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de ses devoirs les plus sacrés et une opposition formelle aux lois de l'Etat. Ils finissaient par se plaindre de ce que le clergé, jadis le premier Ordre de l'Etat, non-seulement fût exclu de toute participation à la confection des lois, mais que même on lui déniât le droit d'être représenté, comme la noblesse, dans les assemblées provinciales du nouveau royaume.

Cinq jours plus tard, le 2 août 1815, au moment où ces représentations respectueuses étaient remises au roi, l'évêque de Gand adressa aux fidèles de son diocèse une instruction pastorale renfermant une protestation formelle contre le principe de la tolérance religieuse. Le prélat disait : « Après avoir lu attentive»ment le rapport fait à Sa Majesté par les commissaires » qu'elle avait nommés pour réviser la loi fondamen>> tale..., nous en avons extrait divers articles qui doivent »être érigés en lois, et que nous regardons comme » essentiellement opposés à l'esprit et aux maximes de »> notre sainte religion et aux libertés de l'Église catho»>lique... Nous ne croyons pas qu'il soit permis d'ad>> hérer librement à un projet de loi qui porte que la >> liberté de tous les cultes est garantie à tous par les » lois de l'Etat. En acceptant librement une loi qui >> approuve et garantit à tous la liberté des opinions >> religieuses, vous seriez évidemment censés approuver >>ce principe funeste qui est entièrement opposé à l'es>> prit de la religion catholique; vous supposeriez que >> toutes les religions sont également bonnes; qu'on » peut se sauver dans l'une comme dans l'autre, et » qu'il est laissé à la volonté de l'homme de choisir » n'importe quelle manière d'honorer la Divinité... Vous

»> ne pouvez non plus donner votre assentiment à l'adop>>tion de cet autre article du projet de la nouvelle >>> constitution qui assure à tous les sujets du royaume, >> sans distinction de croyance religieuse, l'admission à >> toutes les dignités et à tous les emplois, attendu qu'il >> peut et doit résulter de cette disposition des maux ir>> rémédiables pour notre sainte religion; car il arri>> verait tôt ou tard que des places très-importantes » seraient occupées, dans cette partie du royaume, par » des particuliers d'une religion différente de la nôtre. >> Or, qui ne voit pas au premier abord les conséquences >> probables d'une telle mesure? Nos intérêts les plus »>chers, ceux de la sainte Eglise catholique, de ses >>lois, de sa morale, de sa discipline et de ses cou>>tumes seraient entre leurs mains... Après done nous >> être convaincu que le projet de la nouvelle consti>>tution renferme plusieurs articles évidemment opposés >> aux droits inalienables de l'Eglise; après avoir mû>>rement réfléchi sur l'impossibilité de concilier les >> devoirs de ses véritables enfants avec la libre adop»>tion de ces articles..., nous protestons solennellement >> contre l'adoption des articles susdits, comme de tous >> autres qui pourraient être directement ou indirec>>tement opposés à la religion catholique..... et nous » défendons à tous les notables choisis dans notre dio>> cèse d'y adhérer en aucune manière et sous aucun >> prétexte quelconque (1). >>

(1) Instruction pastorale de Son Altesse Mgr l'évêque de Gand, prince du saint-empire romain, relativement au projet de la nouvelle constitution du royaume des Pays-Bas (p. 10, 22 et 40). Gand, B. Poelman, 1815. Raepsaet, OEuvres complètes, T. VI, p. 350.

Dans une instruction pastorale datée du 11 août 1815, l'évêque de Tournai suivit l'exemple de son collègue de Gand. L'évêque de Namur rédigea un mandement analogue; déjà celui-ci était imprimé et prêt à être adressé aux ecclésiastiques du diocèse, lorsque le directeur de la police du département de Sambre et Meuse, pénétrant au domicile de l'imprimeur de l'évêché, fit saisir et anéantir tous les exemplaires.

Cette opposition des chefs de nos diocèses ne demeura point inefficace. La majorité des notables rejeta le projet de loi fondamentale; mais celle-ci ne fut pas moins promulguée comme charte constitutionnelle du nouveau royaume.

Alors la résistance des évêques prit un caractère plus grave et plus solennel.

