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officielle n'avait été faite au cabinet de Bruxelles. Celuici s'était soumis aux conditions que l'Europe nous avait imposées; mais aucune de ces conditions ne stipulait la démolition des forteresses. Ces paroles hautaines et brèves les places fortes seront démolies, blessaient profondément l'orgueil national, encore exalté par les victoires de Septembre. Si la France, disait-on, désire la démolition de quelques forteresses élevées sur notre sol, qu'elle produise sa demande dans une négociation régulière; mais que son roi ne prenne pas, à la face de l'Europe, ce langage impérieux et absolu qui fait de la Belgique indépendante une vassale de sa voisine. On alla jusqu'à soupçonner l'existence d'une série de protocoles secrets, imposant à la nation de nouveaux sacrifices et de nouvelles humiliations. La presse de l'opposition exploita cet incident avec son aigreur habituelle; l'opinion publique s'alarma, et le ministère lui-même crut devoir manifester ses craintes par la voie du journal officiel.

« Les forteresses dont la Belgique est hérissée, » lisons-nous dans le Monileur du 26 juillet, «<nous >> appartiennent comme le sol dont elles ne sont que des » accessoires; si elles n'existaient pas, il n'entrerait » dans les vues d'aucun belge de les élever; mais, quelle >> que soit l'influence à laquelle elles doivent l'existence, >> elles sont là, et leur conservation est pour la Bel»>gique une question d'honneur plus que d'utilité... Sans >> doute, si la Belgique reconnaît que l'entretien de toutes >>ces forteresses excède ses ressources, elle pourra en » démolir quelques-unes; mais elle prendra elle-même >> cette résolution. Cette mesure d'économie intérieure

» sera sage, si la sûreté extérieure n'en souffre pas. >> Les relations que nous établirons avec la France se>>ront, il faut l'espérer, telles qu'il nous sera permis, >> sans compromettre notre indépendance, d'éclaircir un >> peu nos frontières. Si la France tient à la démo»lition de quelques-unes de nos places, il lui sera fa>>cile d'obtenir ce résultat c'est en donnant par des » traités et des alliances des garanties particulières à la >> Belgique et à sa dynastie. » Le journal officiel poussa la sévérité au point de rappeler à la France les désastres d'une double invasion: «En 1815, la France » a été obligée par la conquête à démanteler quelques>>unes de ses places, et elle se le rappelle avec dou>>leur; la Belgique a-t-elle été conquise en 1831, et » quels sont ses vainqueurs? »

La notification officielle du protocole fut faite à M. de Meulenaere le 28 juillet, quatre jours avant l'invasion de l'armée du prince d'Orange. Ce ne fut qu'après l'évacuation du territoire que le ministère put songer à formuler sa réponse.

La conservation de toutes les forteresses eût été une mesure peu sage. Nous n'avions ni les ressources financières requises pour les entretenir en état de défense, ni les hommes nécessaires pour les munir de garnisons suffisantes. Un nombre de forteresses sans rapport avec le chiffre de la population est à la fois un embarras et un danger, principalement pour les pays neutres. Source de dépenses ruineuses pendant la paix, elles provoquent, en temps de guerre, la convoitise de la puissance belligérante la plus rapprochée de leurs remparts dégarnis. Celle-ci s'en

empare, les autres accourent pour les arracher à leur rivale, et le pays neutre devient le champ de bataille. Cette vérité était d'autant mieux comprise que l'invasion de l'armée hollandaise venait de faire ressortir la nécessité d'établir de nouveaux travaux de défense sur le Demer. D'un autre côté, le protocole du 17 avril ne franchait pas complétement le problème; il renfermait une promesse de négociation entre les quatre Puissances signataires et le souverain de la Belgique. Consentir à cette négociation et la diriger de manière à sauvegarder l'indépendance nationale, c'était en définitive le parti le plus sage.

