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qu'alors exaspérés, se calmèrent. On se livra réciproquement quarante otages, choisis entre les principales familles turques ou grecques. Par suite des égards nouveaux qu'on se témoignait, on consentit, sur la demande du pacha qui commandait à Nauplie de ne pas transporter ses otages plus loin qu'Argos, afin d'être à portée d'en faire l'échange, en cas de rupture ou de consommation de la convention. Les Grecs étaient dans la joie; mais ils allaient bientôt éprouver la vérité de cet adage d'un de leurs ancêtres, Lamachus, capitaine athénien : qu'on ne peut deux fois faillir en guerre, parce que les fautes y sont de telle conséquence, qu'elles causent la perte de l'état et de ceux qui les commettent.

Ils avaient interrompu le blocus de Nauplie pendant le siége de Tripolitza, et, battus avec une perte considérable lorsqu'ils voulurent le reprendre, ils se trouvaient, après avoir surmonté beaucoup d'obstacles, rejetés en arrière de leurs espérances. Ils consentaient cette fois à accorder un sursis à un ennemi réduit aux abois, qui ne cherchait qu'à gagner du temps, tandis qu'avec quinze jours de persévérance ils triomphaient, et l'étendard de la croix, arboré au faîte de la Palamide, proclamait l'affranchissement du Péloponèse.

Les ministres des Hellènes et leurs chefs commirent donc une grande faute en signant une capitulation éventuelle avec la garnison turque de Nauplie. Les délais n'étaient qu'en faveur des assiégés; car les Grecs ne pouvaient pas ignorer qu'ils n'avaient pas

d'armée à opposer à Khourchid pacha, qui couvrait les rives de l'Apidane et du Pénée des tentes d'une multitude de ses soldats, qui étaient impatients d'entrer en campagne. L'acropole d'Athènes, dont on venait à peine de s'emparer, n'était pas encore à l'abri d'un coup de main; et l'insouciance des ministres du conseil exécutif était telle, qu'ils n'avaient pas approvisionné l'Acrocorinthe.

A cela on donnait pour excuse, qu'ayant compté sur les trésors de Kyamil bey pour acheter des munitions de guerre et de bouche, ce fourbe mahométan persistant à dire qu'il n'avait pas d'argent caché, on n'avait pu faire face aux dépenses qu'entraînerait la mise en état de siége d'une place de cette importance. Cependant, depuis la prise de Tripolitza, on éprouvait une aisance générale dans le Péloponèse. Plus de quarante millions de francs étaient passés aux mains des insurgés. Les chefs militaires étaient chargés d'armes massives en or; les officiers civils s'étaient enrichis; mais personne ne voulant rien débourser, chacun cherchait à cacher son égoïsme, en disant que les Turcs n'oseraient pas entreprendre une nouvelle campagne.

Vainement le vieux Panorias, chef des Doriens du Pindoros (1), avait prédit de grands malheurs; plus vainement encore Krévata de Lacédémone, qui ne paraissait au conseil que sous la bure grossière des Spartiates, avait reproché et reprochait encore aux

(1) Voy. mon Voyage dans la Grèce, t. III, p. 214 et 230,

Hellènes leur luxe et leur imprévoyance. On ne discutait plus, mais on disputait dès que le conseil se réunissait. Le ciel avait ôté le jugement à ceux qu'il voulait châtier et les éprouver par de grands malheurs. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible d'expliquer l'aveuglement des Grecs; car de prétendre, comme on l'a dit depuis, que les coups qui assassinèrent Palascas et Alexis Noutza étaient partis de Corinthe, dans l'intention de perdre Odyssée, serait aussi injuste que d'attribuer ce crime à Khourchid pacha (quoique un pareil attentat soit dans les mœurs turques), dans l'intention de jeter des brandons de discorde entre les Grecs. Ainsi, au lieu de nous perdre en conjectures, nous nous humilierons sous la main puissante de Dieu, cause première et souveraine de l'ordre éternel, qui fait que la valeur n'est pas constamment heureuse, ni la prudence même toujours clairvoyante dans son propre intérêt.

