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agir, en reglant toutes leurs fonctions, à peu près comme un Capitaine regle fes foldats. Mais elle ne les fait pas agir, ni tout à coup, ni également, ni en tout temps, ni en tous lieux; Le fufte, dit David, eft femblable à un arbre qui étant planté fur le bord des eaux, porte du fruit en fon temps: Parce que la Charité animant fon cœur, luy fait opérer beaucoup de bonnes ceuvres, qui font les fruits des vertus, mais chacune en fon temps & en fa place. Tâchez donc de bien entendre ce proverbe de l'Ecriture: Quelque charmante que foit une Mufique, elle eft incommode

defagréable dans une maifon de deüil: 11 nous exprime le grand défaut & le contre-temps de plufieurs perfonnes, qui s'attachant à la pratique d'une vertu particuliére, veulent opiniatrément en faire les actes en toute rencontre; femblables à ces Philofophes, dont l'un vouloit toûjours rire, & l'autre toûjours pleurer; mais plus déraifonnables qu'eux, en ce qu'ils plaignent & blâment les autres, qui ne tiennent pas la même conduite. C'est l'entendre mal, puis que le faint Apôtre nous dit qu'il faut fe réjouir avec ceux qui fe réjouifjent, & pleurer avec ceux qui pleurent:

Et il adjoûte que la Charité eft patiente, bénigne, libérale, prudente, & condescendante.

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Il y a neanmoins des vertus, dont l'ufage eft prefque univerfel; & qui ne fe bornant pas à leurs propres devoirs, doivent encore répandre leur efprit fur toutes les autres vertus. Il ne fe prefenpas fouvent des occafions de pratiquer la force, la magnanimité, la magnificence: Mais la douceur, la tempérance, la modeftie, l'honnêteté, & Phumilité font de certaines vertus dont univerfellement parlant toutes nos actions doivent porter l'efprit & le caractére. Ces prémiéres vertus ont plus de grandeur & d'excellence; mais les derniéres font d'un plus grand ufage: Comme nous voyons que l'on fe fert bien plus fouvent & plus généralement du fel que du fucre; quoy que le fucre foit plus excellent que le fel. C'est pourquoy il faut toûjours avoir à la main une bonne provifion de ces vertus générales, dont l'ufage doit être fi ordinaire.

Dans la pratique des vertus, il faut préférer celle qui eft plus conforme à nôtre devoir, à celle qui eft plus conforme à notre goût. L'austérité des mor

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tifications corporelles étoit du goût de fainte Paule, qui prétendoit y trouver plus promptement les confolations fpirituelles; mais l'obéiffance à fes Supérieurs étoit plus de fon devoir : Et faint Hiérôme avoue qu'elle étoit répréhenfible, en ce qu'elle portoit l'abftinence jufqu'à un grand excés contre le fentiment de fon Evêque. Au contraire les Apôtres à qui Jefus-Chrift avoit commis la Prédication de fon Evangile & le foin de diftribuer aux ames le Pain cér lefte, jugérent avec beaucoup de fageffe, qu'ils ne devoient pas quitter ces fonctions, pour fe charger des foins de la charité envers les pauvres, quelque excellente qu'elle foit. Tous les états de la vie, ont des vertus qui leur font propres Ainfi les vertus d'un Prélat font bien différentes de celles d'un Prince, ou de celles d'un Soldat; & celles d'une Femme mariée, de celles d'une Veuve. Quoy que nous devions donc avoir toutes les vertus; nous ne devons pas tous les pratiquer également: Et chacun doit s'attacher particuliérement à celles, qui font les plus effentielles aux devoirs de fa vocation.

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Entre les vertus, qui ne regardent pas nôtre devoir particulier, il faut pré

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férer les plus excellentes, aux plus apparentes; & l'on peut s'y tromper beaucoup. Les Cométes nous paroiffent ordinairement plus grandes que les Etoil

les

, quoy qu'elles ne leurs foient nullement comparables, ni en grandeur, ni en qualité: Et elles ne font telles à nos yeux, que parce qu'elles font plus prés de nous, & dans un fujet plus matériel & plus groffier. Il y a auffi des vertus, qui paroiffent beaucoup plus grandes que d'autres aux ames vulgaires, & qui emportent toûjours la préférence de leur eftime: Mais ce n'eft que par la raifon que ces vertus font plus prés de leurs yeux, yeux, tombent davantage fous leurs fens, & fe trouvent plus conformes à leurs idées, qui font fort matérielles. C'eft de là, que le monde préfére communément l'aumône corporelle, à la fpirituelle; les haires & les difciplines, les jeûnes & la nudité des pieds, les veilles & toutes les mortifications du corps, à la douceur, à la débonnaireté, à la modeftie, & à toutes les mortifications de l'efprit & du cœur ; lefquelles cependant font d'une plus grande excellence, & d'un plus grand mérite. Choififfez donc, Philothée, les vertus qui font les meilleures,

& non pas les plus eftimées; les plus excellentes, & non pas les plus apparentes; les plus folides, & non pas celles qui ont plus de montre & de déco

ration.

Il eft extrémement utile de s'attacher particulièrement à la pratique d'une vertu, nor pas jufqu'à abandonner les autres; mais pour donner plus de régularité au cœur, plus d'attention à l'ef prit, & plus d'uniformité à nôtre conduite. Une jeune Fille d'une beauté exquife, brillante comme le Soleil, magnifiquement parée, & couronnée de branches d'Olivier, apparut à faint Jean Evêque d'Alexandrie, & luy dit: Je fuis la Fille aînée du Roy, fi tu peux gagner mon amitié, je te conduiray à fon Thrône, & tu trouveras grace en fa préfence. Le faint Prélat connut que Dieu luy recommandoit la miféricorde envers les pauvres : Et il s'y attacha avec tant de zéle & de libéralité, qu'il mérita le nom de Jean l'Aumônier.

Un homme d'Alexandrie nommé Eu loge, defirant de faire quelque chofe de grand pour l'amour de Dieu, & n'ayant pas affez de forces, ni pour embraffer la vie folitaire, ni pour vivre en communauté fous l'obéiffance d'un

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