Le système du gouvernement belge se manifesta dans le discours de la couronne, prononcé à l'ouverture de la première session des Chambres. « La neutralité » de la Belgique, garantie par les cinq Puissances, >> disait le roi, « a fait concevoir la possibilité d'apporter » des modifications à notre système défensif. Cette pos»>sibilité, admise en principe par les Puissances qui » ont pris part à l'érection des forteresses en 1815, » sera, je n'en doute point, reconnue par la nation. >> Des négociations auront lieu pour régler l'exécution >> des mesures qui se rattachent à la démolition de >> quelques-unes de ces places. Heureuse de pouvoir res>> serrer encore les liens qui unissent les deux peuples, » la Belgique donnera dans cette occasion une preuve de >> sa reconnaissance envers la France, l'Europe un gage » éclatant de sa juste confiance dans la loyauté du roi >> des Français. » C'était associer l'action de la Belgique à celle des Puissances signataires du protocole du 17 avril,

fout en lui réservant ses prérogatives de nation indépendante (1).

Ainsi que nous l'avons dit, la France n'était pas systématiquement opposée à la démolition d'une partie de nos places fortes. Un seul point avait profondément blessé les ministres de Louis-Philippe. Ils regrettaient que le prince de Talleyrand eût été exclu de la négoeiation, et ces regrets étaient d'autant plus vifs que tous les organes de l'opposition exploitaient la persistance avec laquelle l'isolement de la France avait été signalé au parlement britannique.

Afin de tourner la difficulté, M. Périer tenta d'attirer la négociation à Bruxelles. Obtenir de la Belgique l'engagement de démolir une partie de ses places fortes, produire cet engagement à Londres pour en réclamer l'exécution, borner la mission de la Conférence à sanctionner des stipulations irrévocablement arrêtées à Bruxelles, intervertir ainsi les rôles et placer la France en première ligne, telles étaient les vues de la diplomatie française. Pour obtenir ce résultat, un agent spécial, M. le marquis de La Tour-Maubourg, fut envoyé à Bruxelles.

(1) Les adresses des Chambres prouvent que cette politique avait en sa faveur l'assentiment de la nation. - « Si la paix générale, si les vœux d'une Puissance amie à laquelle nous lient si intimement et nos intérêts et nos sympathies, exigent le sacrifice de quelquesunes de nos forteresses, nous nous flattons, Sire, que, dans les négociations relatives à la démolition de ces forteresses, le gouvernement n'oubliera rien de ce qui importe à la sûreté et à l'honneur de la Belgique. » (Adresse de la Chambre des représenlants. Moniteur du 17 septembre 1831 ). · L'adresse du Sénat gardait le silence sur la question des forteresses; l'assemblée laissait au ministère une liberté entière (Moniteur, ibid.).

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En réunissant ses efforts à ceux du général Belliard, l'envoyé français atteignit en partie le but désiré par son gouvernement. Il n'obtint pas un traité séparé; mais M. de Meulenaere lui remit une note portant que le roi des Belges, conformément au principe posé dans le protocole du 17 avril, consentait et s'occupait à prendre, de concert avec les quatre Puissances aux frais desquelles les forteresses avaient été en grande partie construites, des mesures pour la prompte démolition des places de Charleroi, de Mons, de Tournay, d'Ath et de Menin. On dit que le roi des Belges confirma cet engagement dans une lettre autographe adressée au roi des Français.

Quelques jours après, le général Goblet partit pour Londres en qualité de plénipotentiaire auprès des quatre Puissances signataires du protocole. Officier du génie instruit et expérimenté, M. Goblet possédait toutes les qualités requises pour donner à ce nouvel incident diplomatique une solution conforme aux intérêts du

pays.

Dans le cours de ces dernières négociations, et malgré l'opposition de la France, les places de Philippeville et de Marienbourg furent substituées à celles de Charleroi et de Tournay. En effet, au point de vue de la défense du territoire national, l'abandon de ces deux dernières places avait été une faute grave. Trop faible pour résister par elle-même aux puissants voisins. qui l'entourent, la Belgique doit combiner son système défensif de telle manière que le gouvernement et l'armée puissent se mettre promptement à l'abri, en attendant que les protecteurs de sa neutralité viennent à son aide.

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