Dans les derniers mois de 1815, les chefs de tous les diocèses publièrent un jugement doctrinal sur le serment prescrit par la nouvelle constitution. Prenant cette fois la parole comme gardiens du dépôt de la foi, de la morale de l'Evangile et des traditions de l'Eglise, ils déclaraient qu'aucun de leurs diocésains ne pouvait, sans trahir les intérêts les plus chers de la religion, prêter le serment de fidélité à la loi fondamentale. Jurer de maintenir la liberté des opinions religieuses et la protection égale accordée à tous les cultes, c'était jurer, disaient-ils, de maintenir l'erreur comme la vérité; c'était favoriser le progrès des doctrines anticatholiques et contribuer, on ne peut plus efficacement, à éteindre dans nos belles contrées le flambeau de la foi; c'était sanctionner une nouveauté funeste introduite par les révolutionnaires de France, Jurer de maintenir

l'observation d'une loi qui rend tous les sujets du roi, de quelque croyance religieuse qu'ils soient, habiles à occuper toutes les dignités et tous les emplois, c'était justifier d'avance toutes les mesures qui pourraient être prises pour confier à des fonctionnaires protestants les intérêts essentiels de la religion catholique nouveauté d'autant plus dangereuse que les ministres de l'Evangile étaient considérés et traités comme autant de fonctionnaires publies, non moins dépendants des gouvernements que les fonctionnaires civils et militaires. Jurer d'observer et de maintenir une loi qui met dans les mains du gouvernement le pouvoir d'interdire l'exercice du culte catholique quand il devient une occasion de trouble, c'était faire dépendre l'exercice de notre sainte religion de la volonté de ses ennemis et de la malice des méchants. Jurer d'observer et de maintenir une loi qui suppose l'Eglise catholique soumise aux lois de l'Etat, et qui investit le souverain du droit d'obliger le clergé et les fidèles à obéir à toutes les lois de l'Etat, de quelque nature qu'elles soient, c'était soumettre la puissance spirituelle aux caprices de la puissance séculière. Jurer de maintenir une loi qui attribue à un souverain protestant le droit de régler l'instruction publique, c'était abandonner à l'hérésie l'enseignement public dans toutes ses branches, c'était trahir honteusement les intérêts les plus élevés de l'Eglise catholique. Jurer d'observer une loi qui abandonne aux Etats-Provinciaux le soin d'exécuter les lois relatives à l'instruction publique, à la protection des différents cultes et à leur exercice extérieur, c'était confier les intérêts les plus chers de la

religion à des laïcs qui, aux yeux de l'Eglise, ne possèdent ni titre ni qualité, soit pour reconnaitre la justice ou l'injustice des lois de ce genre, soit pour en diriger l'application, soit pour en ordonner l'exécution dans les diocèses respectifs. Jurer de regarder comme obligatoires et de maintenir toutes les lois en vigueur, jusqu'à ce qu'il y fût autrement pourvu, c'était coopérer à l'exécution éventuelle de plusieurs lois anticatholiques que renferment les codes français, notamment celles qui permettent le divorce, qui autorisent les unions incestueuses condamnées par l'Eglise, qui comminent des peines sévères contre les ministres de l'Evangile fidèles à leurs devoirs. Jurer enfin de maintenir la liberté de la presse, c'était ouvrir la porte à une infinité de désordres, à un déluge d'écrits antichrétiens et anticatholiques (1).

On n'a pas assez remarqué que Guillaume Ier, sans le vouloir sans doute, avait lui-même provoqué ces réclamations et ces résistances. Par une circulaire du 7 mars 1814, expressément sanctionnée par les commissaires des Puissances alliées, le gouverneur général de nos provinces (duc de Beaufort) avait informé les évêques que « désormais le gouvernement main>> tiendrait inviolablement la puissance spirituelle et la puissance civile dans leurs bornes respectives, ainsi » qu'elles sont fixées par les lois canoniques et les anciennes »lois constitutionnelles du pays (2). » Les chefs du clergé

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(1) Le jugement doctrinal, répandu dans toutes les provinces sous forme de brochure, se trouve dans les œuvres complètes de Raepsaet, T. VI, p. 376.

(2) Pasinomie, 2o série, T. 1, p. 53.

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