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Supérieur, prit chez luy un pauvre tout couvert de lépre, pour pratiquer tout enfemble la charité & la mortification: Mais pourles pratiquer d'une maniére plus digne de Dieu, il fit vou de refpecter fon malade, de le fervir, & de le traiter en toutes chofes, comme un valet feroit fon maître. Or dans la fuité

du temps le Lépreux & Euloge furent tentez de fe quitter l'un l'autre ; & ils communiquérent leur tentation au grand faint Antoine, qui leur fit cette réponce Gardez-vous bien mes enfants de vous féparer l'un de l'autre ; car étant tous deux fort prés de vôtre fin, fi l'Ange ne vous trouve pas enfemble, vous courez grand rifque de perdre vos couronnes.

Le Roy faint Louis vifitoit les Hôpitaux, & fervoit les malades avec autant d'attachement, que s'il y eût été obligé. Saint François aimoit fur tout la pauvreté qu'il appelloit fa Dame ; & faint Dominique la prédication, de laquelle fon Ordre a tiré fon nom. Saint Grégoire le grand fe faifoit un plaifir de recevoir les Pélerins, à l'exemple du Patriarche Abraham ; & il reçût comme luy, le Roy de gloire fous la forme d'un Pélerin. Tobie occupoit fa charf

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té de la fépulture des morts. Sainte Elifabeth toute grande Princeffe qu'elle étoit, faifoit les délices de l'abjection de foy-même. Sainte Catherine de Gennes ayant perdu fon mari, fe dévoüa au service d'un Hôpital. Caffien rapporte qu'une vertueufe fille qui avoit un grand attrait à l'exercice de la patience, eût recours fur cela à saint Athanafe, qui mit auprés d'elle, une pauvre Veuve, chagrine, colére, fâcheufe, & tout-à-fait infupportable : De forte que cette dévote fille en étant perpetuellement gourmandée, cût tout temps de pratiquer la douceur & la condefcendance. Ainfi entre les ferviteurs de Dieu, les uns s'appliquent à fervir les malades, les autres à foulager les pauvres, les autres à apprendre la doctrine chrétienne aux petits enfans, les autres à ramaffer les ames perdues & égarées, les autres à parer les Eglifes & à orner les Autels, & les autres à procurer la paix & la concorde entre les Fidelles. Ils imitent l'art des Brodeurs, qui figurent fur un certain fond avec la foye, l'or, & l'argent toutes fortes de fleurs; dont l'agréable variété ne fait rien perdre du deffein & de l'ordonnance de l'ouvrage : Car ces

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ames pieuses ayant entreprises l'exercice d'une vertu particulière, elles s'en fervent comme d'un fond qui leur eft propre ; & fur lequel, pour ainfi parler, elles mettent en œuvre toutes les autres vertus: De forte qu'elles en tiennent leurs actions plus unies & mieux arrangées, les rapportant toutes à une même fin, qui eft la pratique de la vertu, qu'elles fe font fpécialement propofées. Ainfi chacune fe fait aux yeux de Dieu une robe femblable à celle que David donne à la fainte Epouse, & qui étoit d'un drap d'or relevé d'une riche broderie admirablement bien diverfifiée.

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Lors que nous nous fentons combattus par quelque vice, il faut faire tous nos efforts pour nous appliquer à la vertu qui luy eft contraire, & rapporter la pratique des autres vertus à cette même fin: C'eft nous affeûrer de la vi&toire de nôtre ennemi, acquérir une vertu que nous n'avions pas, & perfectionner beaucoup les autres. Si donc l'orgueil ou la colére m'attaque, il faut que je donne à mon cœur toute l'inclination & tout le penchant, que je pourray, pour l'humilité & pour la douCeur; & que j'y faffe encore fervir mes

exercices fpirituels, l'ufage des Sacremens, & les autres vertus, comme la prudence, la conftance & la fobriété: Car comme les Sangliers pour aiguifer leurs défenfes, les frottent contre leurs autres dents, qui en même temps Le liment, & s'affilent; de même l'homme qui a entrepris une vertu qu'il fçait être la plus néceffaire à la défense de fon cœur, doit s'attacher à s'y perfectionner par le fecours même des autres vertus, qui en deviennent auffi plus parfaites. Cela n'arriva-t-il pas à Job, qui s'étant principalement foûtenu par la patience contre les tentations du démon, se trouva un homme parfait en toutes fortes de vertus: Et bien plus, dit faint Grégoire de Nazianze, un feul acte de vertu, fait avec toute la perfection dont il eft capable, & avec une excellente ferveur de charité, a quelque fois mis tout d'un coup une perfonne au comble de la fainteté ; & il cite fur cela la charitable & fidelle Rahab, qui parvint à un haut dégré de fortune, pour avoir une feule fois exercé l'hofpitalité envers quelques Ifraëlites, avec beaucoup d'exactitude.

CHAPITRE IL

Suite des réflexions néceffaires fur le

choix des vertus.

Aint Auguftin dit excellemment

Sbien, que plufieurs perfonnes dans

les commencemens de la dévotion, font des chofes qu'on blâmeroit, fi l'on én jugeoit par les regles exactes de la perfection; & dont cependant on les foue, parce qu'on les regarde en elles comme les préfages & les difpofitions d'une grande vertu. C'eft par cette raifon que la crainte baffe & groffiére, laquelle produit des fcrupules exceffifs dans l'ame de ceux qui fortent des voyes du péché, eft confidérée comme une vertu, & comme un préfage certain d'une parfaite pureté de confcience: Mais la même crainte feroit blâmable en ceux, qui font déja fort avancez, & dont le cœur doit être reglé par la charité, qui en bannit peu à peu la crainte fervile.

La direction de faint Bernard étoit au commencement d'une rigueur & d'une dureté extrême pour ceux qui fe

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