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nous touche d'assez près pour que nous nous croyions autorisé à en reproduire ici quelques pages. Voici d'abord le tableau des ennemis qui, grâce au concours de la jeunesse des Écoles, ont fait rendre à M. About de si rudes comptes.

Les ennemis de M. About sont de deux sortes: les ennemis personnels et les ennemis politiques.

Les premiers appartiennent, en général, à la littérature. Dieu me garde de me placer entre M. About et eux, entre les méchancetés étourdies de l'un et les traits imprégnés de fiel des autres. Dieu me garde de me prononcer entre les fidèles de M. de Villemessant et son ancien collaborateur le vicomte V. de Quevilly. Il m'est avis que les gens de lettres feraient mieux de laver leur linge sale en famille que de donner en spectacle au public ces échanges d'injures. Mais sans tous ces petits commérages plus ou moins scandaleux, le Figaro aurait depuis longtemps fermé sa porte, et le « bon jeune homme n'en aurait pas eu si long à écrire à sa cousine Madeleine.

Si j'étais l'ami de M. About, dont je connais plus les écrits que la personne, j'expliquerais toutes les haines intimes dont il est l'objet, à son plus grand honneur; je dirais que son talent, que ses succès rapides, la place qu'il s'est faite dans la littérature contemporaine, ont excité la jalousie, effrayé les coteries, armé les cabales. Je n'ai pas assez bonne opinion de la nature humaine, en général, pour croire que l'envie soit absolument étrangère aux démélés littéraires; mais on peut supposer aussi que M. About a donné plus d'une fois prise à de justes ressentiments; qu'il a sacrifié plus d'une fois le droit, le devoir, les convenances au plaisir de faire un bon mot. Une seule chose m'étonne, c'est que ce soit le Figaro qui lui reproche le plus amèrement ses malices, lui qui les a accueillies, provoquées, payées, et en a tiré bénéfice.

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Évidemment, ce ne sont pas les inimitiés personnelles, quises à M. About en littérature, qui ont soulevé la jeunesse des Écoles contre l'auteur de Gaëtana.

Voyons donc les inimitiés politiques.

Entre les partis que nos révolutions ont tour à tour portés au pouvoir ou tournés contre lui, en est-il un qui puisse comp

Dentu, in-8; 32 pages. Elle a pour épigraphe ce mot un peu altéré de Paul-Louis a Les Dévots te tueront..

ter dans M. About un ami à toute épreuve, un défenseur dévoué? L'avenir le dira; mais le passé nous montre en lui l'adversaire persévérant de deux ennemis irréconciliables de la Révolution française : le parti légitimiste et le parti clérical.

M. About serait peut-être embarrassé de dire, dans une profession de foi, ce qu'il veut et ce qu'il voudra en politique; il est facile de voir ce qu'il ne veut pas, ce qu'il n'a jamais voulu, ce que sans doute il ne voudra jamais. Plus ou moins indifférent aux dogmes du catéchisme politique, sa vie a jusqu'ici une unité négative remarquable. M. About a nié avec plus de retentissement que personne le droit divin, la religion d'État, le pouvoir temporel naissant du spirituel, l'intolérance d'un culte dominant, toutes ces traditions de religion politique ou de politique religieuse que 1789 a balayées du sol français, mais dont la réaction contre-révolutionnaire nous ramène de temps en temps la menace et le fantôme.

M. About a cherché la contre-révolution, pour se mesurer avec elle, partout où elle triomphe ou semble triompher. Il la combat à sa manière, avec les armes légères de son esprit, la raillerie, le sarcasme, la bouffonnerie au besoin; il ne dédaigne pas la double autorité des faits et du bon sens; il s'attache à lui donner cours sous la forme la plus accessible à la frivolité française. Les amis de M. About ont eu le tort de le proclamer trop tôt l'héritier de Voltaire; mais l'empressement de quelquesuns à le reconnaitre pour tel prouve que le philosophe de Ferney a besoin même aujourd'hui d'un successeur et que « les fils de Voltaire comme on disait autrefois, ont encore des combats à livrer et des conquêtes à défendre.

