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pose, chaque soir, une sucrerie dans la coquille blanche et rose de son bénitier; et l'enfant trouve chaque matin une douceur miraculeuse au nom de Jésus, confondu avec le mot de bonbon, dans le premier cri de son réveil. Voilà le breuvage édulcoré que les disciples des disciples de Lamartine nous servent aujourd'hui dans la coupe de la poésie, sous le prétexte d'inspiration religieuse!

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Les poëtes causeurs. M. Jacques.

Nous trouvons sous le simple prénom de Jacques, équivalant presque à l'anonyme, un recueil de Contes et Causeries' qui révèlent une plume habile et exercée. Les sujets sont nombreux et variés; le vers est en général facile, leste, parfois gracieux; l'esprit y paraît plus que la poésie, et le style s'anime plus volontiers qu'il ne s'élève, même lorsque l'idée a une certaine hauteur. Evidemment, le poëte reste terre à terre par système; il fait effort pour dissimuler, dans un jeu d'esprit, les tendances habituelles de sa pensée vers les choses élevées. Une spirituelle préface intitulée le Bâton de Brutus nous promet, pour le fond du vers, le langage le plus voisin de la prose:

Tout sera pour le sens; la rime sur ses pas
Ne sera qu'un valet qu'on ne remarque pas.

La poésie, s'il y en a, sera en dedans, comme l'or sous l'écorce du bâton rustique.

Si l'on se demande à quoi sert de conserver la forme du vers quand on fait tous ses efforts pour qu'elle passe inaperçue, on peut répondre que, même insensible ou à peu

1. Hachette et Cie, in-18, 300 pages.

près, le rhythme ajoute à l'harmonie du langage, et qu'il y a encore dans le vers dissimulé le mérite de la difficulté vaincue. Disons surtout que quand le vers est bien frappé, l'idée la plus simple reçoit une empreinte vive et nette que la prose ne saurait lui donner. Voici, par exemple, des principes d'économie politique rhythmée, je ne dis pas poétisée, qui plairont à la fois comme tours de force de langage et comme traits d'esprit :

Pour suppléer à l'or trop rare, on étendit
L'heureux emploi d'un or idéal, le crédit :
Le papier vint en aide à l'espèce qui sonne;
Et pourvu qu'il promit de paraître en personne,
Tout écu de cent sous eut son représentant.
Un bulletin léger fut de l'argent comptant,
Désormais chaque somme eut donc un double usɔge.
D'un côté marche l'or, de l'autre son image.
Par cet ingénieux moyen de financer

Quiconque eut de l'argent put toujours s'en passer.

Voilà comment M. Jacques, traite en vers les questions de finances, dans les Chercheurs d'or, sa XXXVIII causerie. Trop souvent l'auteur subtilise l'idée à force de vouloir la rendre fine. On voit le trait partir, mais on ne voit pas où il frappe. Et cela est peut-être heureux; car, si l'on pouvait le suivre, on trouverait quelquefois qu'il porte à faux. Par exemple, j'ai beau m'écarquiller l'esprit, pour comprendre dans les quatre vers suivants une allusion. mythologique mêlée à un souvenir de la vie parisienne, puis l'épanouissement en pointes d'une opération d'arithmétique.

Les écus se feront concurrence à leur tour:
Midas à jeun viendra chapeau bas chez Véfour.
Multipliez les biens, et, diviseur immense,
Le genre humain aura pour quotient l'aisance.

Il est fâcheux de prendre le rôle du spectateur ridicule

de la lanterne magique de la fable; mais ici, on ne peut s'empêcher de dire, au moins tout bas:

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Une des pièces capitales des Contes et Causeries, est la dernière, Dante à Paris. L'illustre Florentin passe rapidement en revue notre société moderne, les révolutions politiques, les découvertes de la science, les merveilles de l'industrie, les transformations rapides d'une grande cité qui fait peau neuve comme un serpent; le présent de Paris et l'avenir de la France l'éblouissent, et son enthousiasme s'exalte au spectacle splendide des destinées de l'humanité.

