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gouvernement. Voilà les sottises peu neuves que débitent nos diverses ganaches, en les rajeunissant de toute la vivacité du style de M. Sardou. Ces grotesques des anciens jours trouvent très-plaisant de railler toutes les inventions de la civilisation moderne: et la vapeur, et les chemins de fer, et l'électricité, et le gaz, et toutes les merveilles de l'industrie. Naturellement, l'ingénieur défendra tout ce qu'ils attaquent, et l'auteur aura soin de lui laisser l'avantage. A lui seul il tient tête à tout l'aréopage de ces esprits encroûtés; il oppose à chacun de leurs réquisitoires un plaidoyer, à chacune de leurs tartines une tartine.

Ce mot est consacré, et il n'est point de genre de pièce auquel il s'applique mieux qu'à celui des Ganaches de M. Sardou; tout lui est prétexte à tartines brillantes et bruyamment applaudies. Elles marchent généralement deux de front: tartines pour et contre les inventions de l'industrie; tartines pour et contre les démolitions de Paris; tartines pour et contre la société ancienne et ses prétendues perfections; tartines pour et contre la société moderne et ses efforts vers le progrès. Toute cette suite de tartines et de tirades suspend l'action; ce qui se fait d'autant mieux sentir que l'action, une fois reprise, se précipite davantage.

D'où naîtra le drame, au milieu de ce cénacle qui semble ne nous promettre que de froides discussions? De la présence d'une toute jeune fille, orpheline dont la mère, sœur du marquis, avait été chassée et maudite par le vieux duc, pour s'être mésalliée en épousant un honnête bourgeois. Seule au monde et dans la misère, elle est ramenée de Paris à Quimperlé, chez son oncle et son grand-père, par l'excellent notaire de la famille. Accueillie avec indulgence, elle devient le lien, l'âme et le rayon de ce triste manoir, où le hasard et l'ennui ont réuni des êtres si divers. Marguerite avait aussi connu à Paris le jeune ingé

nieur et s'était éprise de lui, sans lui inspirer un autre sentiment qu'une bienveillante sympathie.

Orvoici que l'ingénieur paraît à Quimperlé et se présente devant les fenêtres mêmes de la jeune fille. Évidemment, c'est l'amour qui le ramène vers elle. Nos vieillards euxmêmes le prennent pour un amoureux, et à ce titre le détestent d'avance; car leur enlever Marguerite ce serait leur enlever la joie de leur vie. Point du tout l'ingénieur est là occupé à lever le plan du château, que le tracé d'un chemin de fer doit couper en deux. Il est entré dans le parc en traversant les fossés sur la glace; car il fait un froid de dix degrés. Comme ses opérations géométriques, que tout le monde s'obstine à prendre pour des contemplations d'amoureux, durent longtemps, la glace fond, et le jeune homme ne peut plus sortir du parc qu'en passant par le château : ce qui fait qu'il se trouve, à son grand étonnement, dans le salon même, à côté de l'orpheline qui l'aime. Bientôt trois ou quatre vieillards l'entourent, et c'est le moment choisi pour les brillantes passes d'armes en l'honneur des temps anciens et de la civilisation moderne. Après l'échange d'une demi-douzaine de tirades, l'ingénieur est prié, un peu tard, d'expliquer comment il s'est introduit dans la maison; il le fait et se retire.

Abrégeons les événements. La charitable dévote fait croire à Marguerite que le jeune homme est venu pour demander sa main, et que le marquis l'a chassé avec indignation. La pauvre enfant, foudroyée par cette fausse nouvelle, tombe malade et va mourir. Le vieux médecin terroriste la soigne avec une délicate tendresse ; il a deviné le véritable mal et croit nécessaire, pour sauver Marguerite, de lui persuader qu'elle est aimée. L'ingénieur revient de Paris et se prête, par humanité, à une comédie d'amour de laquelle dépend la vie de la jeune fille. Celle-ci, au comble du bonheur, témoigne si bien le sentiment qu'elle

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éprouve pour le jeune homme, qu'elle le lui fait partager. Surpris par le marquis au milieu d'une déclaration brûlante, l'ingénienr est chassé tout de bon, cette fois, et se voit reprocher sa déloyauté. Alors Marguerite veut mourir; elle se précipite vers une fenêtre qu'elle ouvre pour recevoir l'impression du froid, qui peut, dit-on, la tuer. Mais l'ingénieur est là qui escalade le balcon et, en rejetant Marguerite dans son appartement, lui sauve la vie. Malgré les manoeuvres méchantes de la vieille dévote, et grâce aux délicatesses généreuses de l'ex-chirurgien révolutionnaire, l'aristocratique famille de Marguerite, qui a tant maudit la mésalliance de la mère, consentira à celle de la fille. Le vieux duc trouve que c'est assez d'une malédiction dans sa vie.

