le commerce de deux perfonnes, dont il eft prefque impoffible, que les bonnes. ou les mauvaises qualitez ne paffent de l'une à l'autre. puis Tout amour n'eft pas amitié, que l'on peut aimer fans être aimé; & alors il y a de l'amour, & il n'y a pas d'amitié: Car l'amitié eft un amour mutuel, & s'il n'eft pas mutuel, ce n'eft pas amitié. Il ne fuffit pas encore qu'il foit mutuel; il est néceffaire que les perfonnes qui s'aiment, connoiffent leur affection réciproque : Dautant que fi -elles l'ignorent, elles auront de l'amour, mais non pas de l'amitié. Il faut en troifiéme lieu qu'il y ait entre-elles. quelque communication, laquelle foit tout ensemble le fondement & l'entretien de leur amitié. > A La diverfité des communications fonde la diverfité des amitiez ; & ces différentes communications prennent - leur différence, de celle des biens que l'on peut fe communiquer mutuellement: Si donc ces biens font faux & vains, l'amitié eft fauffe & vaine; fi ce font de vrays biens, l'amitié eft véritable. Ainfi fon excellence croift toûjours à proportion de celle des biens, que l'on fe communique: Comme le meil leur miel eft celuy que les Abeilles vont prendre fur les fleurs les plus exquifes. Mais il y a une forte de miel à Héraclée Ville du Royaume de Pont, qui eft un poison fi dangereux, que ceux qui en mangent deviennent infenfez; parce que les Abeilles vont le cueillir fur l'Aconit, qui vient abondamment en cette région-là: Et c'est un fymbole de cette fauffe & mauvaise amitié, qui eft fondée fur la communication des biens faux & favorables au vice. La communication des voluptez-naturelles n'étant qu'une propenfion fympathique & toute animale des deux fexes; elle ne peut non plus fonder une amitié dans la fociété humaine, qu'entre les bêtes: Et s'il n'y avoit rien de plus dans l'état du Mariage, il n'y auroit nulle amitié. Mais parce qu'il s'y trouve une parfaite communication de vie & de biens, d'affections & de fecours reciproques, & fur tout d'une fidélité dont les liens font indiffolubles; il s'y trouve anffi une véritable & fainte amitié. Celle qui eft établie fur la communication des plaifirs fenfuels, ou de certaines perfections vaines & frivoles, 3 2: eft encore fi groffiére, qu'elle ne mérite pas le nom d'amitié: J'appelle plaifirs fenfuels, ceux qui font immédiatement & principalement attachez aux fens extérieurs comme le plaifir natu-rel de voir une belle perfonne, d'enrendre une douce voix d'avoir une conversation tendre, & tout autre plaifir femblable. J'appelle perfections vaines & frivoles, certaines habiletez, ou qualitez foit naturelles, foit acquifes , que les foibles efprits prennent pour de grandes perfections: En effet combien de filles, de femmes, de jeunes gens diront férieufement: En vérité, Monfieur un tel a beaucoup de mérite; car il danfe bien, il joüc en perfection toutes fortes de jeux; il chante avec beaucoup d'agrément; il a un génie tout particulier pour la propreté & les ajuftemens ; il a toûjours un bon air; la converfation en eft douce & enjoüée. Quel jugement, Philothée! C'eft ainfi que les Charlatans jugent entre-eux, que les plus grands bouffons font les hommes les plus parfaits. Or comme tout cela regarde les fens; les amitiez qui en proviennent s'appellent fenfuelles, & méritent plûtôt le nom de vain amusement que d'a mitié : Ce font ordinairement les amitiez des jeunes gens, qui fe prennent par un extérieur fort fuperficiel, ou d'une badine converfation, ou d'une certaine bonne grace encore plus affectée que naturelle; Amitiez dignes de l'âge des amis ou des amants, qui n'ont encore ni aucune vertu établie, ni même la raifon formée; auffi telles amitiez ne font que paffagéres, & fondent comme la neige au Soleil. CHAPITRE XVIII. Des Amitiez fenfuelles. Q Uand ces amitiez vaines & badines fe rencontrent entre des perfonnes de différent fexe, fans aucune vûë de mariage, elles ne méritent pas le nom ni d'amitié ni d'amour, à cause de leur incroyable vanité, & de leurs grandes imperfections ; & l'on ne peut les nommer autrement que fenfuelles, ainfi que je l'ay dit dans le Chapitre précédent. Cependant les cours de ces perfonnes s'y trouvent pris, engagez, & comme enchaînez par de vaines & folles affections, qui ne font fondées que fur ces frivole s communications & miférables agrémens dont j'ay parlé : Er bien que ces fottes amours dégénérent ordinairement en voluptez les plus groffiéres; ce n'eft pas neanmoins la prémiére vûë que l'on y ait eue; autrement tout ce que je viens de dire feroit une impureté déclarée, & fort criminelle. Il fe paffera même quelquefois plufieurs années, fans que les perfonne's qui font frappées de cette folie, faffent rien qui foit formellement & directement contraire à la chafteté, ne fe repaiffant l'efprit & le cœur que de fouhaits, de foupirs, d'affiduitez, d'enjouëmens, & autres femblables vanitez & badineries, pour parvenir aux fins chacun s'y propofe. que Les uns n'ont point d'autre deffein,' que de fatisfaire une certaine inclination naturelle qu'ils ont à donner de l'amour, & à en recevoir; & ceux-là ne font aucun choix, & n'ont aucun difcernement, mais fuivent feulement leur goût & leur inftinct: De forte qu'à la prémiére occafion imprévûë, ils fe laiffent prendre à un objet qui leur paroît agréable, fans en examiner le mérite; & c'eft toûjours un piége pour eux, dans lequel ayant donné à l'aveugle, ils s'embarraffent fi fort, qu'ils ne |