Je ne sais si je dois trahir l'anonyme que l'auteur des Contes et Causeries a cru devoir garder. J'ai lu ses vers et les ai jugés sans connaître son vrai nom. Quelques traits cependant indiquent les régions ordinaires où vit l'auteur et les sources où s'est alimentée jusqu'ici sa pensée. La vraie nature de son esprit se montre dans la peine même qu'il prend pour la cacher; aussi n'ai-je été que médiocrement étonné d'apprendre que les Contes et Causeries étaient le délassement poétique d'un homme sérieux, littérateur brillant et érudit, professeur très-distingué, auteur d'ouvrages très-justement populaires d'histoire de la littérature. On peut demander son nom indifféremment aux archives des concours de la Société des gens de lettres, aux échos de la Sorbonne, ou même aux pages de l'Année littéraire qui résumaient, il y a trois ans, quelques grands travaux de critique et d'histoire sur la littérature du dixseptième siècle1.

1. Voy. t. II de l'Année littéraire, p. 254 et suivantes.

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La poésie dans la chanson; immortalité ou renaissance perpétuelle de ce genre en France.

Où la poésie va-t-elle se réfugier? Nous la cherchons en vain dans des recueils qui nous la promettent sous leurs titres pompeux ou mystiques; nous la rencontrons sans la chercher dans de simples almanachs ou dans de petits livres de chansons.

Je me garderai bien de signaler comme un trésor poétique, d'un bout à l'autre, le recueil annuel illustré, publié sous le titre d'Almanach de la chanson' par les membres du Caveau; car il existe encore un Caveau. Mais s'il s'y glisse par hasard quelque jolie pièce de vers pleine de sens, de finesse, de véritable esprit français et par-dessus tout écrite simplement et dans une bonne langue, on me permettra de la signaler, et ceux qui aiment ces rares et précieuses qualités, ne seront pas fâchés d'en retrouver ici même quelques couplets. Les suivants, intitulés les Bêtes, sont de M. Eugène Desaugiers: un grand nom dans l'histoire de la chanson française. On verra que le fils a conservé quelque chose de l'héritage paternel.

N'en déplaise à l'espèce humaine,
Qui de jour en jour s'appauvrit,
Je trouve que dans la Fontaine
Les bêtes ont beaucoup d'esprit.
De bons mots nous sommes avares,
Et, soi dit sans nous ravaler,
Peut-être seraient-ils moins rares,
Si les bêtes pouvaient parler!

Bien que le cocher jure et sacre
Et que le temps soit des plus beaux,

1. Pagnerre, in-18. Environ, 200 pages.

Nous monterons six dans un fiacre
Que trainent deux maigres chevaux;
Par ces chétives haridelles
Lorsque nous nous faisons rouler,
Nous en entendrions de belles
Si les bêtes pouvaient parler!

Sur l'obélisque qu'on admire,
On voit une foule d'oiseaux;
Mais personne encor n'a pu dire
A quoi servent ces animaux.
Devant ce rébus, et pour cause,
On voit les savants reculer;

Nous saurions du moins quelque chose,
Si les bêtes pouvaient parler!

Quand madame, qui craint son ombre,
Donne audience à quelque amant,
Dans son boudoir discret et sombre
Un tiers se glisse effrontément.
Près d'elle, sur le même siége
Un angora vient s'installer....
Il n'aurait pas ce privilége
Si les bêtes pouvaient parler!

Près de l'aveugle misérable
Vous trouverez toujours un chien,
Le compagnon inséparable

De ceux, hélas! qui n'ont plus rien.
Pour l'homme que la faim tourmente,
Des yeux il semble postuler;
Que sa voix serait éloquente
Si les bêtes pouvaient parler!

Après ce couplet, que je meure
Plutôt que d'en faire un nouveau,
Attendu que pour le quart d'heure,
Je suis au bout de mon rouleau.
Quand on n'a plus rien dans la tête,
On ne peut se dissimuler
Qu'on parlerait comme une bête
Si les bêtes pouvaient parler!

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