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ment et en dernier ressort. Aussitôt, les bûchers s'allumèrent. Pendant que les premiers martyrs marchaient héroïquement au supplice. (août), Marguerite, devenue veuve, partait pour l'Espagne, où elle allait travailler à la délivrance de son frère. Aucune vie, pas même celle de Mme de Sévigné, n'a été comme la sienne tout entière remplie par une seule et unique passion, l'affection poussée jusqu'à l'idolâtrie qu'elle portait à François Ier. En vain celui dont elle avait soutenu et guidé les premiers pas, étant de deux ans plus âgée que lui, se montrait-il peu digne d'un tel culte, il était presque un dieu pour elle. Jamais un mot de blâme ou de reproche sous sa plume; elle s'anéantit devant lui, se donne, se dévoue sans réserve. Elle sacrifie volontiers elle-même et les siens du moment qu'il s'agit d'être utile ou seulement agréable au roi; toute sa correspondance avec lui pourrait se résumer dans cette phrase d'une de ses lettres : « La fille, le père et la mère ne veulent vivre en ce monde que pour vous, duquel notre vie dépend. » En arrivant à Madrid, elle trouva le prisonnier gravement malade, ne voyant plus, n'entendant plus; elle fit changer le traitement, et par ses soins lui rendit la vie, mais non la liberté. Les conditions de la rançon étaient terribles: Charles-Quint ne songeait à rien moins qu'à démembrer la France, et résistait sournoisement à la véhémence avec laquelle lui parlait Marguerite. Après avoir réussi à fiancer Eléonore, sœur de l'empereur, à son frère, Marguerite conseilla à celui-ci d'abdiquer, et emporta l'abdication lorsque l'expiration de son sauf-conduit approcha. Charles, qui avait eu vent de la chose, espérait qu'elle s'attarderait et se laisserait arrêter par les alguazils mis à sa poursuite; mais elle fut prévenue de son côté et évita le guet-apens impérial. Quinze ans plus tard, elle ne put s'empêcher de rappeler à l'empereur, venu à Paris (janvier 1540), l'indélicatesse de ses procédés, qu'il s'empressa de faire oublier en parlant d'unir son fils à la petite Jeanne d'Albret. Même en Espagne et au milieu des voyages qu'exigeait le continuel déplacement de la cour, Marguerite n'oubliait pas les réformateurs de Meaux réfugiés à Strasbourg, et pourvoyait à leur subsistance. De même sur ses instances, le jour où le roi rentra en France (17 mars 1526), il ordonna au parlement de Paris de suspendre la procédure dirigée contre Berquin, et ne tarda pas à rappeler les proscrits et à mettre fin à la persécution. L'année suivante, il maria la duchesse d'Alençon au roi de Navarre, Henri d'Albret, moins âgé qu'elle de onze ans. Ce prince, auquel Ferdinand le Catholique n'avait laissé qu'une ombre de royaume, ne manquait pas de bravoure; fait prisonnier à Pavie avec le roi, il s'était audacieusement évadé de la forteresse où on le tenait enfermé; mais la légèreté de ses mœurs affligea souvent Marguerite, toujours pleine de dévouement pour lui, et Brantôme parle de brutalités maritales qui nécessitèrent l'intervention du roi de France indigné. A la suite de la mutilation d'une image de la Vierge de la rue des Rosiers (juin 1528), la persécution reprit avec la même violence qu'en 1525; Berquin, auquel Marguerite avait déjà deux fois sauvé la vie, périt sur le bûcher au mois d'avril 1529. La reine de Navarre en

fut outrée et prit part à la lutte de chansons qui avait éclaté entre les réformés et les catholiques. Elle composa le cantique des martyrs, qui commence ainsi : « Réveille-toi, Seigneur Dieu, Fais ton effort, Et viens venger en tout lieu Des tiens la mort. Tu veux que ton Evangile Soit prêchée par les tiens En château, bourgade et ville, Sans que l'on en cèle rien. Donne donc à tes servants Cœur ferme et fort; Et que d'amour tous fervents Aiment la mort. » A sa sollicitation, et à celles de Budé et de Jean du Bellay, qui rêvaient un établissement littéraire et scientifique dont l'enseignement serait affranchi du joug étroit de la théologie et de la Sorbonne, le roi institua, dans le courant de la même année, une chaire de grec et une d'hébreu, qui furent les premières du