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sommes forcés de nous borner à en dire la marche et les résultats.

La commission instituée par l'arrêt du 15 février pour instruire cette grande affaire employa d'abord plus de trois mois à recueillir tous les documens relatifs aux marchés de Bayonne, à la liquidation, et tous les témoignages qui pouvaient l'éclairer. Au

la tête du département de la guerre, ne me permettaient pas de penser au projet d'accompagner S. A. R.; et, sans un événement tout-à-fait imprévu, je n'aurais pas quitté la capitale, où m'attachaient si impérieusement tous les genres d'intérêts et de devoirs.

« Cet événement imprévu, le voici :

Le samedi 23 mars, à deux heares du matin, M. Jacquinot de Pampelane, procureur du roi, et M. Franchet, directeur-général de la police, se présentent à l'hôtel du mi✩istre : une conspiration, disaient-ils, venait d'être découverte; une malle remplie des emblèmes de l'ancien gouvernement, et qui était adressée à Bordeaux pour M. de Lostende, premier aide-de-camp du major-général, venait d'être saisie. Il était impossible que le ministre de la guerre n'obtempérât pas à la réquisition de faire arrêter M. de Lostende; le conseil des ministres pensa que, dans la circonstance donuée, le remplacement de M. le comte Guilleminot devenait nécessaire, et je dus obéir à la volonté expresse du Roi, qui m'ordonnait de me rendre à l'armée pour y remplir les fonctions de major-général.

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C'est dans ces circonstances que j'arrivai à Bayonne, où ne m'appelait certainement pas, comme on l'a tant de fois répété, le besoin de visiter les magasins, et de vérifier de mes propres yeux l'état des approvisionnemens.

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Voici comment M. le comte Guilleminot rend compte dans son Mémoire da même incident:

Tout à coup, on répandit la nouvelle qu'une vaste conspiration se tramait dans l'armée, et que le premier aide-de-camp du major-général était un des complices. On avait saisi une caisse remplie d'emblèmes impériaux à l'adresse de cet officier, et envoyée de Paris à Bayonne par la diligence.

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Pendant trente-six heures, on crut la monarchie en péril, et le ministre de la guerre, trop accessible peut-être aux obsessions d'une police inquiète, agit en conséquence de cette terrible découverte. Un de ses aides-de-camp, depuis long-temps à Bayonne, reçut l'ordre de faire arrêter et envoyer en poste à Paris, l'aide-de-camp du major-général. Cet ordre fut exécuté au milieu de la nuit dans la maison même occupée par cet officier général, qui n'en fat informé qu'après l'enlèvement. Enfin le ministre de la guerre lui-même partit en toute hâte avec la commission de major-général.

« Les premières informations qu'on reçut de l'armée firent évanouir toutes les craintes; mais le prince généralissime n'eut besoin que de ses propres inspirations et de sa générosité naturelle pour apprécier à leur juste valeur les dénonciations et les rapports officieux qu'on lui adressait de toutes parts. Sans hésiter un moment, il écrivit au Roi pour le prier de permettre qu'il conservåt son premier major-général. Le duc de Guiche, premier aide-de-camp de S. A. R., fut envoyé de Toulouse à Bayonne au devant du ministre de la

nombre et au premier rang de ces témoins était le lieutenantgénéral comte Guilleminot, pair de France, major général de l'expédition, maintenant ambassadeur de S. M. T. C. à Constantinople. Dès qu'il eut appris que la Cour royale de Paris s'était déclarée incompétente pour terminer la procédure relative aux marchés de Bayonne, il avait demandé l'autorisation de se rendre

guerre, pour le prévenir que, jusqu'à la réponse du Roi, le prince commanderait l'armée sans aucun intermédiaire. Ces résolutions prises, S. A. R., digne petit-fils d'Henri IV, accourut se placer au milieu des braves qu'on lai avait désignés comme des ennemis secrets ou des traîtres, et, de ce moment, il ne fut plus question dans l'armée d'inquiétudes ni de délations. »

Un fait non moins curieux à relever dans le mémoire du major-général comte Guilleminot, c'est le compte qu'il rend de la cause de l'intervention de M. de Villèle dans cette affaire.

« Le prince généralissime, dit S. S., trouvant à Bayonne son armée dépourvue de tous les moyens dont on lui avait assuré l'existence, et agitée par des conspirations imaginaires, obligé d'avoir recours à des mesures extraordinaires pour entrer en campagne, fatigué des déceptions qui avaient produit de semblables résultats, en écrivit directement au président du conseil, et continua depuis lors sa correspondance avec lui, chargeant son major-général des relations avec le ministre de la guerre.