Aussi quel concert de haines et de colères contre M. About dans le camp des « fils des croisés! » Cet écrivain si léger, si frivole, est leur plus redoutable ennemi; il surveille leurs mouvements, il les dénonce; il démasque leurs batteries, il jette le cri d'alarme à chacune de leurs manœuvres contre les institutions nées de l'esprit moderne. C'est la sentinelle avancée et comme perdue de tous les corps d'armée qui forment le parti libéral. Sa voix aiguë et stridente pénètre dans toutes les oreilles et empêche les moins vigilants de s'endormir. Les gros livres des philosophes et les protocoles secrets des diplomates enterrent les questions politiques et religieuses; les feuilles volantes du pamphlétaire les emportent à travers l'espace et les font circuler, vives et brûlantes, partout où il y a un souffle de libre pensée.

L'auteur de la même brochure décrit ainsi les violences organisées contre Gaëtana, en mettant celles de la première soirée au compte d'une simple cabale littéraire.

Quelles tempêtes pendant trois jours! quelles agitations! quels sifflets! quels cris! Les exclamations éclatent dès la première scène; les interruptions s'appellent et se répondent d'un bout de la salle à l'autre; quelques coups de sifflet se placent bien ou mal au milieu du jeu des acteurs; puis, la toile baissée, un sifflement continu remplit les entr'actes. Quelques spectateurs font observer qu'une telle manière d'accueillir une pièce n'est pas de la critique; les agents de l'autorité la considèrent comme un désordre qu'ils menacent de réprimer. On leur répond par le fameux vers:

C'est un droit qu'à la porte on achète en entrant.

Sans doute vous achetez à la porte le droit de siffler, mais vous y souscrivez aussi l'engagement d'entendre.

Entendre est le devoir du juge. Il s'agit bien ici de jugement! il s'agit d'exécuter l'arrêt porté contre M. About par de petites rivalités ou par de grosses haines. J'entends les plus ardents crier autour de moi : « Nous ne sommes pas ici pour écouter; nous sommes ici pour siffler.... Ce n'est pas la pièce que nous sifflons, c'est l'auteur. A bas l'auteur! »

Cependant la pièce marche à travers le feu des interruptions, et grâce à l'héroïsme des acteurs, elle arrive cahin caha jus qu'au dernier acte. Au milieu des cris et des sifflets qui redou blent, un des artistes vient jeter au public le seul nom de M. About. L'auteur de Gaëtana a pourtant un collaborateur avoué, M. de Najac; mais en présence des orages amoncelés, M. About n'a voulu livrer qu'un nom et qu'une tête aux rancunes de toutes couleurs et de toute provenance déchaînées contre lui.

Les colères des gens de lettres, faciles à exciter, s'apaisent aussi le plus facilement. Ils aiment à s'égratigner, ils ne veulent pas la mort les uns des autres; dans leurs duels, ils se contentent du premier sang. Je ne doute donc pas que cette bruyante soirée n'ait paru aux confrères de M. About une expiation suffisante de la plupart de ses torts littéraires; après ce supplice prémédité de quatre heures de sifflets, les cabales qui n'en voulaient qu'à l'auteur, avaient abandonné Gaëtana à son

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malheureux sort, c'est-à-dire à la férule des critiques et à la froideur d'un public pour lequel les drames du boulevard ne sont pas faits. Déjà même le plus farouche des adversaires de M. About, le Figaro, confus apparemment de la part qu'il a prise à cette oppression violente d'un homme de lettres, semble ramené à des sentiments meilleurs, et il publie de la pièce écrasée un compte rendu remarquable d'impartialité.

La seconde et la troisième représentation de Gaëtana mirent M. About aux prises avec d'autres ennemis. Notre brochure montre à l'œuvre les haines politiques, plus tenaces que les inimitiés littéraires, surtout lorsqu'elles sont doublées de rancunes religieuses.