Collège de France. Grâce à elle, l'Evangile avait jeté de profondes racines dans la ville d'Alençon, qui devint protestante, et dans le reste du duché, qu'on appelait la petite Allemagne, à cause du grand nombre de réformés qui s'y trouvait. Mais loin d'être résolue à sortir du catholicisme, elle ne voulait que le corriger dans les points fondamentaux, en y réintégrant la doctrine paulinienne du salut par la foi. Cette réforme modérée qui heureusement s'émancipa plus tard, elle l'implanta en Béarn, en Guyenne, en Berry, à Bourges. L'université de cette ville. devint un foyer de lumière évangélique, dont Calvin et Théodore de Bèze éprouvèrent ensemble la salutaire influence. A la fin de 1530, ayant perdu son fils Jean, Marguerite fit chanter un Te Deum et afficher en placard le passage de Job: « L'Eternel l'avait donné, l'Eternel l'a ôté, que le nom de l'Eternel soit béni!» Son Miroir de l'âme pécheresse, paru à Alençon en 1531, est rempli du même mysticisme maladif. Ce fut, paraît-il, dans la même année que François Ier lui enleva sa fille unique, Jeanne d'Albret, âgée de trois ans, et la fit élever au château de Plessis-les-Tours, pour empêcher, dit-on, qu'elle ne fût mariée au fils de Charles-Quint. Tandis que son mari fortifiait les villes frontières, Marguerite s'établit à Pau, qu'elle métamorphosa par la construction de terrasses et de jardins magnifiques. Des ouvriers et des artistes appelés d'Italie ajoutèrent au manoir gothique une aile admirable, qui fut de ce côté des Alpes le premier spécimen du style de la Renaissance. Au goût des arts Marguerite unissait la passion du bien public et la fit partager à son mari. En peu d'années la face de leurs Etats, où régnaient la superstition, l'ignorance et la misère, fut complètement changée, grâce à la réforme des lois, des coutumes, et à l'arrivée de laboureurs amenés du Berry, de la Saintonge et de la Sologne, qui surent rendre fertiles des terres jusquelà improductives. Marguerite prit le titre et l'office de ministre des pauvres; elle visitait les malades, leur envoyait ses médecins, et malgré la gêne dans laquelle elle se trouvait fréquemment, distribuait d'abondantes aumônes, fondait un hospice à Pau, comme elle en avait fondé un à Paris (celui des Enfants-Rouges), et rendait aux parents des condamnés les amendes et les biens confisqués qui lui appartenaient de droit. Elle s'imposait des privations personnelles, afin de pouvoir accueillir les persécutés auxquels elle offrait un asile,

ainsi que les gens de lettres et les artistes qui lui formaient, à Pau et à Nérac, une cour aussi brillante que celle de François Ier: Marot, Lefèvre d'Etaples, Calvin, Roussel, Mellin de Saint-Gelais, Clouet dit. Janet, Vatable, Paradis, Postel, etc. La messe que Roussel disait chaque matin devant elle, et qu'on appelait la messe en sept points, n'avait plus guère de catholique que l'apparence et le nom. Sauf un assez court intervalle de terrible réaction, l'année 1533 et les dix premiers mois de l'année suivante, furent des plus favorables à la Réforme François Ier reçut une vive impression d'une prédication du curé Lecoq, et quand il fut parti pour la Picardie, Gérard Roussel prêcha durant tout le carême au Louvre en présence du roi et de la reine de Navarre. Béda et Le Picart qui travaillaient à exciter des troubles, furent exilés. Bien qu'elle eût fondé tout récemment le monastère d'Essai (arrond. d'Alençon), Marguerite fut représentée comme une furie dans une pièce jouée par les élèves du collège de Navarre, et son Miroir, déféré à la faculté de théologie comme suspect d'hérésie. Elle cacha Calvin dans les environs de Mantes, lorsque celui-ci dut s'enfuir pour sa participation au discours de Cop. Le roi qui venait de marier son fils à la nièce du pape, s'allia secrètement avec les princes luthériens, et l'année suivante il invita Mélanchthon à venir en France. Mais la négociation n'ayant point abouti et Marguerite se trouvant dépassée par les impatients, qui voulaient rompre avec Rome, et blessée des procédés de Calvin à son égard, cessa peut-être de prendre une part active à l'introduction de la Réforme