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M. de Villèle prit dès lors une intervention conciliatrice dans les mesures relatives à l'armée, et le ministre de la guerre la provoqua lui-même dans ses communications avec lui et ses notes au conseil des ministres.

« Ce fut ainsi qu'il participa aux instructions données au commissaire extraordinaire du Roi envoyé au quartier-général à Madrid, qu'il en fit disparaître cette enquête ordonnée par l'administration de la guerre pour établir que les mesures approuvées par le prince n'étaient justifiées par aucun motif raisonnable.

« Le président du conseil fat enfin lui-même en butte aux présomptions les plus singulières. L'éloignement du maréchal duc de Bellune avait, disait-on, été résolu par lui; il avait usurpé ses attributions, favorisé l'entreprise Ouvrard, mis des obstacles aux efforts de l'administration de la guerre pour sa résiliation. Si ces accusations ne furent pas formellement articulées, elles servirent de base aux attaques dirigées contre lui.

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Il était loin d'être vrai que le président du conseil eût favorisé l'entreprise Ouvrard; il avait, au contraire, abondé dans le sens des reproches du ministre de la guerre, qui la représentait comme onéreuse, et tendait à sa résiliation; mais il avait aussi apprécié les embarras de l'armée par le défaut de réalisation des dispositions nécessaires à son mouvement. Le duc de Bellune lui-même les avait avoués à son retour de Bayonne.

༥ M. de Villèle désirait donc arriver à la résiliation des marchés, quand les circonstances le permettraient, et non pas prêter son assistance à des combinaisons qui n'avaient évidemment pour but que de sauver l'administration de la guerre du reproche d'imprévoyance, en accusant les mesures prises par le généralissime pour entrer en campagne. »

à Paris; et comme S. M. lui avait laissé le choix du parti qu'il voudrait prendre, il s'était présenté dès le commencement de l'instruction devant ses pairs, « pour soumettre, leur écrivait-il, à leur investigation la plus sévère tous les actes, toutes les circonstances de sa conduite pendant la glorieuse expédition d'Espagne, déclarant qu'il s'abstiendrait d'assister aux séances de la Chambre jusqu'à ce qu'elle eût prononcé son jugement sur la cause actuellement déférée à sa haute juridiction. » (Lettre du 28 mars.)

Plusieurs mois se passèrent avant que la commission chargée de cette enquête pût en présenter le résultat à la haute cour (22 mai), et cependant l'instruction n'avait été dirigée que sur la question à laquelle l'ordonnance de convocation littéralement interprétée semblait borner les recherches de la cour des pairs. On avait écarté la question politique où la double opposition de la Chambre des députés voulait impliquer le ministère, celle de la dilapidation, et même celle de savoir si les marchés généralement jugés si onéreux à l'État avaient été nécessaires. L'instruction s'était circonscrite sur une question personnelle à deux membres de la pairie (les lieutenans-généraux comtes Guilleminot et Bordessoulle), et cependant elle embrassait une multitude de circonstances telle, que la lecture du rapport fait par M. le comte Portalis occupa deux séances entières (22-23 mai). Le noble rapporteur analysait dans la première partie toute l'instruction de la Cour royale, et dans la deuxième il rendait compte des faits considérés à trois époques: 1o faits qui ont précédé le marché; 2° faits qui ont accompagné ce marché; 3o faits qui l'ont suivi c'est tout ce qu'on en peut dire; car la cour, en ordonnant que le rapport fût imprimé, en avait borné la distribution à ses membres seulement.

:

Le lendemain (24 mai) fut présenté à la haute cour le réquisitoire du procureur-général. M. Bellart, déja gravement atteint de la maladie dont il est mort le 7 juillet suivant, avait fait un dernier effort pour accomplir cet important devoir; mais ne pouvant lire lui-même son réquisitoire à la haute Cour, il remit ce soin à l'un de ses substituts (M. Vincens). Il résultait de ce réquisitoire qu'il n'y avait dans toutes les pièces de l'enquête aucune preuve pour

justifier l'inculpation dont les lieutenans-généraux comtes Guilleminot et Bordesoulle avaient été l'objet, et il concluait à ce que la Cour se déclarât incompétente, attendu qu'il n'y avait prévention fondée contre aucun de ses membres.

