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« n'a guère qu'à se replier sur lui-même, pour y puiser << dans son cœur des sentimens qu'il est assuré de faire « entrer dans tous les cœurs, s'il les a trouvés dans le << sien. L'auteur comique doit, au contraire, se multiplier et se reproduire, presque en autant de per« sonnes qu'il en veut avoir à contenter et à divertir. Tel fut Molière, dont l'heureuse plaisanterie fit rire également et le courtisan, et l'homme d'esprit, et le simple citoyen; mais revenons aux comédies intéressantes et romanesques.

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Plaute, dans ses Captifs, a laissé un modèle à suivre pour cette espèce de drame, dont l'invention est, mal à propos, attribuée à notre siècle '. Il n'est pas aisé, sans doute, de combiner des situations et des événemens aussi intéressans; mais qu'on observe surtout que de faux principes, une fausse éloquence, une chaleur factice, une boursouflure morale, n'en corrompent point le dialogue naturel et facile.

D'ailleurs, si nous ouvrons la Poétique de M. Marmontel, nous verrons qu'il est bien éloigné de l'avis

'Ce n'est point dans les deux pièces de ce genre que donna Térence, qu'il faut l'admirer. L'Hecyre, ou la belle-mère, tomba chez les Romains, et le Bourreau de lui-même dut offenser les mœurs par le caractère d'un père surpris de retrouver sa fille, qu'il avoit jadis livrée à une nourrice pour lui donner la mort. Il est vrai que cette barbarie s'exerçoit quelquefois chez les Athéniens (si l'on en croit l'histoire); mais quelle indignation ne devoit-elle pas exciter chez un peuple qui se transportoit d'admiration à ce beau vers de Térence :

je

Homo sum, humani nihil à me alienum puto,

suis homme, et rien de ce qu'inspire l'humanité ne m'est étranger?

2 C'est ce que les anciens appeloient linguæ fastus, grwoons xoμ, car ils ont eu leurs pédans comme nous.

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de M. de Voltaire. « On prétend, dit-il, que les grands traits ont été rendus, et qu'il ne reste plus que des « nuances imperceptibles; c'est avoir bien peu étudié

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les mœurs du siècle, que de n'y voir aucun nou«veau caractère à peindre.... le fat modeste, le petit seigneur, le faux magnifique, le défiant, l'ami de « cour et tant d'autres, viennent s'offrir en foule à qui aura le courage et le talent de les traiter. »

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Molière, dit M. de Saint-Lambert, est celui de tous les philosophes qui a le mieux vu les défauts qui s'opposent à l'esprit de société, et il les a combattus par le ridicule. Il nous faudroit aujourd'hui un poète qui combattît les défauts qui naissent de l'esprit de société.... « Il y a peu de maris jaloux, mais il y a « peu de maris; les pères tyranniques sont rares, les pères indifférens ne le sont pas.... Les gens de lettres « ne sont plus pédans, mais il y a beaucoup de pé« dans chez les gens du monde. On pourroit peindre « le voluptueux de mauvais goût, l'homme qui craint « à l'excès le ridicule, le faux modeste, le défiant de caractère, le défiant par principe, le tracassier, le «< connoisseur, le bienfaisant par intérêt, le donneur « d'idées.... l'homme d'un goût difficile, parce qu'il n'ą « pas de quoi sentir le beau, l'hypocrite d'humanité, «< les préventions, les prétentions, etc. »

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C'est depuis Molière que Regnard a trouvé le Joueur; Brueys, le Grondeur; Le Sage, Turcaret ; Destouches, le Glorieux; Boissi, l'Homme du jour; et Piron, l'immortelle Métromanie, etc. C'est donc le talent, c'est l'étude du monde, qui manquent à nos écrivains, que la faci

On pourroit ajouter le dédaigneux, le superficiel, le malheus reux imaginaire, le désabusé, etc. etc. etc.

lité de dialoguer un roman écarte de la pénible route qu'a frayée Molière. 1

Heureusement la postérité sera instruite par plus d'un écrit, qu'une grande partie de la nation réclamoit contre cet abus; elle apprendra que c'est au milieu des efforts du mauvais goût que l'Académie Françoise a proposé à l'Europe l'Eloge de Molière, pour rappeler tous les esprits au seul modèle qu'ils aient à suivre.

