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CHAPITRE XXI.

Avis&Remédes contre les
mauvaifes Amitiez.

Ais vous me demandez comment
Aus vous

MA

fe précautionner contre ces folles & impures amours; en voicy les moyens.

qu

Dés la prémiére atteinte que vôtre cœur en reffentira, quelque légére elle foit; tournez le tout d'un coup de l'autre côté : Et avec une fécréte, mais trés-ferme déteftation de cette fenfuelle vanité, ayez recours en efprit à la Croix du Sauveur; & prénez fa Couronne d'Epines pour en faire, comme parle la fainte Ecriture, une haye à vôtre cœur; de peur que comme elle le dit auffi, ces petits Renardeaux n'en approchent. Gardez-vous bien d'en venir à aucune compofition avec vôtre ennemi: Ne dites-pas, je l'écouteray, mais je ne fèray rien de ce qu'il me di#a; je luy préteray l'oreille, mais je luy refuferay le cœur. O Philothée, armezvous au nom de Dieu de toute la fermeé la plus rigoureufe en ces occafions:

Le cœur & l'oreille ont des liaifons trop fympathiques, pour croire que l'un ne foit pas touché de ce qui frappe l'autre: Et comme il eft impoffible d'arrêter un torrent,qui a pris fon cours par le penchant d'une montagne; il eft bien difficile que ce que l'amour a fait entrer dans l'oreille, ne tombe dans le cœur. Une perfonne qui a de l'honneur ne se rendra jamais attentive à la voix de l'Enchanteur: Si elle l'écoute, ô Dieu, quel mauvais augure de la perte de fon cœur! La fainte Vierge fe troubla en voyant un Ange, parce qu'elle étoit feule, & qu'il luy donnoit de grandes louanges; quoy qu'il ne luy parlât que du Ciel. O Sauveur du monde ! La Pureté craint un Ange en forme humaine; & l'Impureté ne devroit pas craindre un homme, encore qu'il parût en figure d'Ange s'il luy donnoit des louanges pleines d'une flatterie vaine & fenfuelle? Ce font des complaifances que jamais aucune raifon de bienféance & de refpect ne peut ni permettre ni juftifier, deût-on s'attirer des reproches, & le voir blâmer d'incivilité.

Souvenez-vous bien qu'ayant confacré vôtre cœur à Dieu, & luy ayant

facrifié vôtre amour, ce feroit une efpéce de Sacrilége, que de luy en faire perdre la moindre partie: Renouvelez même en ce temps vôtre Sacrifice par toutes fortes de bonnes refolutions & de proteftations; & y tenant vôtre cœur renfermé, comme le Cerf l'eft dans fon Fort, réclamez l'affiftance de Dieu Il viendra à vôtre fecours; & fon amour prendra le vôtre en fa protéction, afin qu'il foit tout entier pour luy.

:

Que fi vôtre cœur s'eft déja laissé prendre aux piéges de ces mauvaises amours: O Dieu, quelle difficulté que celle de l'en dégager! Profternezyous devant fa divine Majefté, reconnoiffez en la préfence l'excez de vôtre mifére, de vôtre foibleffe, & de vôtre vanité: Enfuite,que vôtre cœur faffe le plus grand effort qu'il pourra, pour détefter ces amours commencez, pour abjurer la déclaration que vous en avec faite, & pour renoncer à toutes les promeffes que vous avez acceptées ; & formez une vive & abfolue réfolution de ne jamais rentrer dans un tel com

merce.

Si vous pouviez vous éloigner, j'approuverois tout-à-fait cet éloignement;

Car s'il eft véritable qu'un homme mordu par un Serpent, ne puiffe pas aifément guérir en présence d'une perfonne,qui a eû autrefois le même malheur; cela eft encore plus vray de deux perfonnes, dont un même amour a bleffé le cœur. L'ona toûjours dit que le changement de lieu eft fort falutaire, pour calmer les inquiétudes de la douleur,& les empreffemens de l'amour. Ce fut auffi par cette raifon, que faint: Augustin fenfiblement affligé de la perte de fon cher ami, fortit de Tagafte où il étoit mort, & s'en alla à Cartha ge: Et c'eft ce que l'on vit en ce jeune homme débauché dont parle faint Am broife au fecond livre de la Pénitence,, & qui revint d'un long voyage entié rement guéri de fes folles amours : Dés les prémiers jours de fon retour, it rencontra fans vouloir s'en appercevoir; une perfonne qu'il n'avoit que trop. connue. Et comme elle luy eût dit,quoy ne me connoiffez-vous pas ? Je fuis tou jours la même. Ouy, luy répondit-il? Mais pour moy, je ne fuis plus le même: L'abfence l'avoit heureusement. changé.

Mais que doit-on faire quand on ne peut abfolument s'éloigner Il faut

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abfolument retrancher toutes les converfations particuliéres, tout le commerce fécret, toutes les demonftrations muettes d'amitié en un mot tout ce qui peut porter univerfellement parlant quelque attrait de cette mauvaife paffion: Ou pour le plus, fi c'eft une néceffité indifpenfable que de fe parler; ce ne doit être que pour une fois, & pour déclarer en peu de paroles, & avec beaucoup de force, le divorce éternel que l'on veut faire. Je crie fort haut à quiconque voudra l'entendre: Taillez, couppez, & tranchez; ne vous amufez pas à découdre ces folles amitiez, ni à démêler leurs lens il faut promptement y mettre le fer & le feu: Et l'on ne doit point mé→ nager un amour, qui eft fi contraire à l'amour de Dieu..

Mais, direz-vous, les esclaves qui ont été affranchis, ne portent-ils pas toûjours fur eux les marques de leurs fers Et quand j'auray rompu mes chaînes, mon cœur n'en retiendra-t-il pas les impreffions; Marques bien importunes d'un efclavage qu'on a trouvé trop doux ? Non, Philathée: Si Vous déteftez tout vôtre péché autant il le mérite, il ne vous en restera

qu

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