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SUR

LE DÉPIT AMOUREUX.

CETTE Comédie en vers et en cinq actes parut pour la première fois à Béziers, en 1654, lorsque M. le prince de Conti, qui avoit été compagnon d'études de Molière, et qui alors étoit bien loin d'écrire contre l'art dramatique, tenoit les états du Languedoc; elle fut depuis donnée à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon, à la fin de décembre 1658.

Il y a grande apparence que Molière, qui depuis peu de temps couroit la province, avoit dans son portefeuille, avant de se faire chef de troupe, et la comédie de l'Étourdi, et celle du Dépit amoureux, qu'il avoit pu composer pendant les troubles de la Fronde, car on ne sait absolument ce qu'il faisoit alors. Heureux l'homme de lettres qui se laisse ignorer pendant ses premières années! c'est dans ces temps d'obscurité qu'il fait paisiblement l'utile amas des richesses qu'il doit étaler un jour. On doit le faire remarquer ici: Molière avoit trente-trois ans lorsqu'il donna sa première comédie à Lyon.

Les différens auteurs qui ont parlé du Dépit amoureux ne mettent pas cette comédie au rang des bonnes pièces de Molière, et il faut convenir avec eux qu'elle n'annonçoit point encore le peintre de nos mœurs, qu'elle est aussi négligemment écrite que l'Étourdi.

et

Cependant il y a peu d'années où nous ne voyions quelques représentations de cet ouvrage, parce qu'il offre en plus d'un endroit, et cette gaîté dont Plaute avoit donné des leçons à Molière, et cet examen heureux du cœur humain qui lui étoit si naturel, et ce comique brillant et facile qui mettra toujours son dialogue au-dessus de celui de tous nos écrivains de théâtre.

L. Riccoboni, dans ses Observations, indique deux sources où Molière puisa l'idée de cette seconde comédie. La première est une pièce du Bon Théâtre, dit-il, intitulée l'Interresse, di Nicolo Secchi, et l'autre est un ancien canevas, sous le nom de Sdegni amorosi.

Le titre de cette dernière farce inconnue pourroit faire supposer qu'il y étoit question de tracasseries d'amans, et par conséquent du plus agréable objet du Dépit amoureux; mais on n'en trouve pas un mot dans la pièce du Bon Théâtre, dans l'Interesse du Secchi. Molière ne put emprunter de ce dernier que ce qui rend la fable de sa comédie trop compliquée et trop étrangère à nos usages.

L'ouvrage du Secchi a donc fourni à notre auteur le roman peu naturel d'Ascagne, sa supposition invraisemblable, et son mariage secret moins croyable

encore.

L'exemple de Molière n'auroit pas dû autoriser un de nos auteurs à prendre pour fond d'une intrigue dramatique un pareil mariage, où l'un des conjoints est dans l'erreur sur la personne à laquelle il est uni'. Il est vrai qu'il est plus aisé de n'imiter des grands hommes que leurs fautes.

Voyez l'Époux par supercherie.

Les scènes charmantes de Lucile et d'Éraste rachètent bien, à la vérité, le vice de l'intrigue, et elles ne doivent rien au Secchi. Flaminio et Virginia, qui sont dans la pièce du poète italien ce que Lucile et Éraste sont dans l'ouvrage de Molière, n'ont pas même une seule scène ensemble.

On a remarqué que ces scènes de dépit, toujours sûres du succès, sont une imitation de l'ode d'Horace, Donec gratus eram, et Molière est le premier qui ait fait passer ce tableau charmant sous nos yeux; on l'a beaucoup imité depuis, et c'est aujourd'hui ce qu'on appelle un lieu commun.

En convenant que Molière doit au Secchi le fond de sa pièce, ce n'est pas dire qu'il en a emprunté l'ordre, l'arrangement, le développement, ni les idées, et encore moins le dialogue. Molière sera toujours un modèle à proposer aux imitateurs; il ne se traîne point sur les traces de son original; il s'élance de ses propres forces, et bientôt il le laisse loin de lui. C'est le cas d'appliquer ici ce que dit si ingénieusement M. de Voltaire des imitations du grand Corneille : « Cinq ou « six endroits touchans, mais noyés dans la foule des irrégularités de Guilem de Castro, furent sentis par «< ce grand homme, comme on découvre un sentier « couvert de ronces et d'épines.

«

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ALBERT, père de Lucile et d'Ascagne.

POLIDORE, père de Valère.

LUCILE, fille d'Albert.

ASCAGNE, fille d'Albert, déguisée en homme.

ÉRASTE, amant de Lucile.

VALÈRE, fils de Polidore.

MARINETTE, suivante de Lucile.

FROSINE, confidente d'Ascagne.

MÉTAPHRASTE, pédant.

GROS-RENÉ, valet d'Éraste.
MASCARILLE, valet de Valère.
LA RAPIÈRE, breteur.

La scène est à Paris.

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