en France, tout en continuant de plaider la cause de la liberté religieuse. Elle fut donc tout à la fois blàmée des protestants et accusée d'hérésie par les catholiques. On essaya même de l'empoisonner, et le cordelier Toussain Hémard, d'Issoudun, dit en chaire qu'elle méritait d'être cousue en un sac et jetée à la rivière. Les massacres de Cabrières et de Mérindol (1545) et l'auto-da-fé de Meaux (1546), furent pour elle comme le prélude de la douleur suprême, qui l'atteignit en 1547 au monastère de Tusson, où elle faisait une retraite. Son frère était mort depuis quinze jours, que nul n'avait encore osé le lui apprendre. « Elle fit, dit Brantôme, des lamentations si grandes, des regrets si cuisants, qu'oncques puis ne s'en remit et ne fit plus jamais son profit. » Le chagrin que lui causa le mariage de sa fille avec Antoine de Bourbon, mariage tyranniquement imposé par Henri II, acheva de la tuer. Elle mourut au mois d'octobre 1549. Son Heptaméron, imité des contes de Boccace, porte malheureusement la trace des mœurs corrompues et de la licence de langage de l'époque. Cependant loin d'en être choquée, commes nous le sommes aujourd'hui, Jeanne d'Albret, huguenote sévère et zélée, fit réimprimer, en y ajoutant le nom de sa mère, cette étrange morale en actions. Voyez Musée des protestants célèbres, Paris, 1822, in-8°; Castaigne, Notice biographique et litter. sur Marguerite de Navarre, dans l'Annuaire de la Charente pour 1837; Génin, Lettres de Marguerite d'Angoulême, Paris, 1841, in-8°; Nouvelles lettres de la reine de Navarre, adressées au roi François Ier, Paris, 1842, in-8°; Charles Schmidt, Gérard Roussel, Strasbourg, 1845, in-8°; Crottet,

Petite chroniq. prot. de France, Paris, 1846, in-8°; Victor Durand, Marguerite de Valois et la cour de François Ier, Paris, 1849, in-8°; Leroux de Lincy, Heptaméron des nouvelles de... Marguerite d'Angoulême, Paris, 1853, 3 vol. in-12; Miss Freer, Life of Marguerite, queen of Navarre, 1855, 2 vol. in-8°; Haag, La France prot., 1857, in-8°; Mme la comtesse d'Haussonville, Marguerite de Valois, reine de Navarre, dans la Revue chrétienne, 1861, in-8°; De la Ferrière-Percy, Marguerite d'Angoulême, Paris 1862, in-16; Merle d'Aubigné, Hist. de la Ref. au temps de Calvin, Paris, 1863, 8 vol. in-8°; Bulletin de l'hist. du prot. fr. 1866, 2o série, I, 120; Victor Luro, Marguerite d'Angoulême, Paris, 1866, in-8°; Herminjard, Correspondance des réformateurs, 1866, in-8°; Imbert de Saint Amand, Les femmes de la cour des derniers Valois, Paris 1874, in-8°; Félix Franck, Les Marguerites de la Marguerite, Paris, 1873, 4 vol. in-16. O. DOUEN.

MARGUERITE DE FRANCE ou de Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis, sœur de François II, Charles IX, Henri III et du duc d'Alençon, naquit à Saint-Germain en 1553 et mourut en 1615. Elle reçut une éducation forte, littéraire et artistique; mais vivant au sein de la cour la plus dissolue, elle ne tarda pas à unir la dépravation des mœurs à une dévotion extérieure et machinale. « Je fis résistance, dit-elle, pour conserver ma religion du temps du synode de Poissy (1561), où toute la cour était infectée d'hérésie, aux persuasions impérieuses de plusieurs dames et seigneurs de la cour, et même de mon frère d'Anjou, depuis roi de France, de qui l'enfance n'avait pu éviter l'impression de la malheureuse huguenoterie, qui sans cesse me criait de changer de religion, jetant souvent mes heures dans le feu, et au lieu me donnant des psalmes et prières huguenotes, me contraignant les porter; lesquelles soudain que je les avais, je les baillais à Mme de Curton, ma gouvernante, que Dieu m'avait fait la grâce de conserver catholique, laquelle me menait souvent chez le bonhomme, M. le cardinal de Tournon, qui me conseillait et fortifiait à souffrir toutes choses pour maintenir ma religion, et me redonnait des heures et des chapelets, au lieu de ceux que l'on m'avait brûlés. » Les heures et les chapelets n'empêchèrent point la jeune princesse, qui était, dit-on, d'une beauté ravissante, de se livrer tout entière à ses passions. Lorsqu'elle épousa Henri de Béarn, en 1572, elle appartenait