On a encore reproché à la comédie des Ganaches de ces réminiscences qui ressemblent plus ou moins à des plagiats; mais on a en vain essayé de retrouver dans cette pièce des emprunts pareils à celui que nous avons nousmêmes signalé dans Nos Intimes. Quoi qu'il en soit, l'invention n'est pas la qualité dominante de M. Sardou, et l'on sent à travers ses œuvres comme un courant de souvenirs divers qui vous reportent, malgré vous, à une foule d'œuvres antérieures. C'est là une de ces faiblesses qu'on ne peut guère nier, mais qu'il ne faut pas exagérer non plus. Après tant de milliers d'inventeurs de combinaisons dramatiques, il est difficile d'attendre des derniers venus beaucoup d'inventions originales.

Un autre abus du théâtre de M. Sardou est celui de ces effets dramatiques appelés vulgairement des ficelles. Comme il aime à ménager au public le plaisir de la surprise, il prépare de loin les incidents, les coups de théâtre, afin que, même en restant imprévus, ils aient un peu l'air d'être justifiés. Ainsi le ravage du potager, au premier acte de Nos Intimes, fera trouver moins extraordinaire la chasse au renard du dénoûment. Dans les Ganaches, la

glace des fossés du parc qui fond pendant le travail de l'ingénieur, prépare sa brusque apparition dans le salon de la jeune fille. Ce sont autant d'efforts pour sauver des invraisemblances et qui les font encore ressortir davantage. Ajoutez comme troisième abus, celui des tirades qui, si bien faites qu'elles soient, ont le tort de se détacher trop nettement de l'action, de la suspendre comme une romance ou un grand air de bravoure dans un opéra, et vous aurez à peu près le bilan des faiblesses qu'on peut reprendre chez M. Sardou.

Ses qualités les dissimulent ou les font excuser. La principale est une verve, une vivacité, un entrain infatigables; on y sent à la fois la force et la facilité. M. Sardou compose et conduit toute sa pièce avec art et avec vigueur. Des situations intéressantes étant données, il en tire le parti le meilleur et le plus complet; les scènes sont menées, filées, comme on dit, avec un rare esprit de suite. Ses peintures sont vives et pleines de détails tour à tour énergiques et charmants. Ses types, souvent si incomplets, si exclusifs, si voisins de la charge, sont pleins de mouvement et de vie. Le style, en outre, qui, examiné de trop près, n'est pas irréprochable, reflète bien la vivacité de l'auteur et en seconde le mouvement. Avec ce mélange de qualités et de défauts, on peut n'être pas encore un écrivain de premier ordre, un auteur de créations destinées à durer, mais on obtient des succès très-vifs et très-légitimes, on se fait pardonner les réminiscences, les tartines, les ficelles et leur invraisemblance de parti pris; que disje? on les fait applaudir. On entraîne la foule au Capitole, et l'on force la critique de vous y suivre avec elle.

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Vaudeville le Cotillon; les Petits Oiseaux; le Vrai Courage; les Plantes parasites; Delphine Gerbet; la Comtesse Mimi; les Ivresses; les Lettres anciennes; la Volonté de mon oncle, etc.

Les trois premiers mois de cette année, au Vaudeville, appartiennent tout entiers à la comédie de Nos Intimes, dont nous avons, l'année dernière, dit, expliqué et jugé le grand succès. Tandis que M. V. Sardou passait à d'autres scènes où nous avons vu sa fortune faillir et se relever tour à tour, le Vaudeville, forcé enfin de renouveler son affiche, n'a pu retrouver, du reste de l'année, aucune de ces pièces qui, bonnes ou mauvaises selon la critique, plaisent à la foule et en attirent le flot toujours grossissant vers un théâtre. Les efforts pourtant n'ont pas manqué. Une demi-douzaine de pièces d'une certaine étendue, mêlées d'un plus grand nombre de comédies, vaudevilles ou même opérettes en un acte, ont sollicité la curiosité et l'attention du public par un déploiement d'attraits dont la variété même accuse l'impuissance. Nous pouvons être bref sur toutes ces tentatives, dont une seule mérite de nous arrêter, soit par son éclat pendant quelques jours, soit par les questions littéraires qu'elle a soulevées.

La première nouveauté dont il nous faut dire quelques mots est un tout petit acte qui fait plus de bruit qu'il n'est gros et que directeurs et auteurs ne devaient s'y attendre: c'est le Cotillon, simple à-propos mêlé de couplets, par MM. Clairville et A. Choler (30 mars)'. Ce bruit, du reste, est aussi étranger que possible à la littérature. Ces dames, dit-on, ne voulaient pas danser; quelques mes

1. Acteurs principaux : Grandbougeoir, Saint-Germain; Adries, Nertann; Cristoval, Chaumont. - Mme Cristoval. Mmes Lambquin, Evelina, Pierson; Mme Plumassin, Mauroy; Era, Cellier, etc., etc.

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