois, et là jusqu'à cinq et six années. Plus tard, c'est la preuve du contraire qui deviendra la thèse des avocats savoir que les lois reconnaissent l'existence des protestants en France. Tandis que Le Patriote français et impartial d'Antoine Court (1752) réfutait l'évêque d'Agen et demandait le rétablissement de l'édit de Nantes, un mémoire anonyme et manuscrit, adressé au roi, posait la question d'une manière plus pratique, en proposant que les mariages des protestants fussent célébrés devant des magistrats et non par les prêtres.La proposition revenait donc à légaliser le mariage civil imaginé par le jurisconsulte Claude Brousson, et pratiqué par les pasteurs du Désert de la fin du dix-septième siècle. Quelques lignes de ce mémoire mon

treront combien l'auteur, animé pourtant d'un sentiment d'humanité, était encore éloigné de la tolérance: « Il faut être fanatique pour soutenir que Louis XIV eût péché en laissant subsister l'édit de Nantes; un zèle louable l'a porté à le révoquer, la religion et la politique ne permettent plus qu'on le rétablisse; les maux que cette révocation a pu faire ont cessé en partie; le bien qu'elle a produit existe, et une opération contraire ferait un bouleversement... Il faut persécuter la secte et épargner les sectaires. » Les protestants se plaçaient naturellement à un tout autre point de vue, témoin le titre de l'ouvrage de M. de Beaumont, publié en 1753 : L'accord parfait de la nature et de la raison, de la révélation et de la politique « ou traité dans lequel on établit que les voies de rigueur en matière de religion blessent les droits de l'humanité, et sont également contraires aux lumières de la raison, à la morale évangélique et au veritable intérêt de l'Etat. » L'illustre Turgot, dont les principes en cette matière n'ont pas été dépassés, vint en aide aux proscrits par ses Lettres sur la tolérance (1753) et par Le Conciliateur, lettre d'un ecclésiastique à un magistrat sur les affaires présentes (1754). Avec une clairvoyance parfaite, il montra que le gouvernement ne sortirait de l'impasse où l'avait poussé le fanatisme, qu'en confiant au magistrat tout ce qui concernait les mariages des protestants, leurs registres de baptême et d'inhumation, et en rendant aux persécutés la liberté de culte. «< Toute assemblée civile qui est séditieuse, disait-il, doit être interdite, toute assemblée religieuse doit être permise. » L'ouvrage de l'abbé Yvon, La liberté de conscience resserrée dans des bornes légitimes (1754), également animé du souffle libéral, ne s'élève point cependant à la hauteur de ceux de Turgot. Enfin Rippert de Monclar, procureur général au parlement d'Aix, publia le Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des protestants de France (1755), dans lequel il réclamait, avec l'anonyme et avec Turgot, un état civil pour les non catholiques. La question, une fois posée avec autant de fermeté que de modération, devait être résolue tôt ou tard. Cependant la grande majorité du clergé, toujours imbue de l'esprit de domination et d'intolérance, insistait avec force pour le maintien du statu quo et s'opposait énergiquement à la moindre concession. L'abbé de Caveirac n'a fait qu'exprimer ces passions rétrogrades dans les Sentiments des catholiques de France sur le mémoire au sujet des mariages clandestins des protestants, ouvrage plus connu par son sous-titre : Mémoire politicocritique, etc. (1756). Il venait à peine de paraître lorsqu'Antoine Court rentra dans la lice, en publiant la Lettre d'un patriote sur la tolérance civile des protestants et sur les avantages qui en résulteraient pour le royaume (1756), et en appendice, la Réponse d'un bon chrétien aux prétendus sentiments des catholiques, etc. La réplique, intitulée La voix du vrai patriote catholique opposée à celle de faux patriotes tolérants (1756), et attribuée tantôt à l'abbé de Caveirac et tantôt à l'abbé Bouniol de Montégut, ne se fit pas attendre, et la même année vit paraître encore le Petit écrit sur une matière intéressante (Toulouse, in-8°), attribué à l'abbé Morellet et favorable aux persécutés; ensuite un opuscule

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qui leur était contraire: Dissertation sur la tolérance des protestants, « ou réponse à deux ouvrages dont l'un est intitulé : L'Accord parfait, et l'autre Mémoire au sujet des mariages clandestins des protestants de France; puis une première Réponse à une dissertation contre les mariages clandestins de France, « ou lettre à l'auteur d'un écrit intitulé: Dissertation sur la tolérance des protestants, etc, » et enfin une Seconde réponse à des dissertations contre la tolérance pour les mariages protestants, « ou lettre à l'auteur de deux mémoires, l'un intitulé: Mémoire politico-critique, et l'autre : La voix du vrai patriote catholique, etc. » Barbier attribue les deux dernières publications à l'abbé Besoigne, qui se serait séparé du clergé, ainsi que les abbés Yvon, Morellet et Guidi, pour épouser la cause de la tolérance. Après avoir jeté ce vif éclat, la discussion s'éteignit ou à peu près; il ne parut en 1757 qu'une Lettre de M. de.... capitaine d'infanterie, à M. le chevalier de..., officier de la Maison du roi, touchant les assemblées des huguenots, et en 1758 que l'Apologie de Louis XIV et son conseil sur la révocation de l'édit de Nantes, par l'abbé de Caveirac, ouvrage auquel le chapelain de l'ambassade de Hollande, Delabroue, répondit, en 1760, par L'Esprit de Jésus-Christ sur la tolérance. L'attention publique s'était bientôt lassée et détournée des proscrits, qui avaient le tort, aux yeux des philosophes, d'être des hommes religieux, et, aux yeux des magistrats, de passer pour révolutionnaires; un coup de tonnerre la réveilla définitivement: Voltaire venait de prendre en main la cause de Calas (1762). En 1763 parut son Traité de la tolérance et, l'année suivante, Turmeau de La Morandière publia les Principes politiques sur le rappel des protestants de France. En 1766, l'avocat général Servan plaida avec une chaleureuse éloquence la cause de Marie Robequin, abandonnée par son mari sous prétexte qu'ils n'avaient été mariés qu'au Désert, et Louis XV fit rédiger par le conseiller d'Etat Gilbert de Voisins, pour être lus en conseil, deux Mémoires sur les moyens de donner aux protestants un état civil en France. Que de pas il fallait avoir faits en arrière, depuis l'édit de 1598, qui consacrait la libre co-existence des deux cultes, pour que l'idée de restituer un état civil aux non catholiques pût être considérée comme un notable progrès! Le ton qu'est obligé de prendre le défenseur de ceux qui souffraient depuis quatre-vingts ans, révèle l'énormité du recul: «On se reprocherait d'abord, disait Gilbert de Voisins, de mettre en question si l'exercice de la R. P. R. peut être remis aujourd'hui en l'état où il était avant la révocation de l'édit de Nantes, et laissé dans la liberté dont il jouissait depuis cet édit. » Le meilleur parti, ajoutait-il, « serait de maintenir l'interdiction publique et solennelle de la R. P. R., de ne point perdre de vue l'objet permanent, toujours désirable, de ramener ceux qui y sont encore attachés, » et de leur laisser en même temps une sorte de liberté domestique et privée de religion. « A l'égard des assemblées qui auraient quelque chose de public..., elles sont par ellesmêmes séditieuses et criminelles. » L'article premier du projet de loi annexé aux Mémoires était ainsi conçu : « Voulons que la religion catholique, apostolique et romaine, soit seule à perpétuité reconnue,

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