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venirs et de renseignements dans les anciens auteurs sur Carthage; il les a fécondés par toutes les découvertes les plus récentes de l'archéologie; il y a jeté une intrigue d'amour touchante et sauvage à la fois, et il a créé ainsi une sorte de roman épique, qui n'a de commun avec Madame Bovary que la recherche de l'exactitude minutieuse dans les peintures. Le drame antique de M. Flaubert sera moins lu peut-être que son drame bourgeois, mais il arrêtera longtemps la critique et marquera sa place dans notre littérature banale par la nouveauté du sujet, l'étrangeté du genre et l'incontestable supériorité du talent.

Un roman auquel je ne regrette pas moins de ne pouvoir m'arrêter, faute de temps et d'espace, est celui de M. Ch. Gouraud, intitulé Cornélie1. Ceux qui connaissent déjà son roman de Lysis, dont nous avons publié, il y a trois ans, une sérieuse analyse, savent qu'on doit attendre de l'auteur une œuvre vraiment consciencieuse, où, sous une forme austère et un peu froide, il déposera ses idées les plus chères sur l'art, la religion, la philosophie. M. Gouraud connaît bien l'Italie, ses monuments, ses arts; il nous transmet tout ce qu'il en a appris, sous prétexte de roman. Comme l'auteur de Corinne, il met en scène des personnages anglais au milieu des populations italiennes, afin de faire mieux ressortir par le contraste la différence des physionomies et des civilisations. Il est fâcheux qu'un plus grand mouvement n'anime pas ces souvenirs et ces connaissances personnelles qui pourraient défrayer cinq ou six petits romans de seconde main.

Les auteurs auxquels j'ai l'habitude de faire bon accueil devront me pardonner le plus facilement de présenter leurs derniers livres à mes lecteurs en en déclinant sim

1. Hachette et Cie, in-8, 555 p.

plement les titres. Mme Sand, par exemple, dont nous nous sommes plu à analyser fidèlement et à juger avec sympathie toutes les créations récentes, n'obtiendra de nous pour sa dernière, Tamaris, qu'un simple souvenir, en attendant que nous puissions embrasser dans leur ensemble toutes les productions dues au rajeunissement de son talent.

Plus jeune et moins célèbre, mais déjà très-fécond, M. A. Assollant nous a fourni lui-même jusqu'ici assez de sujets d'analyse et d'occasions d'appréciations, pour qu'il nous suffise de rappeler à ceux qui aiment son talent si vif et si franc, le nouveau volume de la Bibliothèque des chemins de fer où il a réuni trois récits: Jean Rosier, Rose d'Amour et Claude et Juliette1.

Dans la même collection, M. Louis Enault, donne une suite de nouvelles, intitulée Pêle-mêle, comme un recueil d'articles de revue; il y pousse à ses dernières limites l'élégance sentimentale à laquelle il a dû tant de succès.

Mme Louis Figuier, dont nous avons aussi applaudi les gracieux essais, y figure avec le Gardian de la Camargue, scènes et souvenirs des maremmes du Rhône3: C'est une toile de plus dans cette galerie de peintures si fidèles de la vie et de la nature provençales.

M. de la Landelle, auteur d'une suite de descriptions et de scènes spéciales destinées à former un complet « tableau de la mer, est sorti de sa spécialité des romans maritimes pour publier dans le même format, sous le titre de la Meilleure part', la description des vertus rustiques de la poétique Bretagne.

La même bibliothèque offre au voyageur un volume de nouvelles signé d'un auteur trop connu à d'autres titres pour que nous nous arrêtions à le juger sur une œuvre

1. In-18, 300 p.

2. In-18, 276 p.

3. In-18, 160 p.

4. In-18 compacte, 422 p. Voy. ci-dessous le chapitre Variétés.

aussi modeste : c'est Jean et Jeannette, suivi des Roués innocents, de M. Théophile Gautier1. Ces deux récits, dont le second est déjà d'une date ancienne, donneront pourtant une idée des allures franches et de la facilité charmante d'un des maîtres de la critique moderne.