Une dernière observation servira à faire connaître cette époque, pendant laquelle ministres, sénateurs, députés, capitaines, s'étaient partagé les lambeaux ensanglantés d'une proie qui était au moment de leur échapper; c'est qu'on n'avait plus parlé de Mavrocordatos, depuis qu'il était descendu au port de Missolonghi dans l'Étolie.

CHAPITRE III.

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Apathie des Grecs. - Pronostics fâcheux sur l'expédition de Mavrocordatos. Il se décide à marcher en avant. Il arrive à Comboti. Douleur de Marc Botzaris, causée par la mort d'un de ses frères. — Diversion entreprise par Cyriaque, et contrariée par les Anglais.-Combat des Souliotes au faîte des montagnes. Héroïsme de plusieurs femmes. - Peste à Janina et à Paramythia.-Mouvements militaires d'Omer Briones.- Escarmouches aux environs de Comboti. Détresse des Philhellènes. - Arrivée du capitaine Gogos Bacolas à leur camp. Mouvements dans l'Acrocéraune et dans le Musaché. Cyriaque communique avec les Souliotes. Lettre qu'ils lui écrivent. Marc Botzaris entre dans l'Épire;-bat les Turcs à Placa et à Sclivani, est obligé de rétrograder. Embarras de Mavrocordatos.-Occupation de Péta par les insurgés. Combat du 16 juillet. Défaite des Philhellènes. - Valeur. Traits de courage d'une foule d'officiers étrangers. - Supplices des prisonReprésailles. Excursion de Christos Tzavellas dans la Thesprotie. - Mort de Cyriaque. Nouvelle de l'invasion du Péloponèse par les mahométans.

niers.

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S'IL est vrai que les républiques se fondent par l'en

thousiasme, et se soutiennent par la vertu, on pouvait dire, en voyant ce qui se passait dans la Grèce, que la liberté n'y avait brillé que comme un de ces astres, effroi du vulgaire, qui sont suivis d'une stupeur générale. Depuis que Mavrocordatos était sorti du

Péloponèse, le feu sacré s'était assoupi, et il semblait que les génies protecteurs de la patrie avaient passé avec lui le golfe des Alcyons. Les chefs et les principaux magistrats du peuple paraissaient satisfaits de son éloignement. Plusieurs d'entre eux avaient, sous différents prétextes, regagné leurs métairies, pour respirer l'air frais des plateaux de l'Arcadie, et le patriotisme n'échauffait plus que les ames généreuses de quelques montagnards. On comptait neuf cents hommes à l'isthme, trois mille aux environs d'Athènes, deux mille cinq cents dans l'Argolide, et trois mille sous l'étendard de Colocotroni, qui tenait de fort loin le blocus de Patras; c'était tout ce qu'il y avait de troupes dans la partie occidentale du Péloponèse, et dans les autres contrées de la Hellade.

Mavrocordatos, depuis son arrivée à Missolonghi, ne voyait arriver aucun des secours qu'on lui avait promis; et en réfléchissant à ce qui se passait, on pouvait présumer qu'il y avait non-seulement apathie, mais trahison contre lui. Comment s'était-il décidé à abandonner la presqu'île, quand il ne pouvait pas ignorer qu'une armée ennemie très-considérable se réunissait en Thessalie? Qu'allait il faire en Épire? Deux mois plus tôt le projet était salutaire; mais il était maintenant évident qu'on ne centraliserait pas la guerre dans cette province. Ainsi la raison commune prescrivait d'acquiescer à ce qu'on fit plus tard. Il fallait abandonner les Souliotes à eux-mêmes, fortifier Missolonghi et y laisser garnison. Marchant de là à travers les montagnes vers les Thermopyles,

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