.... La salle n'était plus envahie par les mêmes « travailleurs », comme quelques-uns s'appelaient eux-mêmes la veille. Ce n'était plus une cabale littéraire, c'était la manifestation d'un parti.... Il était facile d'en juger par les exclamations que soulevait chaque phrase de la pièce. Aux premiers mots d'amour, j'entends crier à l'inconvenance. L'auteur fait dire à un vieillard jaloux que les amoureux d'aujourd'hui ne partent pas sur un baiser paternel; on lui riposte de la salle : « Vous insultez la jeunesse! Que la passion grandisse et lutte contre le devoir : c'est de l'immoralité. L'invention d'un personnage à la fois dépravé et comique est une monstruosité, et chacune de ses boutades est un scandale.

.... Les ennemis que M. About s'est faits dans le parti de la contre-révolution, ne se démasquaient pas seulement par les récriminations de la pruderie contre les habitudes de langage et toutes les traditions des mœurs dramatiques; ils se faisaient connaitre encore en rappelant leurs griefs contre l'auteur de la Question romaine. J'ai entendu plus de dix fois ces mots de question romaine », au milieu des plus vives interpellations. Il n'y avait pas dans la pièce une seule allusion au pouvoir temporel; mais la scène se passe en Italie: la question romaine! Un amoureux contrarié dans ses vues, court s'engager dans l'armée de l'indépendance italienne: encore la question romaine! Un bravo napolitain parle des démélés des lazzaroni avec la police du roi toujours la question romaine! C'est un personnage plaisamment odieux ou odieusement plaisant que ce bravo, cet échappé du bagne, qui ne connait la loi, les gens de

justice, le bourreau même, que pour leur rire au nez; à mesure que son caractère se développait on entendait murmurer: « Voyez-vous les types que l'auteur a vus en Italie! c'est au bagne qu'il va chercher ses modèles! >

L'étouffement complet de Gaëtana a été l'œuvre de l'intervention irréfléchie peut-être, mais toute-puissante de la jeunesse des Écoles, à laquelle s'adresse particulièrement l'auteur de la brochure.

Voilà donc, après la soirée des sifflets, qu'il faut porter au compte des ennemis littéraires, les critiques et les protestations qui se produisent dans les rangs des ennemis politiques contre le drame de Gaëtana. Les sifflets qui s'adressaient à un confrère trop malicieux pour être beaucoup aimé, s'arrêtaient déjà de guerre lasse. M. About aurait fini aussi par avoir raison de la manifestation contre-révolutionnaire, sans l'intervention inattendue de la jeunesse des Écoles. Une armée d'étudiants vient de jouer à l'Odéon la même partie que les Prussiens de Blücher dans la plaine de Mont-Saint-Jean; ils ont fait d'une bataille acharnée une déroute complète. Qu'ils soient fiers de leur facile victoire! Ils ont trouvé le moyen de prononcer en dernier ressort sur une œuvre dramatique : c'est d'empêcher de l'entendre. Procédé bien fait pour plaire aux partis intolérants, car il est renouvelé de leur ancien usage de faire détruire les livres de leurs ennemis par la main du bourreau. Quelle gloire d'étouffer sous les éclats de mille voix la voix d'un seul homme, de venger les injures d'un parti qui n'avait pas encore eu l'appui de la jeunesse, de se faire l'exécuteur des hautes-œuvres de la contrerévolution!

Mais il nous faut bien parler du sujet et du mérite littéraire de Gaëtana, quoique l'un et l'autre aient été assez étrangers à tout le bruit qui s'est fait autour du drame de M.About. Nous nous en rapporterons encore sur ce point au même document.

Je ne parlerai guère, dit l'auteur de notre brochure, de la pièce que ces serviteurs inattendus de la bonne cause ont refusé d'entendre. Les trois premières représentations l'ont fait connaître à cinq ou six mille spectateurs, et le compte rendu

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