Le roman s'offre sous toutes les formes aux habitués du chemin de fer, pour en tromper les ennuis. Je passe à toute vapeur devant les étalages des gares, où ceux qui ont plus de loisirs à donner aux livres d'imagination n'ont que l'embarras du choix. Voici le roman-feuilleton qui, après la vogue au jour le jour de ses pages volantes, demande au volume un succès plus solide et plus durable: ce sont les Frères de la Côte, de M. Emmanuel Gonzalès, l'un des types les plus complets du roman franco-américain; ce sont les Compagnons de minuit, de M. Charles Deslys, qui va chercher moins loin de nous, sur les bords du Rhin, le mélange de l'idylle et du sombre drame. Voici des études plus intimes, les Courbezon, scènes de la vie cléricale esquissées avec un soin minutieux par M. Ferdinand Fabre; Henriette, suivie des Mortes aimées, de M. Jules de Wailly fils, qui s'essaye à la psychologie mélancolique et qui y réussit du premier coup; les Contes de l'atelier de M. Michel Masson', récits honnêtes, touchants et d'une simplicité élégante. J'en passe et des meilleurs, de ceux que le mérite littéraire et la grâce du sentiment prédestinent, comme le Bouquet de Cerises de M. Francis Wey, aux honneurs d'une fréquente réimpression. Mais, malgré toute ma bonne volonté, je dois laisser bien des romans sur les rayons de la Bibliothèque des chemins de

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fer, pressé que je suis de passer à des livres d'un genre plus sérieux.

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D'ailleurs le roman m'appelle encore vers d'autres bibliothèques et collections qui lui font aussi une place que je ne puis lui donner. Ainsi, chez le même éditeur, la Bibliothèque variée laisse passer au milieu des livres de critique littéraire, d'histoire, de morale, de poésie, quelques volumes de roman. C'est là que nous trouvons le nouvel ouvrage de M. X. Marmier: Hélène et Suzanne', tableau gracieux et doux de la vie honnête, encadré dans ces brillants souvenirs de voyage, familiers au talent de l'auteur. C'est là que nous trouvons sous ce titre : le Presbytère de Plouguern, une suite de récits bretons par M. Ch. Perint, qui s'est tenu volontairement à l'écart des passions violentes et des sentiments exagérés pour peindre des scènes intimes, des incidents de la vie commune, des esquisses simples et touchantes de mœurs et de coutumes locales.

Une autre collection à laquelle j'ai consacré déjà beaucoup de comptes rendus, m'accusera, par son excessive richesse en fait de romans, d'un plus grand nombre d'omissions encore: c'est la collection Hetzel, dont les diverses séries se répartissaient auparavant entre trois ou quatre maisons d'éditeurs, et qui a aujourd'hui pour éditeur M. Hetzel lui-même. Nous mentionnerons, en prenant congé d'elle, le Tour du Monde parisien3 de M. Henri Maret, simple recueil d'impressions de voyage en omnibus au milieu du Paris agrandi, embelli et renouvelé, sorte d'improvisation dont les négigences du fond et de la forme accusent la rapidité; enfin les Gens de Bohême et Têtes fêlées' de M. E. D. Forgues, scènes de la vie excentrique imitées

1. In-18, 408 p.

2. In-18 compacte, 560 p.

3. In-18, 31

4. In-18, 364 p.

de l'anglais par ces procédés de traduction libre et de remaniement que nous faisions tout à l'heure connaître à nos lecteurs.

Passons devant les bibliothèques de toutes couleurs, bleue, jaune, verte, rose, rouge, qui toutes contiennent force romans, ou même ne contiennent que des romans: bibliothèque nouvelle, bibliothèque contemporaine, bibliothèque moderne, bibliothèque des gens de goût, etc., etc., sans compter les publications de tout format qui ne rentrent dans aucune catégorie générale et qui nous offrent le roman dans toutes les conditions de luxe ou d'économie, suivant les caprices ou la fortune de l'auteur, son éditeur à lui-même. Nous avons beaucoup pris dans toutes ces catégories; mais nous avons peut-être laissé dans chacune encore davantage. En présence de cette avalanche de romans, si quelqu'un, auteur ou ami d'auteur, a le courage de me reprocher quelques omissions, qu'il me jette la première pierre, c'est-à-dire qu'il se condamne à lire lui-même tous les livres dont j'avoue n'avoir pas parlé.

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