à Henri de Guise, et ne répondit pas à la question sacramentelle; il fallut que Charles IX lui appuyat fortement la main sur la tête pour la forcer à s'incliner. Le mariage n'arrêta point ces déportements. De Guise elle passa à Bussy d'Amboise, à La Môle, dont elle embauma la tête de ses propres mains lorsqu'il eut été décapité pour crime de haute trahison, etc., etc. (1574). L'année suivante, Duguat, favori d'Henri III, fut assassiné pour avoir trop parlé, et l'on ne douta point que Marguerite ne fùt l'instigatrice du meurtre. Le roi de Navarre, qui avait aussi besoin d'indulgence, fermait les yeux. Quand il se fut enfui de la cour où il était gardé à vue (1576), il dit : « J'ai laissé à Paris la messe et ma femme; pour la messe, j'essayerai de m'en passer; mais pour ma

femme, je veux la ravoir. » Elle ne lui fut rendue qu'à la paix de Nérac (1578). Et quand les jeunes courtisans eurent quitté cette ville pour suivre le duc d'Alençon (1582), elle retourna à Paris, d'où Henri III lui ordonna de sortir, après lui avoir violemment reproché son inconduite et jeté à la face l'interminable kyrielle de ses amants. Instruit de cet esclandre, son mari refusa de la recevoir, et elle mena une vie d'aventurière, jusqu'à ce qu'il la fit arrêter au Carlat, en Auvergne, et transférer au château d'Usson, sous la garde du marquis de Canillac. Mais elle séduisit son geôlier et devint la maîtresse du château où elle passa dix-huit ans, de 1587 à 1605. La dissolution de son mariage, à laquelle elle refusa longtemps de consentir, avait été prononcée en 1599. Elle revint à Paris en 1605, se fit bâtir un palais à l'entrée de la rue de Seine, et des jardins qui couvraient une partie du petit Pré-aux-Clercs, dota, fonda des couvents, et prit Vincent de Paul pour aumônier. Ses Mémoires, publiés pour la première fois en 1648 (Paris, in-8°), offrent une très agréable lecture. En voici la page la plus remarquable, qui retrace l'un des épisodes de la Saint-Barthélemy: « Le soir étant au coucher de la reine ma mère, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine que je voyais fort triste, la reine m'aperçut et me dit que je m'en allasse coucher. Comme je faisais la révérence, ma sœur, se prenant à pleurer, me dit: Mon Dieu, ma sœur, n'y allez pas! Ce qui m'effraya extrêmement. La reine se courrouça fort et lui défendit de me rien dire. Ma sœur lui dit qu'il n'y avait point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme. cela, et que, sans doute, s'ils découvraient quelque chose, ils se vengeraient sur moi. La reine mère me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur, fondant en larmes, me dit bonsoir sans m'oser dire autre chose. Et moi je m'en allai toute transie et éperdue. Je trouvai le lit du roi, mon mari, entouré de trente ou quarante huguenots que je ne connaissais point encore, et qui parlèrent toute la nuit de l'accident de l'amiral. La nuit se passa sans fermer l'œil. Au point du jour, le roi, mon mari, dit qu'il voulait aller jouer à la paume, attendant que le roi Charles fùt éveillé, se résolvant de lui demander justice. Il sort de ma chambre et tous ses gentilshommes aussi. Moi, voyant qu'il était jour, estimant le danger passé, vaincue de sommeil, je dis à ma nourrice qu'elle fermat la porte pour pouvoir dormir. Une heure après, comme j'étais le plus endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte, et criant: Navarre! Navarre! Ma nourrice ouvre, pensant que ce fût mon mari. C'était un gentilhomme nommé M. de Téjan, qui avait un coup d'épée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et était encore poursuivi de quatre archers qui entrèrent tous après lui. Il se jeta dessus mon lit. Moi, sentant ces hommes qui me tenaient, je me jette à la ruelle et lui après moi, me tenant toujours à travers du corps. Je ne connaissais point cet homme, et ne savais s'il venait là pour m'offenser, ou si les archers en voulaient à lui ou à moi. Nous criions tous deux et étions aussi effrayés l'un que l'autre. Enfin Dieu voulut que M. de Nançay, capitaine des gardes, y vint, qui, me

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