porte aucune utilité. L'Ennemi s'en fert pour tenter les bons, jufques dans leurs bonnes œuvres; comme il tâche de porter les méchans,à fe réjouir du mal qu'ils font: Et comme il ne peut procurer le mal, qu'en le faifant trouver agréable; il ne peut auffi détourner du bien, qu'en le faifant paroître incommode. L'on peut dire même,que livré qu'il eft pour toute l'Eternité à la trifteffe la plus de fefpérée, il voudroit que tous les hommes fuffent triftes comme luy. La mauvaise trifteffe trouble l'ame l'inquiéte, infpire des craintes déreglées, dégoûte de l'oraison, accable l'efprit d'un affoupiffement mortel, l'empêche de profiter des bons confeils, de juger fainement des chofes,de prendre aucune réfolution, ou d'avoir le courage & la force de rien exécuter: En un mot elle fait fur les ames les mêmes impreffions, qu'un froid exceffif fait fur les corps, qui deviennent comme perclus & incapables de tout mouvement. Si jamais, Philothée, vôtre cœur eft atteint de cette mauvaise trifteffe, fervez-vous bien de ces regles : Quelqu'un de vous est-il trifte? dit S. Jacques, qu'il prie. En effet, la prière eft un fouve rain reméde; puifqu'elle éléve l'efprit en Dieu, qui eft nôtre joye & nôtre confolation: Mais employez dans vôtre priére ces paroles & ces affections qui infpirent la confiance en Dieu & fon amour: O Dieu de miféricorde ! O Dieu infiniment bon ! Mon Sauveur debonnaire ! Ole Dieu de mon cœur, ma joye, mon efpérance! O le cher époux de mon ame! Ole bien-aimé de mon cœur!. Combattez vivement ce que vous pouvez fentir d'inclination à la trifteffe; & bien qu'il vous femble que ce foit froidement & lâchement, ne laissez pas de le faire : Car l'Ennemi qui prétend nous donner de l'indifférence & de la langueur pour les bonnes-œuvres, ceffera de nous affliger; d'autant plus, qu'étant faites avec quelque répugnance, elles en valent mieux. Soulagez-vous par le chant de quelques cantiques fpirituels: Ils ont fouvent fervi à rompre le cours des opérations du malin efprit; témoin Saül, que David les deux accords de fa harpe, par délivra plus d'une fois du démon qui le poflédoit, ou qui l'obfédoit. Il eft bon de s'occuper extérieurement, & de diverfifier fes occupations; 449 foit pour dérober l'ame aux objets qui l'attriftent; foit pour purifier & échaufer le fang & les efprits: Parce que la trifteffe eft une paflion d'une complexion froide & feiche. Faites de certaines actions de ferveur, bien que ce foit fans aucun goût, prenant entre vos bras votr Crucifix, le ferrant fur vôtre poitrine, baifant les pieds & les mains du Sauveur, levant les yeux & les mains au ciel, élançant vôtre voix en Dieu par des paroles d'amour & de confiance › comme cellesy: Mon bien-aimé eft à moy & je fuis àluy: Mon bien-aimé eft un bouquet de myrrhe fur mon coeur: Mes yeux s'épuifent à force de regarder d'où me viendra te fecours qui m'eft nécessaire; & de vous dire, Seigneur, quand me confolerezvous? O Jefus, foyez-moy Jefus, vive Jefus, & mon ame vivra. Qui me sépanera de l'amour de mon Dieu ? L'usage modéré de la difcipline eft bon contre la trifteffe; parce que cette peine extérieure impétre ordinairement la confolation intérieure; & que l'ame fentant quelque douleur du dehors, eft moins attentive à celle du dedans: Mais la fréquente communion eft excellente; car ce pain céleste fortifie le cœur, & réjouit l'efprit. Découvrez à votre Directeur avec une humble fincérité votre trifteffe, & tout ce qui vous en revient de reffentimens & de mauvaises fuggeftions: Et cherchez le plus que vous pourrez les perfonnes fpirituelles. Enfin réfignez-vous à la volonté de Dieu, vous préparant à fouffrir patiemment cette ennuyeufe trifteffe, comme une jufte punition de vos vaines joyes; Et ne doutez pas que Dieu aprés avoir éprouvé vôtre cœur, ne vienne à fon fecours. CHAPITRE XIII. Des Confolations fpirituelles & fen fibles: Et de l'ufage qu'il en faut faire. Ieu ne fait fubfifter ce grand D monde que par de perpetuelles vi ciffitudes des jours & des nuits, des faifons qui fuccédent les unes aux autres, & des différens temps foit de pluye ou de fechereffe, foit d'un air doux & férain, ou de vents & d'orages, qui font que prefque jamais les jours ne fe resfemblent parfaitement: Admirable va riété, qui donne une grande beauté à tout cet Univers! Il en eft de même de : l'homme que les anciens ont appellé un abrégé du monde. Jamais il n'eft en un même état Et fa vie s'écoule fur la terre comme les eaux d'un fleuve, dans une perpétuelle variété de mouvemens; qui l'élèvent par de grandes efpérances, & puis qui l'abaiffent par la crainte; qui le pouffent tantôt à droit par la confolation, & tantôt à gauche par l'affiction; de forte que jamais une feule de fes journées, ni même une de fes heures n'eft entiérement femblable à l'autre. C'est donc à nous de conferver parmi une fi grande inégalité d'évenemens & d'accidens, une continuelle & inaltérable égalité de cœur : Et de quelque maniére que les chofes tournent & varient autour de nous; demeurons immobiles, & toûjours conftamment fixez à ce point unique de notre bonheur, qui eft de ne regarder que Dieu, d'allerà luy,& de ne rien prétendre que Juy-même. Que le Navire prenne telle route que l'on voudra; qu'il fingle à l'orient ou àl'occident, au midi ou au feptentrion, avec quelque vent que ce foit: Jamais l'Aiguille marine qui doit |