Aucun doute n'existait dans la haute cour quant à la question relative aux pairs inculpés; mais les esprits y étaient fort divisés sur la question de savoir si l'instruction avait embrassé la généra-, lité des faits dans l'importance qu'on devait leur donner, et si la Cour n'était pas compétente et ne pouvait pas connaître de l'affaire au fond, quand bien même aucun de ses membres ne devrait être mis en cause. It paraissait à plusieurs que le procès porté devant la haute cour était tout politique; que l'instruction ne pouvait être bornée à quelques personnes et à quelques faits; qu'il s'agissait d'examiner s'il y avait eu dilapidation des deniers publics, périls pour la monarchie, et qui les avait amenés. Certaines opinions énoncées dans les deux Chambres tendaient à faire jeter un voile sur cette affaire au nom de l'irresponsabilité du prince généralissime; mais, selon plusieurs nobles pairs qui s'élevèrent fortement contre ce système (M. le duc Decazes, M. le duc de Broglie), l'irresponsabilité royale ne pouvait pas se communiquer même aux plus augustes dépositaires des droits du trône; et la doctrine opposée n'était pas plus dans les vœux du prince que dans ses principes et dans les intérèts de sa gloire. A cet égard d'ailleurs, toutes les opinions s'accordaient sur la vigueur de tête et de cœur, sur le courage et la confiance héroïque que le prince avait montrés dans une des situations les plus critiques où général se soit jamais , trouvé.

En résumé, des deux opinions qui se partageaient la haute Cour, suivant les bruits qui coururent alors, les nobles pairs qui croyaient que la Chambre devait se déclarer compétente, ou du moins qu'elle devait retenir l'affaire pour un plus ample informé, se seraient appuyés sur la nécessité d'éclaircir dans le sein de la Chambre tous les faits relatifs à cette affaire; ils auraient ajouté que l'opinion publique et même les pairs impliqués demandaient une nouvelle enquête; qu'il suffisait que des pairs fussent inculpés dans l'affaire

pour que la haute Cour fût compétente de plein droit; qu'on pouvait considérer le délit dont il s'agissait comme crime de haute trahison, ce qui rentrait dans la compétence spéciale de la Cour; et qu'enfin il fallait éviter de renvoyer la cause devant la Cour royale, où de nouveaux scandales pourraient suivre une nouvelle instruction.

Dans l'opinion contraire, on insistait sur l'absence même d'un délit qualifié à l'égard des pairs inculpés ; et comme la Cour n'était réunie que pour prononcer sur le fait, il suffisait qu'il n'existât point pour qu'elle se déclarât incompétente. La Cour étant un tribunal d'exception, on ne pouvait appliquer ici le principe que la qualité d'un accusé attire la cause tout entière devant la juridiction de cet accusé. Comme on ne spécifiait pas de délit, on ne devait pas non plus argumenter de la possibilité qu'il se rencontrât dans. la cause un crime de haute trahison; et, quant à l'enquête politique, ne devait-on pas craindre de nourrir les inquiétudes publiques et de ternir nos plus belles victoires dans la Péninsule? Cette pensée ne devait point être séparée du vote de la noble Cour.

Enfin, après une délibération qui dura plusieurs jours, où furent produits les documens les plus importans, où furent entendus les orateurs les plus distingués, la haute Cour, admettant une troisième opinion qui évitait les inconvéniens des deux autres, rendit le 10 juin un arrêt (rédigé, dit-on, par M. le vicomte Lainé) par lequel elle ordonnait avant faire droit :

Que par M. le chancelier, président, et par tel de MM. les pairs qu'il lui plaira commettre pour l'assister, et pour le remplacer s'il y a lieu en cas d'empêchement, il sera procédé à un supplément d'instruction tant sur ladite plainte que sur les faits du procès au fond,

« Pour ledit supplément fait et rapporté être par le procureur-général requis, et par la Cour statué ce qu'il appartiendra.

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Cette commission nouvelle, composée de M. le chancelier et des quatre membres qu'il s'était adjoints (MM. le marquis de Pastoret, le comte Portalis, le comte Siméon et le lieutenant-général comte Belliard) reprenant l'affaire dans la généralité des faits qui s'y rattachent, entendit de nouveau tous les témoins, recueillit tous les renseignemens qui pouvaient y jeter des lumières. Cette seconde

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