Puissent ses vœux être écoutés, puisse l'art du théâtre revenir à ses vrais principes qu'avoit fixés Molière, et ne nous présentant que nos défauts de société et nos ridicules, ne disputer que rarement à Melpomène le privilége de nous arracher des larmes ! 3

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I

' Il est honorable autant qu'heureux de pouvoir fortifier les raisons qu'on a alléguées contre la comédie larmoyante, par le sentiment d'un des grands princes qui règnent aujourd'hui dans l'Europe. « Ce genre ne m'a jamais plu, dit-il; je conçois bien qu'il «< y a beaucoup de spectateurs qui aiment beaucoup mieux entendre des douceurs à la comédie, que d'y voir jouer leurs défauts, « et qui sont intéressés à préférer un dialogue insipide à cette plai« santerie fine qui attaque les mœurs. Rien n'est plus désolant que « de ne pouvoir être impunément ridicule. Ce principe posé, il << faut renoncer à l'art charmant des Térence, des Plaute et des « Molière, et ne se servir du théâtre que comme d'un bureau général de fadeurs....; mais mon zèle pour la bonne, pour la vé« ritable comédie, va si loin, que j'aimerois mieux y être joué

«

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que de donner mon suffrage à ce monstre bâtard, que le mau

<< vais goût de notre siècle a remis au monde. » (Lettre du R. de P. à M. de Voltaire, au sujet de Nanine.)

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L'éloge couronné a été celui de M. de Chamfort, jeune homme de la plus grande espérance.

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Nous aurions grand besoin, à cet égard, de la tyrannie connue des Maldives, où les rois avoient mis au nombre des crimes d'état, de paroître triste.

PAR M. DE VOLTAIRE.

que

Le goût de bien des lecteurs pour les choses frivoles, et l'envie de faire un volume de ce qui ne devroit remplir que peu de pages, sont cause l'histoire des hommes célèbres est presque toujours gâtée par des détails inutiles, et des contes populaires aussi faux qu'insipides. On y ajoute souvent des critiques injustes de leurs ouvrages. C'est ce qui est arrivé dans l'édition de Racine faite à Paris en 1728. On tâchera d'éviter cet écueil dans cette courte histoire de la vie de Molière; on ne dira de sa propre personne, que ce qu'on a cru vrai et digne d'être rapporté; et on ne hasardera sur ses ouvrages rien qui soit contraire aux sentimens du public éclairé.

Jean-Baptiste POQUELIN naquit à Paris en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des Halles. Son père, Jean-Baptiste Poquelin, valet de chambre-tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boutet sa mère, lui donnèrent une éducation trop conforme à leur état, auquel ils le destinoient: il resta jusqu'à quatorze ans dans leur boutique, n'ayant rien appris, outre son métier, qu'un peu à lire et à écrire. Ses obtinrent lui la survipour

parens

vance de leur charge chez le roi; mais son génie l'appeloit ailleurs. On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beauxarts, les ont cultivés malgré leurs parens, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l'éducation.

Poquelin avoit un grand-père qui aimoit la comédie, et qui le menoit quelquefois à l'hôtel de Bourgogne. Le jeune homme sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l'étude se développa; il pressa son grand-père d'obtenir qu'on le mit au collége, et il arracha enfin le consentement de son père, qui le mit dans une pension, et l'envoya externe aux Jésuites, avec la répugnance d'un bourgeois, qui croyoit la fortune de son fils perdue, s'il étudioit.

Le jeune Poquelin fit au collége les progrès qu'on devoit attendre de son empressement à y entrer. Il y étudia cinq années; il y suivit le cours des classes d'Armand de Bourbon, premier prince de Conti, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Molière.

II y avoit alors dans ce collége deux enfans qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde; c'étoient Chapelle et Bernier : celui-ci, connu par ses voyages aux Indes; et l'autre, célèbre par quelques vers naturels et aisés, qui lui ont fait d'autant plus de réputation, qu'il ne rechercha pas celle d'auteur.

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