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mettoient fous fa conduite : Car il leur déclaroit d'abord, qu'il falloit quitter le corps, & ne venir à luy qu'avec le feul efprit. Entendant leurs confeffions, il marquoit d'une manière vive & févére l'horreur que luy faifoient leurs défauts, pour petits qu'ils fuffent : En un mot il troubloit & affligeoit fi fort l'ame de ces pauvres Novices dans la perfection, qu'à force de les y porter, il les en éloignoit : Et ils perdoient cœur & haleine, comme l'on dit, en fe voyant pouffez fi vivement; femblables à des hommes que l'on preffe de monter à la hâte une montagne fort efcarpée. Vous voyez, Philothée; c'étoit le zéle tres-ardent d'une parfaite pureté, qui faifoit prendre cette méthode à ce grand Saint, & ce zéle étoit en luy une grande vertu, mais une vertu qui ne laiffoit pas d'avoir quelque chofe de répréhenfible. Auffi Dieu l'en corrigeat-il par luy-même dans une merveilleufe apparitiou, répandant en fon ame un efprit doux & miféricordieux, charitable & tendre: De maniére que le Saint condamna cette févére exactitude, eût toûjours de la douceur & de la condefcendance pour ceux qu'il dirigeoit, & fe fit avec beaucoup de fuavité tout

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tous, afin de les gagner tous à Jefus-
Chriit. Saint Hiérôme qui a écrit la vie
de fainte Paule fa chére Fille, y remar-
que trois fortes d'excés ; l'un d'une au-
ftérité immodérée ; l'autre d'une gran-
de opiniâtreté à préférer en cela fa pen-
fée, au fentiment de faint Epiphane
fou Evêque; & le troifiéme d'une tri-
fteffe démesurée, qui la mit plufieurs
fois en danger de mourir elle-même à
la mort de fes enfants & de fon mari.
Et puis ce Pére s'écrie: Mais quoy,
l'on dira que je laiffe les louanges de
cette Sainte, pour luy reprocher fes im-
perfections & fes défauts. Non, j'atte-
fte Jefus-Chrift qu'elle a fervi, comme
je veux le fervir, que je ne m'éloigne
nullement de la verité ni de part ni
d'autre, difant fimplement en Chré-
tien, ce qu'elle a été comme Chré-
tienne: C'eft-à-dire que j'en écris la
vie & non pas l'éloge, pouvant dire
d'ailleurs, que fes défauts auroient
été des vertus en beaucoup d'autres.
Or vous entendez bien, Philothée
qu'il parle des ames moins parfaites
que fainte Paule: Et en effet il y a des
actions que l'on condamne comme des
imperfections, en ceux qui font
faits; lefquelles feroient prifes pour

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par

de

grandes perfections, en ceux qui font imparfaits. Ne dit-on pas que c'eft un bon figne, quand les jambes enflent à un malade dans la convaléfcence ; parce que l'on conjecture, que la nature a repris affez de forces, pour rejetter les humeurs fuperfluës? Mais cela même feroit un méchant pronoftic dans un homme qui ne feroit pas malade; parce que l'on jugeroit que la nature n'auroit plus affez de force, pour diffiper & refoudre les mauvaifes humeurs. Philothée , ayez toûjours une bonne opinion des perfonnes, dans qui les vertus nous paroiffent mêlées de quelques défauts; puifque plufieurs Saints ne les ont pas eûës fans ce mêlange : Mais pour vous, tâchez de vous y perfectionner en accordant la prudence avec la fidélité: Et pour cela tenezvous bien à l'avis du Sage, qui nous avertit de ne pas nous confier en nôtre prudence, & de la foûmettre à celle des Conducteurs › que Dieu nous a

donnez.

Il y a bien des chofes que l'on prend pour des vertus, & qui ne le font aucunement; & il eft néceflaire que je vous en parle: Ce font les extafes ou raviffemens, les infenfibilitez, les im

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paffibilitez, les unions déifiques, les
élévations & transformations, & autres
femblables perfections, dont traitent
de certains livres qui promettent d'é-
lever l'ame jufqu'à la contemplation
purement intellectuele, à l'application
effentiélle de l'efprit, & à la vie furé-
minente. Philothée, ces perféctions ne
font
pas des vertus, mais leurs récom-
penfes, ou bien plûtôt des communica-
tions anticipées de la félicité éternelle;
dont Dieu donne quelque fois le goût
à l'homme, pour luy en faire defirer
la poffeffion. Mais enfin nous ne devons
jamais prétendre à de telles faveurs ;
parce qu'elles ne font nullement nécef-
faires au fervice de Dieu, ni à fon
amour qui doit faire nôtre unique
prétention D'autant plus que ce ne
font pas ordinairement des graces que
nous puiffions acquérir par nôtre appli-
cation; l'ame recevant plûtôt en tout
cela les impreffions de l'efprit de Dieu,
qu'elle n'y agit par fes operations. J'ad-
joûte que n'ayant point icy d'autre def
fein que de devenir des hommes foli-
dement dévots, des femmes véritable-
ment pieuses; c'eft à cela uniquement
qu'il faut s'attacher: Et fi Dieu veut
nous élever jufqu'à ces perfections An-

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géliques, nous ferons encore de bons Anges dans le monde.

En attendant, appliquons nous avec fimplicité & humilité aux petites vertus, dont Nôtre-Seigneur par fa grace a attaché la conquête à nos foibles efforts; comme font la patience, la débonnaireté, la mortification du cœur, l'humilité, l'obéiffance, la pauvreté, la chafteté, la fuavité envers le Prochain, la patience à fouffrir fes imperfections, & la fainte ferveur. Laiflons volontiers les furéminences à ces grandes ames fi élevées au deffus de nous : Nous ne méritons pas un rang fi haut dans la maifon de Dieu; trop heureux encore de nous voir au nombre de fes ferviteurs les moins confidérez; & femblables à ces petits & bas Officiers de la maison du Prince, qui fe font un honneur de leurs Charges, quelques viles & abjectes qu'elles foient. Ce fera aprés au Roy de la Gloire, fi bon luy femble, de nous faire entrer dans les fécrets myfterieux de fon amour & de fa fageffe. Nôtre confolation en tout cecy, Philothée, eft que ce grand Roy ne regle pas les récompenfes de fes ferviteurs fur la dignité de leurs Offices, mais fur l'humilité & fur l'amour

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